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L'an dernier, un peu plus d'un tiers des Wallons et des Bruxellois ont dû renoncer à certains soins de santé pour raisons financières. Un chiffre interpellant, en-deçà toutefois des résultats de 2021 (45%) et même d'avant la crise sanitaire puisqu'en 2019, près d'un francophone sur deux affirmait alors avoir dû se priver de soins. Pas de quoi se réjouir cependant, nuance Solidaris, qui dans son dernier rapport annuel dédié au report de soins (1.000 personnes interviewées), pointe des inégalités toujours plus grandes, ainsi qu'un nombre moyen de soins reportés un peu plus élevé (2,89 en 2022, contre 2,76 en 2021). "Quand on creuse les résultats par profil, on trouve des situations de vie très différentes derrière les moyennes, et certains groupes se fragilisent encore et toujours", analyse Delphine Ancel, responsable de l'Institut Solidaris. "Si certains mécanismes comme la généralisation du tiers payant ont contribué à renforcer l'accès à certains soins, pour une partie de la population, ce n'est même plus du report, c'est du renoncement: les soins ne figurent même plus sur leur liste..." Le phénomène de report de soins touche la moitié (50,6%, + 8 points) des catégories sociales les plus précarisées, contre un quart chez les personnes aisées (= niveau de 2015). D'autres mécanismes ont-ils joué un rôle favorable dans l'accès aux soins? "Au travers du statut de l'intervention majorée (BIM), une partie de la population a pu avoir accès au tarif social pour l'énergie", rappelle Mme Ancel, "on peut penser que cela a soulagé un peu certains ménages et qu'en cascade, un accès aux soins a ainsi pu être maintenu." Les soins en santé mentale et les soins dentaires sont ceux auxquels on renonce davantage. Une personne sur quatre reporte ainsi sa visite chez le dentiste. "Les factures en soins dentaires sont les plus difficiles à supporter, les groupes les plus précarisés ne sont pas les seuls à nous le dire", confirme Delphine Ancel. En cause, notamment, le faible taux de conventionnement des prestataires. La mutualité socialiste demande la gratuité des soins dentaires de base. Si les besoins en santé mentale explosent, la consommation de soins reste stable, "signe du décalage entre l'offre et la demande", note-t-elle encore. La 2e édition du Baromètre des soins en santé mentale de Solidaris, sorti l'automne dernier, chiffrait la progression du nombre de personnes en difficultés mentales (anxiété, angoisse, dépression) de 10 à 35% en dix ans, sans augmentation, cependant, de la consommation de soins remboursés. L'enquête sur le report de soins confirme la donne puisque 19% des Wallons et Bruxellois disent ajourner ces soins. Le remboursement des consultations chez le psychologue, depuis un an et demi, n'aide-t-il donc pas? "Encore faut-il que le psychologue soit conventionné et accepte d'entrer dans la convention, ce que tous ne souhaitent visiblement pas, le processus étant très encadré...", contextualise notre interlocutrice. L'état dépressif pourrait-il expliquer, du moins en partie, que l'on se décourage à se faire traiter? "Non, car cela aurait alors été le cas depuis toujours, or on voit une nette détérioration sur sept ans d'analyse des reports de soins."Une personne sur cinq (21%) reporte des soins chez le spécialiste. "Cela s'est un peu amélioré depuis que nous prenons également en charge (janvier 2022, NdlR) le ticket modérateur chez le spécialiste en milieu hospitalier. Nous avons une bonne part du marché en Wallonie, on peut espérer que cet avantage de la complémentaire permet un meilleur accès à nos affiliés", se félicite Delphine Ancel. Le médecin généraliste est celui dont on se passe le moins (près d'un francophone sur six), mais le chiffre a légèrement augmenté, ce qui est inquiétant pour la première ligne. Solidaris, qui rembourse le ticket modérateur chez le généraliste depuis 2016, prône, parallèlement à un élargissement de l'intervention majorée aux plus vulnérables (invalides, chômeurs, pensionnés isolés, isolés avec charge de famille) la gratuité des consultations chez le médecin de famille. Les quelques euros du ticket modérateur chez le MG freinent-ils réellement l'accès à la première ligne? "Ce sont de petites sommes qui s'additionnent au cours de l'année et qui, pour les familles monoparentales, montent vite", explique la responsable de l'Institut Solidaris."Lors de nos enquêtes, nous entendons des personnes qui disent faire leurs courses à 5 euros près, oui. Il s'agit aussi de remettre en avant les soins de première ligne, l'importance du médecin généraliste et de la prévention. Car derrière le report de soins, il y a les conséquences à long terme de la non-prise en charge de certaines problématiques..."