Ils renoncent sans hésitation pour se sauver à tout ce pourquoi leurs pères ont sacrifié leur vie, comme les libertés démocratiques, la pratique de leurs religions, l'amour des autres. Pourquoi cette sidération ?

Redécouvrir que l'homme est mortel

D'abord, l'idée de mourir est révoltante. Depuis l'aube des temps, les êtres humains pensants ont cherché à donner un sens à la mort par le sacrifice soit par amour de ceux qu'ils aimaient, ou pour le bonheur des générations à venir, par une foi que ce soit dans le communisme ou en Dieu, dans la promesse d'un bonheur différé gagné par les sacrifices. Il y avait l'espoir réconfortant de la survie dans un paradis idéal. Dans l'Europe occidentale d'aujourd'hui, l'appétit de jouissance de tout, tout de suite, et la confiance dans une sciences omnipotente ont largement balayé ces attentes spirituelles.

Dans mon enfance, la mort causait un chagrin aussi effroyable qu'aujourd'hui mais c'était un malheur, hélas, régulier et accepté avec fatalisme. Cette résignation a cédé le pas à la certitude d'un progrès rassurant et repoussant année par année le moment de disparaître. Au moment de la grippe espagnole il y a un siècle, l'espérance de vie se situait autour de 53 ans. Elle est aujourd'hui en moyenne de 80 ans et pour les femmes, bien plus. Or la pandémie covid-19 décime actuellement majoritairement les personnes âgées, ces miraculées de la médecine, qui ont survécu au fil des ans aux maladies vasculaires, aux cancers, aux pneumonies, aux méningites, aux grippes, aux angines de poitrine, à la tuberculose, jouant jadis le rôle de régulateurs naturels de la démographie. Tout à coup, c'est le grand bond en arrière. La nature s'avère plus forte que la science. Et pour que celle-ci reprenne le dessus, ce qui ne fait aucun doute, la vie est mise entre parenthèses pendant le temps d'un mauvais rêve qui ne peut qu'être bref. Dix mois ? Dix-huit mois ? Cette suspension apparaît vite inacceptablement et inexplicablement long.

Les limites du progrès et la marchandisation de la Santé

C'est un deuxième choc, la découverte épouvantable et pour la première fois depuis l'utilisation de la pénicilline, d'un ralentissement de ce progrès, espéré illimité, qui traîne à faire émerger un traitement ou un vaccin. Certes, on rend hommage aux soignants qui affrontent le fléau, et le contiennent, mais une inquiétude insupportable saisit les gens devant leurs tâtonnements et controverses. Finalement, il paraît intolérable de découvrir qu'on en est au même point face au Covid que nos grands-parents face à la grippe espagnole ; On se demande si finalement, à la fin de l'épisode, les pertes en vie humaine n'atteindront pas le même niveau malgré le fait que pourtant, contrairement à 1918, politiques et scientifiques s'agitent comme une mouche sur un carreau. La seule solution trouvée consiste à se terrer en attendant, non pas pour mettre fin à la menace mais pour diminuer la vitesse de propagation. Il s'agit de mettre en adéquation le nombre de malades avec les possibilités des hôpitaux. Aplatir la courbe devient le leitmotiv des responsables de la santé. Les failles d'un service de santé apparaissent alors.

Si les possibilités de soigner sont insuffisantes, c'est le résultat d'une politique de maîtrise des dépenses de Santé. Sa protection a été considérée dans notre civilisation des marchés et de la concurrence comme une charge à réduire. L'hôpital est devenu une entreprise qui doit travailler en tout temps à flux tendu. Tout le secteur médical a d'ailleurs été soumis aux règles de la concurrence par la loi du 12 mai 2016 votée par tous nos partis, sauf le CDH, dans l'idolâtrie des directives européennes de 2014. Pour prendre un exemple de l'origine de la pénurie actuelle, les normes d'agrément et de financement des services hospitaliers belges exigent que ceux-ci soient constamment remplis à 80%, tout en respectant des durées de séjour standardisés. Cela ne laisse aucune marge en cas de crises. En plus, une politique de réduction des lits vise à créer un rationnement des soins par diminution de l'offre. Elle est toujours en cours. A la suggestion ou avec l'approbation enthousiaste des experts du KCE, le plan gouvernemental prévoit d'encore supprimer 9.000 lits avant 2025. Le réseautage devrait en outre d'ici là concentrer le traitement des soins lourds dans quelques hôpitaux par région. Dans ce schéma, il n'y a peut-être moins ou pas de place pour des épidémies graves et persistantes et il y en aura encore moins lors de la prochaine épidémie.

Le modèle de la grippe espagnole

Si nous sommes ramenés au même point qu'en 1918, il est intéressant de se pencher sur l'histoire de la grippe espagnole, dont le Covid semble suivre le cheminement en dépit de réactions aux antipodes. Tout le monde sait que la grippe n'a eu d'espagnole que le nom. D'origine aviaire, née sur un canard en Chine, elle est transmise par les porcs. Elle est amenée au camp de Fort Riley au Kansas en mars 1918, par un paysan mobilisé qui avait été contaminé par sa bassecour. Elle est apportée en France par les troupes américaines au printemps et se diffuse d'abord à bas bruit. En octobre, elle éclate avec une virulence qui durera jusqu'en décembre 1918, période pendant laquelle on comptera le plus gros des victimes de la pandémie en Europe. Elle s'y éteint doucement au printemps 1919. Le retour des soldats américains aux USA et celui des troupes coloniales et du Commonwealth dans l'hémisphère sud y provoquent ensuite une catastrophe jusqu'en 1921 et notamment 18 millions de morts en Inde. La courbe de 1918-21 semble parallèle à celle que nous vivons, caractérisée par une deuxième phase plus virulente que la première.

Le nombre des décès attribués à la grippe espagnole se situerait finalement autour de 21.000

Le nombre de morts n'est toujours pas certain. Les évaluations ont été resserrées et fixées entre 30 et 50 millions de morts dans le monde (excusez la marge d'erreur) et 2,5 millions en Europe. Pour la Belgique, on en est réduit à des approches. La déclaration des cas n'était pas obligatoire et l'enregistrement des décès pendant la guerre ne fut pas toujours régulier. Il est frappant de constater que les chiffres des décès annuels dans ces années-là était grosso modo égal à ceux d'aujourd'hui mais pour une population de 7,4 millions d'habitants au lieu des 11,4 actuels : 119.000 décès en 1911, 117.000 en 1917, bondissant à 157.000 en 1918 pour retomber à 113.000 en 1919. La seule tuberculose représentait alors 17 % des causes de décès. Après 4 ans de privations, l'état de la population était lamentable et on constate que la moyenne d'âge des victimes de la grippe s'établit à 30 ans, grosse différence avec l'épidémie actuelle qui frappe majoritairement des personnes âgées. Dans la surmortalité de 1918, on compte 15.000 soldats tombés lors des violentes offensives et contre offensives de cette année décisive. Déduction faite de la surmortalité liée à la famine, le nombre des décès attribués à la grippe espagnole se situerait finalement autour de 21.000.

Pour contrer la grippe espagnole, Il n'y a pratiquement pas eu de mesures obligatoires nationales de prévention antigrippe. C'était la logique gouvernementale, puisque la censure interdisait toute évocation de l'épidémie pour empêcher un effondrement du moral. Coté militaire, les soldats grippés étaient isolés dans un hôpital dédié à Adinkerque. Coté civil, il n'y avait que des réactions locales, fermetures d'écoles et de théâtres, rassemblement limités, interdiction de cracher par terre. Il n'y avait en réalité pas le choix puisqu'il n'y avait presque pas de soignants disponibles, l'armée ayant mobilisé la majorité des médecins et infirmières. Ce n'est qu'aux Etats Unis que les masques ont été imposés et qu'aussitôt, la première Ligue anti-masque est née. En Belgique victorieuse, la faim régnait et l'essentiel des efforts du gouvernement était consacré au ravitaillement. Dans la population belge, on ne va pas dire que la pandémie est passée inaperçue, mais les esprits étaient dominés par la liesse de la victoire et le deuil des nombreux morts, les difficultés de la vie quotidienne et de la reconstruction, le soulagement du retour des absents et la joie de tous de se découvrir survivants de la grande boucherie. Se succédaient le retour les hommes réquisitionnés par les Allemands et emmenés dans leur retraite pour construire leurs ultimes lignes de défense puis les démobilisés et permissionnaires de l'Armée. Tous véhiculant le virus, sans guère de précautions. Mais cela semble ne pas avoir été la préoccupation première et la grippe espagnole est à peine ou pas du tout citée dans l'Histoire de cette époque (1).

(1) Patrick Zilberman, Comme en 1918,la grippe espagnole et nous, Eco Sciences MS Medecine sci,Paris,vol 22 N°8-9,aout- septembre 2006 ; André Lambert, La démographie de la Belgique durant la guerre 14-18, 2/2014 Adrass.net ; Benjamin Brulard, La grippe espagnole en Belgique occupée, dial UCL ,thèse 16082 ; Wikipedia ; Pauline Freour, La grippe espagnole, Le figaro Santé 29/4/2014 ; Nicolas Mignon ,La grippe espagnole frappe la Belgique RTBF thème 14-18, 27/10/2014 ; Les épidémies, rappel historique, Infovac 11 oct 2020.

Ils renoncent sans hésitation pour se sauver à tout ce pourquoi leurs pères ont sacrifié leur vie, comme les libertés démocratiques, la pratique de leurs religions, l'amour des autres. Pourquoi cette sidération ?D'abord, l'idée de mourir est révoltante. Depuis l'aube des temps, les êtres humains pensants ont cherché à donner un sens à la mort par le sacrifice soit par amour de ceux qu'ils aimaient, ou pour le bonheur des générations à venir, par une foi que ce soit dans le communisme ou en Dieu, dans la promesse d'un bonheur différé gagné par les sacrifices. Il y avait l'espoir réconfortant de la survie dans un paradis idéal. Dans l'Europe occidentale d'aujourd'hui, l'appétit de jouissance de tout, tout de suite, et la confiance dans une sciences omnipotente ont largement balayé ces attentes spirituelles.Dans mon enfance, la mort causait un chagrin aussi effroyable qu'aujourd'hui mais c'était un malheur, hélas, régulier et accepté avec fatalisme. Cette résignation a cédé le pas à la certitude d'un progrès rassurant et repoussant année par année le moment de disparaître. Au moment de la grippe espagnole il y a un siècle, l'espérance de vie se situait autour de 53 ans. Elle est aujourd'hui en moyenne de 80 ans et pour les femmes, bien plus. Or la pandémie covid-19 décime actuellement majoritairement les personnes âgées, ces miraculées de la médecine, qui ont survécu au fil des ans aux maladies vasculaires, aux cancers, aux pneumonies, aux méningites, aux grippes, aux angines de poitrine, à la tuberculose, jouant jadis le rôle de régulateurs naturels de la démographie. Tout à coup, c'est le grand bond en arrière. La nature s'avère plus forte que la science. Et pour que celle-ci reprenne le dessus, ce qui ne fait aucun doute, la vie est mise entre parenthèses pendant le temps d'un mauvais rêve qui ne peut qu'être bref. Dix mois ? Dix-huit mois ? Cette suspension apparaît vite inacceptablement et inexplicablement long.C'est un deuxième choc, la découverte épouvantable et pour la première fois depuis l'utilisation de la pénicilline, d'un ralentissement de ce progrès, espéré illimité, qui traîne à faire émerger un traitement ou un vaccin. Certes, on rend hommage aux soignants qui affrontent le fléau, et le contiennent, mais une inquiétude insupportable saisit les gens devant leurs tâtonnements et controverses. Finalement, il paraît intolérable de découvrir qu'on en est au même point face au Covid que nos grands-parents face à la grippe espagnole ; On se demande si finalement, à la fin de l'épisode, les pertes en vie humaine n'atteindront pas le même niveau malgré le fait que pourtant, contrairement à 1918, politiques et scientifiques s'agitent comme une mouche sur un carreau. La seule solution trouvée consiste à se terrer en attendant, non pas pour mettre fin à la menace mais pour diminuer la vitesse de propagation. Il s'agit de mettre en adéquation le nombre de malades avec les possibilités des hôpitaux. Aplatir la courbe devient le leitmotiv des responsables de la santé. Les failles d'un service de santé apparaissent alors.Si les possibilités de soigner sont insuffisantes, c'est le résultat d'une politique de maîtrise des dépenses de Santé. Sa protection a été considérée dans notre civilisation des marchés et de la concurrence comme une charge à réduire. L'hôpital est devenu une entreprise qui doit travailler en tout temps à flux tendu. Tout le secteur médical a d'ailleurs été soumis aux règles de la concurrence par la loi du 12 mai 2016 votée par tous nos partis, sauf le CDH, dans l'idolâtrie des directives européennes de 2014. Pour prendre un exemple de l'origine de la pénurie actuelle, les normes d'agrément et de financement des services hospitaliers belges exigent que ceux-ci soient constamment remplis à 80%, tout en respectant des durées de séjour standardisés. Cela ne laisse aucune marge en cas de crises. En plus, une politique de réduction des lits vise à créer un rationnement des soins par diminution de l'offre. Elle est toujours en cours. A la suggestion ou avec l'approbation enthousiaste des experts du KCE, le plan gouvernemental prévoit d'encore supprimer 9.000 lits avant 2025. Le réseautage devrait en outre d'ici là concentrer le traitement des soins lourds dans quelques hôpitaux par région. Dans ce schéma, il n'y a peut-être moins ou pas de place pour des épidémies graves et persistantes et il y en aura encore moins lors de la prochaine épidémie.Si nous sommes ramenés au même point qu'en 1918, il est intéressant de se pencher sur l'histoire de la grippe espagnole, dont le Covid semble suivre le cheminement en dépit de réactions aux antipodes. Tout le monde sait que la grippe n'a eu d'espagnole que le nom. D'origine aviaire, née sur un canard en Chine, elle est transmise par les porcs. Elle est amenée au camp de Fort Riley au Kansas en mars 1918, par un paysan mobilisé qui avait été contaminé par sa bassecour. Elle est apportée en France par les troupes américaines au printemps et se diffuse d'abord à bas bruit. En octobre, elle éclate avec une virulence qui durera jusqu'en décembre 1918, période pendant laquelle on comptera le plus gros des victimes de la pandémie en Europe. Elle s'y éteint doucement au printemps 1919. Le retour des soldats américains aux USA et celui des troupes coloniales et du Commonwealth dans l'hémisphère sud y provoquent ensuite une catastrophe jusqu'en 1921 et notamment 18 millions de morts en Inde. La courbe de 1918-21 semble parallèle à celle que nous vivons, caractérisée par une deuxième phase plus virulente que la première.Le nombre de morts n'est toujours pas certain. Les évaluations ont été resserrées et fixées entre 30 et 50 millions de morts dans le monde (excusez la marge d'erreur) et 2,5 millions en Europe. Pour la Belgique, on en est réduit à des approches. La déclaration des cas n'était pas obligatoire et l'enregistrement des décès pendant la guerre ne fut pas toujours régulier. Il est frappant de constater que les chiffres des décès annuels dans ces années-là était grosso modo égal à ceux d'aujourd'hui mais pour une population de 7,4 millions d'habitants au lieu des 11,4 actuels : 119.000 décès en 1911, 117.000 en 1917, bondissant à 157.000 en 1918 pour retomber à 113.000 en 1919. La seule tuberculose représentait alors 17 % des causes de décès. Après 4 ans de privations, l'état de la population était lamentable et on constate que la moyenne d'âge des victimes de la grippe s'établit à 30 ans, grosse différence avec l'épidémie actuelle qui frappe majoritairement des personnes âgées. Dans la surmortalité de 1918, on compte 15.000 soldats tombés lors des violentes offensives et contre offensives de cette année décisive. Déduction faite de la surmortalité liée à la famine, le nombre des décès attribués à la grippe espagnole se situerait finalement autour de 21.000.Pour contrer la grippe espagnole, Il n'y a pratiquement pas eu de mesures obligatoires nationales de prévention antigrippe. C'était la logique gouvernementale, puisque la censure interdisait toute évocation de l'épidémie pour empêcher un effondrement du moral. Coté militaire, les soldats grippés étaient isolés dans un hôpital dédié à Adinkerque. Coté civil, il n'y avait que des réactions locales, fermetures d'écoles et de théâtres, rassemblement limités, interdiction de cracher par terre. Il n'y avait en réalité pas le choix puisqu'il n'y avait presque pas de soignants disponibles, l'armée ayant mobilisé la majorité des médecins et infirmières. Ce n'est qu'aux Etats Unis que les masques ont été imposés et qu'aussitôt, la première Ligue anti-masque est née. En Belgique victorieuse, la faim régnait et l'essentiel des efforts du gouvernement était consacré au ravitaillement. Dans la population belge, on ne va pas dire que la pandémie est passée inaperçue, mais les esprits étaient dominés par la liesse de la victoire et le deuil des nombreux morts, les difficultés de la vie quotidienne et de la reconstruction, le soulagement du retour des absents et la joie de tous de se découvrir survivants de la grande boucherie. Se succédaient le retour les hommes réquisitionnés par les Allemands et emmenés dans leur retraite pour construire leurs ultimes lignes de défense puis les démobilisés et permissionnaires de l'Armée. Tous véhiculant le virus, sans guère de précautions. Mais cela semble ne pas avoir été la préoccupation première et la grippe espagnole est à peine ou pas du tout citée dans l'Histoire de cette époque (1).(1) Patrick Zilberman, Comme en 1918,la grippe espagnole et nous, Eco Sciences MS Medecine sci,Paris,vol 22 N°8-9,aout- septembre 2006 ; André Lambert, La démographie de la Belgique durant la guerre 14-18, 2/2014 Adrass.net ; Benjamin Brulard, La grippe espagnole en Belgique occupée, dial UCL ,thèse 16082 ; Wikipedia ; Pauline Freour, La grippe espagnole, Le figaro Santé 29/4/2014 ; Nicolas Mignon ,La grippe espagnole frappe la Belgique RTBF thème 14-18, 27/10/2014 ; Les épidémies, rappel historique, Infovac 11 oct 2020.