À côté de son travail de psychanalyste, Lydia Flem poursuit une carrière d'écrivain et de photographe qui la voit, 20 ans après le succès de "Comment j'ai vidé la maison de mes parents" revenir sur la question du deuil, qu'elle voudrait plus 'doux'.
Voici 20 ans, Lydia Flem " vidait la maison de ses parents " tout juste disparus, chaque objet, chaque écrit découvert faisant éclater à la surface de la conscience une bulle de souvenir enfoui. Deux décennies plus tard, la disparition de son compagnon Maurice Olander, qu'elle évoque pudiquement et tendrement en introduction de cet ouvrage, la replonge dans le deuil, et dans ce manque qui ne l'a jamais quittée de ses chers parents disparus. Dans " Que ce soit doux pour les vivants ", elle ne les évoque plus, cette fois, au travers des objets, mais ils deviennent " objet " eux-mêmes de son évocation.
Le Journal du médecin : Votre mère était couturière. Tricoteriez-vous des livres à partir de votre histoire personnelle dans une sorte d'hommage à votre mère ?
Lydia Flem : C'est certain. D'autant que le mot 'texte' possède la même racine que 'textile' : il existe un lien entre l'écriture et la couture. Et, à l'image de Pénélope, on défait parfois en écriture le soir ce que l'on a fait durant la journée. En fait, je me sentais investie d'une mission puisque mon compagnon, décédé depuis et qui était mon éditeur, avait eu cette idée non pas saugrenue, mais inattendue, de proposer une suite 20 ans après à mon ouvrage " Comment j'ai vidé la maison de mes parents ".
Dans la tradition juive et dans cette civilisation du " Livre " dont vous êtes issue, dix juifs qui se réunissent forment une synagogue lorsqu'il n'en existe pas. L'écriture serait-elle également une façon de matérialiser quelque chose dans cette même tradition, une façon aussi, presque, de résister ?
Après la disparition du temple et la dispersion des juifs, c'est le Livre et l'apprentissage, les commentaires, qui remplacent la matérialité du lieu et du temple. Dans la tradition juive, même athée, ce qui est le cas de ma famille, apprendre, lire, écrire est fondamental, quelles que soient les circonstances et quelle que soit la langue. Mes parents ont été amenés à parler des langues diverses. Personnellement, j'ai encore le sentiment que si je n'ai pas appris quelque chose au cours de la journée, j'ai perdu mon temps. Cela donne un sens à ma vie d'apprendre... et puis il paraît que c'est bon pour les neurones (elle sourit). J'adore écouter la radio et, notamment, j'écoute beaucoup d'émissions sur France Culture la nuit. Il y a des choses formidables, et particulièrement dans des domaines que je connais pas, notamment les sciences dures.
Menie Grégoire
Justement, vous avez travaillé avec Menie Grégoire qui animait à l'époque une émission sur la sexualité sur RTL : puisque vous êtes psychanalyste, au niveau de l'écoute, écouter la radio, cela faisait déjà sens...
C'est grâce à Menie Grégoire, qui fut une pionnière, et à ses émissions, que je suis devenue psychanalyste. J'avais réalisé un mémoire en sociologie à propos de son émission sur la sexualité. Mon directeur de mémoire m'a conseillé de me rendre sur place. Donc je suis allée à Paris, je l'ai rencontrée, elle et son équipe. Son assistante venait de lui annoncer qu'elle allait prendre son congé de maternité et Menie Grégoire s'est tournée vers moi, parce je connaissais bien son émission et je l'avais étudiée. Elle m'a proposé de la remplacer pendant quelques mois. À 22 ans, C'était un cadeau incroyable. Une des choses qui m'a beaucoup marquée, c'était qu'il y avait des sacs de milliers de lettres tous les jours, sans compter les personnes qui téléphonaient. Son équipe était également composée d'étudiants qui prenaient le téléphone, écoutaient les personnes et sélectionnaient celles qui allaient pouvoir parler à Menie au téléphone. Cela me touchait de savoir que nombre d'entre eux n'obtiendraient pas réponse. Menie Grégoire suscitait un énorme transfert, évidemment, mais elle ne pouvait pas répondre aux milliers de gens qui l'écoutaient. Je me permettais de glisser quelques adresses afin de venir en aide aux autres personnes. Après un an de cette expérience incroyable, j'ai entrepris de nouvelles études psy. Et c'est également l'époque, en 1974, de la sortie du livre de Marie Cardinal, un des premiers livres qui racontait une expérience psychanalytique. Et qui a dû également influencer mon choix.
Êtes-vous devenue psychanalyste du fait de la tragédie familiale ?
À la fois psychanalyste et écrivain. Ces deux domaines, et plus tard la photographie, sont une manière pour moi de répondre à la tragédie familiale ; née quelques années après la guerre, planaient pourtant dans l'air le souvenir et la mémoire de tous ces morts, tous ces assassinés. Mes parents étaient deux jeunes gens traumatisés qui essayaient de donner une chance à la vie, à l'amour, à la naissance, à la renaissance. Les enfants sont des éponges : je ressentais des choses que je ne pouvais comprendre, étant trop jeune. Depuis toujours, j'ai eu ce désir de mettre des mots sur des silences ou des difficultés à énoncer les choses. Mes parents avaient fait le pacte de croire à l'avenir.
La science du souvenir
Dire l'indicible est impossible, mais il peut, peut-être, s'écrire ?
C'est la tentative et l'espoir... si du moins j'y parviens. (elle sourit)
La psychanalyse ne serait-elle pas la science du souvenir ?
On peut le formuler de la sorte : la science et le souvenir et, également, pour en revenir à Pénélope, de quelque chose de noué, à renouer ou à dénouer ; la manière dont les souvenirs nous habitent et nous font parfois souffrir. Certains doivent être remaniés afin de pouvoir les envisager autrement, de façon plus apaisée.
Écrire, en quelque sorte, c'est donc faire vivre, et c'est éviter la prescription pour filer le mauvais jeu de mots médical ?
C'est faire vivre, faire survivre et, en effet, garder une trace la plus vivante possible. Là aussi, les témoins ne sont plus là. Raison pour laquelle j'ai décidé de faire un chapitre sur le témoignage de ma mère, résistante et déportée.
Vous écrivez non pas dans la durée, mais pour la durée ?
C'est une jolie formule. Le temps passant, qu'on le veuille ou non, c'est une façon de retenir le souvenir ou de le garder vivant pour que ça puisse continuer à nous accompagner, pour nous faire réfléchir à ce que c'est aussi, être un être humain.
Lydia Flem. Que ce soit doux pour les vivants. Seuil.
Voici 20 ans, Lydia Flem " vidait la maison de ses parents " tout juste disparus, chaque objet, chaque écrit découvert faisant éclater à la surface de la conscience une bulle de souvenir enfoui. Deux décennies plus tard, la disparition de son compagnon Maurice Olander, qu'elle évoque pudiquement et tendrement en introduction de cet ouvrage, la replonge dans le deuil, et dans ce manque qui ne l'a jamais quittée de ses chers parents disparus. Dans " Que ce soit doux pour les vivants ", elle ne les évoque plus, cette fois, au travers des objets, mais ils deviennent " objet " eux-mêmes de son évocation.Le Journal du médecin : Votre mère était couturière. Tricoteriez-vous des livres à partir de votre histoire personnelle dans une sorte d'hommage à votre mère ?Lydia Flem : C'est certain. D'autant que le mot 'texte' possède la même racine que 'textile' : il existe un lien entre l'écriture et la couture. Et, à l'image de Pénélope, on défait parfois en écriture le soir ce que l'on a fait durant la journée. En fait, je me sentais investie d'une mission puisque mon compagnon, décédé depuis et qui était mon éditeur, avait eu cette idée non pas saugrenue, mais inattendue, de proposer une suite 20 ans après à mon ouvrage " Comment j'ai vidé la maison de mes parents ". Dans la tradition juive et dans cette civilisation du " Livre " dont vous êtes issue, dix juifs qui se réunissent forment une synagogue lorsqu'il n'en existe pas. L'écriture serait-elle également une façon de matérialiser quelque chose dans cette même tradition, une façon aussi, presque, de résister ?Après la disparition du temple et la dispersion des juifs, c'est le Livre et l'apprentissage, les commentaires, qui remplacent la matérialité du lieu et du temple. Dans la tradition juive, même athée, ce qui est le cas de ma famille, apprendre, lire, écrire est fondamental, quelles que soient les circonstances et quelle que soit la langue. Mes parents ont été amenés à parler des langues diverses. Personnellement, j'ai encore le sentiment que si je n'ai pas appris quelque chose au cours de la journée, j'ai perdu mon temps. Cela donne un sens à ma vie d'apprendre... et puis il paraît que c'est bon pour les neurones (elle sourit). J'adore écouter la radio et, notamment, j'écoute beaucoup d'émissions sur France Culture la nuit. Il y a des choses formidables, et particulièrement dans des domaines que je connais pas, notamment les sciences dures.Justement, vous avez travaillé avec Menie Grégoire qui animait à l'époque une émission sur la sexualité sur RTL : puisque vous êtes psychanalyste, au niveau de l'écoute, écouter la radio, cela faisait déjà sens...C'est grâce à Menie Grégoire, qui fut une pionnière, et à ses émissions, que je suis devenue psychanalyste. J'avais réalisé un mémoire en sociologie à propos de son émission sur la sexualité. Mon directeur de mémoire m'a conseillé de me rendre sur place. Donc je suis allée à Paris, je l'ai rencontrée, elle et son équipe. Son assistante venait de lui annoncer qu'elle allait prendre son congé de maternité et Menie Grégoire s'est tournée vers moi, parce je connaissais bien son émission et je l'avais étudiée. Elle m'a proposé de la remplacer pendant quelques mois. À 22 ans, C'était un cadeau incroyable. Une des choses qui m'a beaucoup marquée, c'était qu'il y avait des sacs de milliers de lettres tous les jours, sans compter les personnes qui téléphonaient. Son équipe était également composée d'étudiants qui prenaient le téléphone, écoutaient les personnes et sélectionnaient celles qui allaient pouvoir parler à Menie au téléphone. Cela me touchait de savoir que nombre d'entre eux n'obtiendraient pas réponse. Menie Grégoire suscitait un énorme transfert, évidemment, mais elle ne pouvait pas répondre aux milliers de gens qui l'écoutaient. Je me permettais de glisser quelques adresses afin de venir en aide aux autres personnes. Après un an de cette expérience incroyable, j'ai entrepris de nouvelles études psy. Et c'est également l'époque, en 1974, de la sortie du livre de Marie Cardinal, un des premiers livres qui racontait une expérience psychanalytique. Et qui a dû également influencer mon choix.Êtes-vous devenue psychanalyste du fait de la tragédie familiale ? À la fois psychanalyste et écrivain. Ces deux domaines, et plus tard la photographie, sont une manière pour moi de répondre à la tragédie familiale ; née quelques années après la guerre, planaient pourtant dans l'air le souvenir et la mémoire de tous ces morts, tous ces assassinés. Mes parents étaient deux jeunes gens traumatisés qui essayaient de donner une chance à la vie, à l'amour, à la naissance, à la renaissance. Les enfants sont des éponges : je ressentais des choses que je ne pouvais comprendre, étant trop jeune. Depuis toujours, j'ai eu ce désir de mettre des mots sur des silences ou des difficultés à énoncer les choses. Mes parents avaient fait le pacte de croire à l'avenir.Dire l'indicible est impossible, mais il peut, peut-être, s'écrire ?C'est la tentative et l'espoir... si du moins j'y parviens. (elle sourit)La psychanalyse ne serait-elle pas la science du souvenir ? On peut le formuler de la sorte : la science et le souvenir et, également, pour en revenir à Pénélope, de quelque chose de noué, à renouer ou à dénouer ; la manière dont les souvenirs nous habitent et nous font parfois souffrir. Certains doivent être remaniés afin de pouvoir les envisager autrement, de façon plus apaisée.Écrire, en quelque sorte, c'est donc faire vivre, et c'est éviter la prescription pour filer le mauvais jeu de mots médical ?C'est faire vivre, faire survivre et, en effet, garder une trace la plus vivante possible. Là aussi, les témoins ne sont plus là. Raison pour laquelle j'ai décidé de faire un chapitre sur le témoignage de ma mère, résistante et déportée. Vous écrivez non pas dans la durée, mais pour la durée ?C'est une jolie formule. Le temps passant, qu'on le veuille ou non, c'est une façon de retenir le souvenir ou de le garder vivant pour que ça puisse continuer à nous accompagner, pour nous faire réfléchir à ce que c'est aussi, être un être humain.