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"La nuit, si j'ai le malheur d'oublier de débrancher mon wifi ou que je suis de garde, je me réveille parce que j'entends sur mon téléphone l'arrivée d'une alerte Inami ", nous confie cette généraliste, épuisée. Au matin, je découvre des tas de messages de l'Inami qui concernent les généralistes et de nombreux autres prestataires de soins. Ces informations partent dans tous les sens : du remboursement d'un pansement aux nouvelles règles pour les opticiens... En outre, je ne souviens pas de m'être inscrite à cette alerte. Je remarque d'ailleurs que des confrères ignorent l'existence de ces alertes. Or, au milieu de toutes ces informations, il y a parfois une circulaire importante pour la médecine générale. Donc, il faut parcourir, trier et jeter toutes ces nouvelles. Il y a des gens qui sont en burn-out pour moins que cela... Dans d'autres professions, les travailleurs auraient déjà porté plainte pour harcèlement professionnel. "Le pire, ce sont évidemment les profils d'activité, envoyés régulièrement, et les rapports complets analysant cette activité." J'ai reçu en février un 'bulletin' de six à huit pages avec des gommettes de couleurs... comme si j'étais encore à l'école maternelle. Avant, ce document contenait des statistiques, des courbes de Gauss et des histogrammes. Mon petit-fils qui est en maternelle reçoit déjà des évaluations plus élaborées ! Ce 'feed-back individuel des médecins généralistes' est vexatoire lorsqu'on exerce la médecine générale depuis des dizaines d'années, qu'on a un diplôme de médecine et qu'on suit des formations continues accréditées et participe à des Glems. L'Inami me reproche, entre autres, d'effectuer trop de bilans de santé. Récemment, sur l'insistance d'une patiente qui se sentait anormalement fatiguée, je décide finalement de demander un examen sanguin malgré le fait que son dernier datait d'il y a quelques mois. Heureusement ! Les résultats ont permis de déceler une leucémie. Faut-il rappeler que le patient ne se présente pas à la porte du cabinet avec son diagnostic collé sur une étiquette sur son front... ? Ce serait trop facile. "Et la généraliste de remarquer que le feed-back pointe des " abus " qui n'en sont pas. " 'J'expose mes patients à des rayonnements d'imagerie médicale obsolète', puis-je lire dans le rapport. Or, je passe mon temps à dire aux patients qu'ils ne doivent pas faire trop faire d'examens radiographiques. Je n'envoie jamais un patient réaliser un scanner, si je n'ai pas des arguments solides. Je veux bien envoyer les patients faire des IRM mais celles-ci sont saturées. Il faut choisir : mettre un patient en incapacité de travail durant trois mois le temps d'avoir un rendez-vous pour une IRM ou essayer de trouver une solution plus rapidement. Où est la logique dans tout cela ? "A écouter ce médecin, ce feed-back semble tout à fait contre-productif. " En plus, quand on a deux années consécutives une gommette rouge dans son 'bulletin' pour le même item, on risque d'être appelé au Service d'évaluation et de contrôle médicaux (SECM) et de devoir se justifier, voire de devoir rembourser en dépassement d'honoraires et de payer une amende qui peut s'élever à cinquante fois le coût des prestations. Cela fait peur ! "Et que dire du rapport personnalisé d'une soixantaine de pages envoyé à tous les généralistes ? " L'Inami nous explique, rubrique par rubrique, comment nous pouvons nous corriger. Je n'ai pas encore eu le courage de le lire ", confie la généraliste. " En plus, j'aimerais savoir ce que ce travail doit coûter. Les actuaires de l'Inami ont un autre salaire que moi en tant que médecin généraliste ! "Et de se souvenir également d'avoir reçu quelques jours après ce rapport, en pleine nuit, un autre cadeau : " le guide de bonnes pratiques - infobox " de 206 pages. " On a l'impression d'être en dernière année de médecine et qu'on doit tout nous réexpliquer : jusqu'à comment rédiger une ordonnance ! Qui a le temps de lire tout cela. Idéalement, il faudrait l'imprimer après avoir acheté une réserve de cartouches et du papier. Ce guide comprend à chaque réédition plus de consignes. Plutôt que de harceler toujours les généralistes, je propose que l'Inami envoie le même genre de documents aux patients et aux autres prestataires de soins pour les responsabiliser également. Je ne compte plus les coups de fil de patients que je reçois chaque jour pour rédiger des prescriptions déjà réalisées par des kinés ou pour des médicaments, par exemple des antibiotiques, délivrés par des pharmaciens sans m'avoir consultée préalablement. "Heureusement, ce médecin - qui signale qu'elle doit consacrer plus de temps qu'avant par patient pour remplir tous les documents administratifs et gagne donc moins à l'heure- continue d'aimer son métier de généraliste grâce aux contacts de proximité avec ses patients et au challenge intellectuel quotidien que représente l'exercice de la médecine générale.