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Ces dernières semaines ont été agitées pour Natalie Eggermont (27 ans). " Nous étions prêts à nous embarquer pour Paris avec quelque 10.000 personnes pour participer à la marche pour le climat, pour faire entendre notre voix ", explique-t-elle. La manifestation, qui aurait dû se tenir dimanche dernier, a toutefois été annulée à la suite des attentats que l'on sait. " Nous avons donc voulu organiser un rassemblement à Bruxelles, mais celui-ci n'a pas été autorisé [à cause de la menace terroriste, ndlr]... et lorsque nous avons voulu nous rabattre sur Ostende, nous nous sommes heurtés à un nouveau refus : les services de police locaux nous ont fait savoir que tout le personnel disponible était requis à Bruxelles pour assurer la sécurité du sommet européen ! " Pourquoi cette grande manifestation revêt-elle une telle importance ? Notre société se trouve aujourd'hui face à un défi colossal. Les émissions annuelles de gaz à effet de serre devraient atteindre un pic d'ici 2020 avant de diminuer rapidement pour parvenir à une situation de neutralité climatique en 2050. Nous n'atteindrons pas ces objectifs en attendant que les initiatives de la base s'enracinent : nous devons avoir aux commandes un gouvernement qui pose des choix durables - des choix qui finiront par devenir une évidence pour chacun d'entre nous. Pour cela, il faut une mobilisation massive, et c'est cela que nous essayons de réaliser au travers de Climate Express. Manifester est important, mais des boycotts à grande échelle, des grèves et une désobéissance civile seront également nécessaires. Je pense que les Belges sont prêts à accepter beaucoup de choses à condition que le combat prenne la forme d'actions ludiques et créatives. Qu'attendez-vous du sommet climatique ? Les négociateurs internationaux ne peuvent plus se permettre de revenir sans accord, comme ce fut le cas il y a six ans à Copenhague. Cela dit, même si cet accord est évidemment en soi le but de la conférence de Paris, je ne pense pas qu'un consensus tombera du ciel. Sur la base des plans introduits jusqu'ici, nous sommes partis pour un réchauffement de 2,7°C, alors que la limite considérée comme sûre est de 2°C - ce qui est déjà, en soi, un compromis politique. Si nous voulons atteindre cette norme, 80 % des réserves de combustibles fossiles connues devront rester sous terre... mais cette notion de combustibles fossiles n'apparaît pas une seule fois dans le texte provisoire, ce qui en dit long. C'est manifestement une question qui vous tient à coeur. Pensez-vous que le grand public se soucie suffisamment du changement climatique ? Non, mais ce n'est pas vraiment étonnant. Les rapports climatiques, les brouillons publiés à l'occasion des négociations sur le climat... il n'y a vraiment que les négociateurs eux-mêmes et les activistes chevronnés qui y comprennent quelque chose. Comment être impliqué et agir en faveur du climat sans comprendre de quoi il est question ? Dans les médias aussi, le changement climatique est présenté essentiellement comme une affaire d'experts, alors que ce n'est pas le cas. Il s'agit d'une thématique complexe, c'est vrai, mais si on leur explique de quoi il s'agit, la plupart des gens n'en ont pas moins une opinion. En définitive, tout revient à savoir quelles sont nos ambitions, qui va payer et comment nous allons répartir les moyens disponibles. (poursuit sur sa lancée) Je crois toutefois aussi que c'est une erreur que de présenter la problématique du climat comme un cataclysme, car la peur paralyse. Et le fait que l'on donne également la parole aux climato-sceptiques crée l'impression qu'il existe un débat scientifique... alors que ce ne sont pas les scientifiques qui ne parviennent pas à se mettre d'accord mais les politiciens. Le problème du climat est surtout l'enjeu d'un débat politique. Ceux qui nous gouvernent sont-ils suffisamment conscients des conséquences du changement climatique ? En 1988 déjà, le spécialiste du climat américain James Hansen a attiré l'attention sur les conséquences de l'effet de serre. Cela fait donc 30 ans que nos politiciens sont prévenus. Le débat fait toutefois intervenir une foule d'intérêts et de jeux de pouvoir. Chaque accord climatique est le reflet des pays qui dominent la scène internationale à ce point dans le temps. Ne vous leurrez pas : le climat n'est pas une histoire d'ours polaires, d'éoliennes et de panneaux solaires mais de pétrole, d'argent et de pouvoir. Que peuvent faire les autorités ? Elles devraient investir dans des solutions durables qui soient accessibles et abordables pour tout un chacun. Pour ne vous donner qu'un exemple, l'État débourse chaque année deux milliards d'euros pour financer des tarifs fiscaux intéressants pour les voitures de société tout en rognant sur le budget des transports en commun, alors qu'il faudrait justement investir dans les transports publics, dans l'isolation des logements, dans le réseau électrique. Ces investissements à grande échelle ne peuvent pas venir du secteur privé, qui est encore plus focalisé sur ses bénéfices. C'est donc au gouvernement de prendre les choses en main afin de donner un coup d'accélérateur à ces mesures. Vous avez dit plus haut que le changement climatique est avant tout un débat politique. Un mouvement tel que Climate Express peut-il vraiment faire le poids face à l'influence des grands dirigeants ? Le mouvement climatique s'est développé au fil des années et des sommets internationaux, et il commence peu à peu à engranger des victoires. L'université d'Oxford a mis un terme à ses investissements dans les combustibles fossiles, tout comme, plus récemment, le principal fonds de pension de Norvège. Le combat de Climate Express ne concerne pas que ce sommet climatique : il existe une tension permanente entre d'une part les pays et les entreprises qui défendent un statu quo et d'autre part les mouvements de la base en faveur du climat. Ce vaste soutien populaire est nécessaire pour forcer les autorités - et en particulier les autorités belges - à prendre leurs responsabilités. Jusqu'où Climate Express est-il prêt à aller pour faire passer ses revendications ? Tout en restant évidemment à l'écart de toute violence, je pense qu'il n'est pas mauvais d'élargir le registre de l'opposition sociale. La mobilisation est encore trop souvent associée aux manifestations, alors qu'il existe d'autres manières de faire bouger les gens. Je songe par exemple à l'activiste des droits civiques américaine Rosa Parks et à son refus de céder sa place dans le bus ou à Desmond Tutu, qui a appelé récemment au boycott de tous les événements sportifs sponsorisés par des firmes de combustibles fossiles. Ce ne sont pas les exemples qui manquent... et pourtant, j'ai l'impression que de nombreuses possibilités restent sous-exploitées, comme si nous ne savions plus comment mener des actions. Indépendamment de cela, il est évidemment important de toujours tenir compte de l'opinion publique et de ne rien entreprendre qui ne bénéficie du soutien de la plus grande part de la population. D'où vient votre motivation ? En 2009, j'ai eu l'occasion de lire un rapport du Lancet qui affirmait que le changement climatique est, au 21e siècle, la plus grave menace pour notre santé. Elle a un impact sur tous les déterminants sociaux de la santé et, si nous ne prenons pas d'urgence les mesures nécessaires, tout ce que nous avons réalisé à l'échelon mondial au niveau de la santé et de lutte contre la pauvreté dans le cadre des objectifs du millénaire risque d'être réduit à néant. Pour moi, pas question de rester les bras croisés. Vous êtes actuellement urgentiste en formation à l'UZ Brussel. Iriez-vous un jour jusqu'à renoncer à votre métier pour pouvoir vous investir pleinement en faveur du climat ? Non, j'aime ma vie telle qu'elle est. Je pense qu'il est important de garder les pieds sur terre et de savoir ce que pense la population. Si je travaillais à temps plein pour une organisation comme Greenpeace, je n'aurais plus de contacts qu'avec des personnes qui pensent comme moi, alors que j'aime justement beaucoup les échanges d'idées avec les autres médecins et avec les patients. Cela me permet d'élargir mon champ de vision, même si ce n'est pas toujours évident. Si j'ai déjà contaminé beaucoup de collègues avec le virus de l'écologie ? À l'hôpital, je suis évidemment en premier lieu médecin, mais je remarque parfois que certains voient d'un mauvais oeil la masse de matériel à usage unique. J'en profite alors pour lancer le sujet du changement climatique.