Cher Monsieur de Pape,

C'est un vieux sentiment d'agacement qui me pousse à vous écrire. Votre éditorial " Économies sans vision " m'a interpellé, notamment votre conclusion : " Ce budget ne fait que refléter une société qui a perdu de vue l'essentiel : soigner, protéger, innover. " Vous étiez proche de la racine du problème, mais pas tout à fait.

Contrairement aux discours officiels depuis des décennies, la Belgique n'a jamais eu de véritable " système de santé ". À l'exception de la mini-" Composante Santé " de l'Armée belge et des plans d'urgence des pompiers et hôpitaux, utiles lors des attentats de 2016, il n'y a pas de gestion cohérente de la santé publique.

Rôle marginal pour les soignants

En 1946, le ministre de la Santé publique, Albert Marteaux, avait tenté d'organiser le système de soins. Mais il fut rapidement écarté en 1947, remplacé par un membre du CVP, plus proche des mutualités (et aussi parce que ni le Président Truman ni le Général Marshall ne voulaient d'un chirurgien communiste dans le gouvernement belge alors sous tutelle américaine). Depuis lors, la gestion financière de la santé a été transférée au FNAMI, devenu l'Inami en 1963, dominé par les partenaires sociaux et les mutualités. Les soignants, eux, n'ont qu'un rôle marginal.

Aujourd'hui, l'Inami est un institut d'assurance censé gérer la dispensation des soins. Pourtant, son personnel produit surtout des contraintes administratives sans s'intéresser à la nature des soins. Les plans, formulaires et procédures s'empilent, comme le montre l'exemple du Plan d'Urgence Hospitalier(PUH), dont la mise en oeuvre est complexe et bureaucratique.

Raisonnement purement comptable

Cette institution raisonne principalement en termes administratifs et comptables, ignorant l'évolution des traitements médicaux. Qui aurait prévu la fermeture des sanatoriums grâce aux médicaments antituberculeux ou l'émergence des immunothérapies et transplantations cardiaques ? Pourtant, l'INAMI continue à freiner l'innovation : elle a interdit le premier scanner acheté par des radiologues privés et limite encore aujourd'hui le nombre d'appareils IRM (tout en prétendant favoriser l'usage de l'IRM).

La pandémie de Covid-19 a révélé ces lacunes : en avril 2020, l'achat des masques chirurgicaux par le SPF-Défense fut un fiasco de plus.

En définitive, est-ce aux assureurs de diriger les soins ? Devraient-ils gérer des entreprises, des écoles ou choisir le menu d'un restaurant ? Cette question fondamentale semble ignorée par les médias. Seule la Belgique fonctionne ainsi. En France, les mutuelles n'assurent que les complémentaires santé sans rôle réglementaire.

Avec un SPF Santé publique démuni face aux multiples ministères régionaux et communautaires, la gestion ressemble davantage à un " Rubik's Cube " qu'à une structure efficace. Ce " mille-feuille administratif " empêche toute vision globale de la santé.

Votre conclusion est juste : " Une société qui a perdu de vue l'essentiel ". Mais depuis la loi du 9 août 1963, soigner, protéger et innover n'ont plus jamais été une priorité.

Dr Charles Kariger

Cher Monsieur de Pape,C'est un vieux sentiment d'agacement qui me pousse à vous écrire. Votre éditorial " Économies sans vision " m'a interpellé, notamment votre conclusion : " Ce budget ne fait que refléter une société qui a perdu de vue l'essentiel : soigner, protéger, innover. " Vous étiez proche de la racine du problème, mais pas tout à fait.Contrairement aux discours officiels depuis des décennies, la Belgique n'a jamais eu de véritable " système de santé ". À l'exception de la mini-" Composante Santé " de l'Armée belge et des plans d'urgence des pompiers et hôpitaux, utiles lors des attentats de 2016, il n'y a pas de gestion cohérente de la santé publique.En 1946, le ministre de la Santé publique, Albert Marteaux, avait tenté d'organiser le système de soins. Mais il fut rapidement écarté en 1947, remplacé par un membre du CVP, plus proche des mutualités (et aussi parce que ni le Président Truman ni le Général Marshall ne voulaient d'un chirurgien communiste dans le gouvernement belge alors sous tutelle américaine). Depuis lors, la gestion financière de la santé a été transférée au FNAMI, devenu l'Inami en 1963, dominé par les partenaires sociaux et les mutualités. Les soignants, eux, n'ont qu'un rôle marginal.Aujourd'hui, l'Inami est un institut d'assurance censé gérer la dispensation des soins. Pourtant, son personnel produit surtout des contraintes administratives sans s'intéresser à la nature des soins. Les plans, formulaires et procédures s'empilent, comme le montre l'exemple du Plan d'Urgence Hospitalier(PUH), dont la mise en oeuvre est complexe et bureaucratique.Cette institution raisonne principalement en termes administratifs et comptables, ignorant l'évolution des traitements médicaux. Qui aurait prévu la fermeture des sanatoriums grâce aux médicaments antituberculeux ou l'émergence des immunothérapies et transplantations cardiaques ? Pourtant, l'INAMI continue à freiner l'innovation : elle a interdit le premier scanner acheté par des radiologues privés et limite encore aujourd'hui le nombre d'appareils IRM (tout en prétendant favoriser l'usage de l'IRM).La pandémie de Covid-19 a révélé ces lacunes : en avril 2020, l'achat des masques chirurgicaux par le SPF-Défense fut un fiasco de plus.En définitive, est-ce aux assureurs de diriger les soins ? Devraient-ils gérer des entreprises, des écoles ou choisir le menu d'un restaurant ? Cette question fondamentale semble ignorée par les médias. Seule la Belgique fonctionne ainsi. En France, les mutuelles n'assurent que les complémentaires santé sans rôle réglementaire.Avec un SPF Santé publique démuni face aux multiples ministères régionaux et communautaires, la gestion ressemble davantage à un " Rubik's Cube " qu'à une structure efficace. Ce " mille-feuille administratif " empêche toute vision globale de la santé.Votre conclusion est juste : " Une société qui a perdu de vue l'essentiel ". Mais depuis la loi du 9 août 1963, soigner, protéger et innover n'ont plus jamais été une priorité.Dr Charles Kariger