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Le panel a été judicieusement choisi. Un médecin en zone de pénurie, un étudiant en médecine, le directeur général de l'Inami, un représentant mutuelliste, une représente des patients et même un spécialiste. Chacun s'est exprimé en son nom, a assuré parler en son nom. Pourtant, le public présent a entendu une même voix. Tous, à quelques détails près, ont tiré dans le même sens. Un sens très social.Le premier à avoir pris la parole, Bruno De Muylder, étudiant en dernière année de médecine, a donné le ton. Il a balayé par son aisance de tribun né les discours de la ministre et de la présidente du GBO. Son discours, loin d'être mou, fut engagé, plein de culot, non sans humour. Et non sans une conception du monde idéalisée dont seuls les étudiants en médecine ont le secret. Ces fameuses utopies mobilisatrices qui concluront le débat. C'est qu'il a tout dit, ou presque, en huit minutes. Un vrai vent de fraicheur dans une assemblée presque exsangue de jeunesse. Un système solidaire Tous ont vanté les valeurs sociales de notre système de santé. La qualité des soins est indéniable : " 64% des Belges pensent que la qualité des soins est meilleure chez nous que chez nos voisins européens ", assure le Docteur Alex Peltier, représentant du CIN. " C'est un indice de satisfaction pour le médecin généraliste, et cela montre la grande confiance, la grande fidélité de la relation patient-médecin. "Un point sur lequel s'accorde totalement le docteur Gérald Deschietere, psychiatre, co-président du MoDeS. " On peut être fier de notre pays de la qualité des soins de notre pays. Dans les pays limitrophes, l'accès aux soins peut être beaucoup plus compliqué. Il faut insister pour ne pas détricoter cette qualité de soins. " Et le Dr De Ridder, directeur général de l'Inami, de rajouter. " La satisfaction de la population est une force. Le système est soutenu par la population. Ce qui veut dire également que faire évoluer le système n'est pas un choc à cause d'un ras-le-bol, mais une nécessité de changement au sein même du système. "Le système de soins basé sur la solidarité a également fait l'unanimité. Pas toujours pour les mêmes raisons. Pour Bruno De Muylder, il faut saluer le fait qu'il soit " majoritairement financé et géré par le public, au même titre que la formation qui est globalement bonne. " Pour Ri De Ridder, " la solidarité est le point fort de notre système. Riches ou pauvres, il ne doit pas y avoir de distinction. Tous les acteurs privés ou publics sont dans le système, et il n'y a pas de clivage. C'est une réussite d'impliquer tout le monde dans le jeu. " Des patients à double tranchant D'autres points forts ont suscité plus de remarques, de nuances. C'est le cas notamment de l'informatisation et de l'emporwerment du patient. Pour le premier sujet, le docteur Justine Perdaens, jeune médecin, explique : " L'informatisation est un point fort dans la gestion des données, du patient, dans la formation quotidienne. Mais le point faible, c'est qu'il y a énormément de nouvelles démarches liées à l'informatique, et que cela est chronophage. J'ai le sentiment de ne pas avoir le temps pour faire ce qu'il faut au quotidien par exemple pour les SUMEHR. Ce n'est pas prioritaire, même si je me rends compte de l'importance de l'outil informatique. "Question autonomie du patient, évidement, médecin et patient ont un point de vue contrasté pour ne pas dire opposé. " Une bonne chose est que le patient devienne acteur de sa santé. On est plus dans une médecine paternaliste. La contrepartie, c'est que le patient oublie qu'il a un partenaire idéal pour être l'acteur de sa santé : le médecin généraliste. Le patient a tendance à court-circuiter ce relais pour se retrouver en deux ou troisième ligne. C'est une perte de temps et d'argent. Finalement, il n'est pas encore le bon acteur de sa santé. "Pour Micky Fierens, directrice de la Luss (Ligue des usagers des soins de santé), évidemment, la situation est différente, bien qu'elle affirme avoir " un point de vue complémentaire. " La liberté du choix du prestataire est quelque chose de primordiale pour le patient. Se retrouver directement en deuxième ligne ne pose pas de problème pour un malade chronique par exemple. " Le suivi est important avec le médecin généraliste, mais c'est à vous de faire un effort de communication. Le patient passe souvent par le généraliste qui le redirige vers le spécialiste. Le problème vient plutôt de la communication du spécialiste vers le généraliste. "Plus particulièrement sur la question de l'autonomie du patient, on se rend compte du double jeu de la Luss : conserver le pouvoir du libre choix du prestataire, sans avoir trop de responsabilité dans sa prise en charge, à moins d'en faire la demande. Les patients ne veulent pas spécialement d'un système de santé où l'empowerment prend un poids trop important. C'est une responsabilité dont les patients aimeraient parfois se défaire, selon les cas. " Il ne faut pas déplacer le curseur de la responsabilité de manière trop forte vers le patient ", explique Micky Fierens. L'accessibilité, éternel idéal L'accessibilité aux soins n'a pas fait l'unanimité. La couverture est presque irréprochable (99% de la population) mais l'accessibilité a le défaut de ses qualités pour le Dr Deschietere. " Plus on est accessible, moins on est organisé. Je pense au débat sur le passage par la première ligne. Je suis favorable à un échelonnement des soins. Je pense que c'est essentiel pour diminuer la charge de travail dans certaines structures hospitalières. "Les Dr Peltier et De Ridder ont quant à eux mis l'accent sur les personnes en précarité qui n'ont pas un accès aux soins. " L'accessibilité financière est un autre point fort. 8,2% du PIB en Belgique va là-dedans, dont 2,5% viennent des habitants. Mais attention, une famille sur 10 reporte les soins, et une famille sur 4 a des difficultés à insérer les soins de santé dans son budget. " Le Dr De Ridder va même plus loin. " L'accessibilité aux soins est un point faible de notre système. Il y a trop d'indicateurs qui signalent que des gens tombent dans la pauvreté à cause de soins de santé, trop de gens qui n'ont pas accès aux soins. Le système de soins semble être inconscient vis-à-vis de la diversité grandissante de notre société. Il y a trop peu d'investissements pour donner réponse à cette diversité qui va de pair avec certaines exclusions sociales. " Des points faibles De nombreux points faibles ont tout même noirci le tableau presque idyllique de notre système de santé. Ils touchent majoritairement la profession de médecin généraliste. Le panel a parlé de la pénurie dans la première ligne et de la planification qui ne tient pas compte de l'évolution des équivalents temps-plein, du manque d'attractivité de la profession. Mais l'aspect très social de la discussion a également surgit ici : risque de privatisation de soins, système trop libéral. Enfin, des choses plus générales, comme l'épuisement professionnel, la résistance au changement, et la complexification du système. Pénurie et planification La pénurie annoncée de médecins généralistes fait peur. La planification également. " Les planifications doivent tenir compte de l'évolution des équivalents temps plein ", explique Bruno De Muylder. " Un MG qui travaille 60 heures par semaine est une espèce en voie de disparition. Avec mes collègues, mes camarades, le modèle que l'on va défendre, c'est un MG qui va travailler 40 heures par semaine. Peut-être un plus, soyons fous. "Un avis pas totalement partagé par Justine Perdaens. " Je suis jeune, mais je suis déjà médecin, et c'est là toute la différence. Je pensais comme lui à son âge, mais on voit avec la pratique que ce n'est pas réalisable. Travailler 40 heures semaine est impossible. Il ne faut pas être carré sur les horaires. " Ce à quoi l'étudiant en médecine à rétorquer : " Il y a beaucoup de personnes âgées dans la salle. Je ne veux pas faire passer la nouvelle génération pour des gens qui ne veulent pas bosser. J'ai juste dit que dans une idée de planification, il faut tenir compte de l'évolution. Si possible, il faut trouver une organisation qui leur permette de faire autre chose. Il reste intéressant, même avec le changement de pratique, de suivre des stages chez les médecins qui ont ce mode de vie-là, et permettre aux jeunes médecins d'adopter ce mode de vie s'ils le souhaitent. "Une chose importante que ces jeunes semblent oublier, au même titre que tout le débat qui n'a pas fait mention de l'aspect financier, c'est que la médecine est une profession libérale, médecin généraliste, une profession d'indépendant. En Belgique, rares sont les indépendants qui ont le luxe de compter leurs heures. Et rares sont ceux qui peuvent faire l'impasse sur la question pécuniaire. Les médecins n'échappent pas à cette logique. Et travailler 40 heures par semaine relève de l'utopie. Des études et une profession péjorées Le manque de généraliste est dû au moins en partie au manque d'attractivité de la profession. " Beaucoup de personne ne réalise pas ce qu'est la profession. La population en général, évidemment, mais même les étudiants et les spécialistes en ont une fausse idée ", explique le Dr Perdaens qui tente de définir la profession de médecin général. " Il fait le suivi du patient dans la durée, il y a une notion d'écoute, d'information, d'éducation du patient. Le MG a une vision globale de la santé de son patient. On doit donc être au centre d'un bon réseau. " Et, encore une fois, y ajouter cette dimension de travailleur indépendant qui semble faire cruellement défaut dans la profession, surtout au niveau de la gestion.Mais cette notion là-même ne devrait-elle pas faire partie du cursus ? C'est l'avis de la majorité. " Au niveau de la formation, la plupart des cours sont donnés par des médecins de la deuxième voire de la troisième ligne. Donc on est formé à réfléchir comme eux. Or, en première ligne, on ne réfléchit pas comme ça ", explique le Dr Perdaens. " Nous ne sommes pas assez formé à décoder tout le travail émotionnel, la question du lien instauré avec le patient. "C'est que la médecine générale est considérée comme la filière technique et professionnelle du secondaire. " Oui, c'est considéré comme une voie de relégation, on peut presque le dire. Une spécialité poubelle ", explique Bruno De Muylder. Des solutions ? Il existe des parades à ce marasme estudiantin et ce désamour pour la médecine générale. " Il faut repositionner la médecine générale, cela passe par la formation, le programme. Côté flamand, cela a évolué plus vite. La formation elle-même attire de nouveau. Cela fait partie d'un tout. L'attractivité, l'image sont importantes. Il faut expliquer quels sont les points d'attractivités ", explique le Dr De Ridder.À l'ULg comme à l'UCL, des stages obligatoires existent pour revaloriser la médecine générale. " L'UCL est un bon exemple dans ce domaine. Une équipe jeune et dynamique a repris et refondé le cours de médecine générale. Un stage est aujourd'hui imposé. Un mois en master 1 ou en master 2. Ce n'est pas très long, mais avant, ça n'existait tout simplement pas ", explique Bruno De Muylder. " Il y a deux ans que cela existe. Avant, il était possible de faire 7 ans de médecine complet sans avoir mis le pied en médecine générale."L'attractivité du métier passe également par la rémunération. Il a fallu attendre une question dans la salle pour débattre du sujet. Question à laquelle le Dr De Munck a répondu : " y-a-t-il un médecin dans la salle ? " C'est pourtant un facteur influent, selon le Dr Perdaens. Le Dr Deschietere tire dans le même sens. " Les spécialistes sont surpayés par rapport aux généralistes. On doit faire attention pour ne pas que les étudiants fassent des choix uniquement d'ordre pécuniaire. Il y a un rôle pédagogique à avoir. La médecine, c'est d'abord un idéal de soin avant une carrière pécuniaire toute tracée. Il y a des décisions politiques à prendre. Il faut avoir une vision du bien commun. " Des priorités En priorité, le panel s'est mis d'accord pour pointer du doigt la première ligne. Il faut la renforcer. Il faut instaurer le passage obligatoire chez le médecin généraliste. Il faut un échelonnement. " Notre système doit être davantage pyramidal, mieux structuré, et les différentes lignes doivent être mieux nivelées, avec une première ligne la plus forte et la plus large possible. Je pense d'ailleurs que la première ligne doit être gratuite ", explique Bruno De Muylder, suivi dans son enthousiasme par le Dr Deschietere. " J'ai envie de faire un discours militant pour que l'on garde un financement de la santé au niveau public aussi large que possible. La difficulté est que certaines de nos envies privées sont parfois en confrontation avec le bien commun. Je pense qu'en tant que médecin, nous sommes également des citoyens politiques, et il faut avoir un discours clair par rapport à ça. Le secteur de la santé doit relever du financement de l'État, essentiellement. Je suis content que Bruno ait dit qu'il souhaite une première ligne gratuite. Cela souligne les efforts qui doivent être faits au niveau de la santé. Il faut mieux organiser, réguler la médecine. La médecine est trop libérale en Belgique. " Utopie mobilisatrice Cela fait 50 ans que les GBO existe et cela fait 50 ans qu'on entend parler d'échelonnement. L'écho vient de la salle. " Il faudrait qu'on avance enfin ! Le système est fou. On va aux urgences pour tout et n'importe quoi. Et cela coûte à la société."Le système des soins de santé est une administration lourde et complexe. Trop complexe sans doute. Il enlise les médecins dans un clivage hôpitaux contre généralistes dont ces derniers seraient les inexorables perdants pour certains. Mais est-ce utopiste de penser que l'on peut changer ce système ? Non, pour le Docteur De Ridder. " Le système est non-efficace et on pourrait économiser des mille et des cents. Mais il ne faut pas dire que changer ce système est une utopie. Si on dit cela, il faut arrêter le métier. Il faut savoir saisir les opportunités. Faites le débat ! Arrêtez de vous plaindre sur tout ce qui ne marche pas, mais embrassez, prenez ces difficultés comme autant d'opportunités, ça, c'est mon message. Il faut rêver ! Vous faites le choix d'être des indépendants : entreprenez ! " Un mal francophone sans doute.Il n'empêche que par ce débat intense, on constate une lente métamorphose. Des spécialistes fêtent les 50 ans du GBO, un généraliste est devenu doyen de faculté. Il y a une mutation en marche. Le travail est certes inachevé, mais l'utopie est en marche. " Il faut que cela devienne une utopie mobilisatrice ", ajoutera Anne Gillet. La messe était dite.