L'amphithéâtre qui accueille la défense de thèse est clairsemé. Chacun respecte le mètre de distance sociale réglementaire. Sur le devant de l'estrade, Laetitia Buret ne se démonte pas et résume en moins d'une heure les 480 pages de sa thèse sur l'interdisciplinarité en santé.

C'est pour elle le fruit d'un long travail né de son parcours professionnel. " Collaborer, travailler à plusieurs disciplines autour d'une oeuvre commune est pour moi une évidence et fait partie de mon quotidien depuis l'adolescence ", explique l'intéressée dans le préambule de sa thèse. " Cette idée de puissance du collectif a continué à germer en moi pour finalement me convaincre d'inscrire ma pratique de médecin généraliste dans un contexte professionnel ouvert à la pluralité. Mon choix s'est porté vers les maisons médicales, convaincue par les valeurs de solidarité et d'équité qu'elles portaient. "

Qu'est-ce que l'interdisciplinarité ?

Thèse oblige, la première étape du travail du Dr Buret a consisté à définir le concept d'interdisciplinarité en santé. " L'interdisciplinarité en santé est un processus dynamique, évolutif, qui se construit sur un continuum de collaboration entre professionnels d'au moins deux disciplines différentes dans un but d'intégration des savoirs et des pratiques pour répondre à la complexité d'une même situation ", définit la généraliste. Les pathologies ne cessent de se complexifier avec l'évolution de la société. L'interdisciplinarité devient donc une urgence.

Laetita Buret considère ensuite que l'interdisciplinarité répond aux caractéristiques de deux concepts indissociables : la collaboration et l'intégration. " La collaboration évoque la recherche d'interactions nécessaires à la construction de ponts entre les différents savoirs et entre les différentes pratiques dans l'élaboration d'une oeuvre commune. L'intégration, quant à elle, cherche à former un tout cohérent à partir d'éléments dispersés. "

Enfin, l'interdisciplinarité évolue selon un continuum de collaborations prenant des formes différentes. Selon les circonstances, les modes de pratiques peuvent osciller entre des collaborations pluridisciplinaires, interdisciplinaires ou encore transdisciplinaires. Ces modes de pratique font appel à des niveaux d'intégration différents et peuvent aller de la juxtaposition occasionnelle à l'intégration complète des savoirs et des pratiques.

L'interdisciplinarité et la première ligne

Le concept de base éclairé, la chercheuse s'applique à prouver son utilité au sein de la première ligne, qu'elle baptise " première ligne d'aide et de soins " puisqu'elle y intègre les aspects sociaux.

La thèse rassemble ainsi plusieurs exemples des résultats qu'engendre l'interdisciplinarité. C'est le cas notamment " des patients diabétiques recevant des soins sous la direction d'un tandem 'infirmier-médecin' qui font état d'une baisse du taux de glycémie à jeun et de l'hémoglobine glycosylée, de la tension artérielle moyenne, tant systolique que diastolique, du taux de cholestérol total et du taux de LDL cholestérol ". Un exemple appuyé par un autre le jour de la présentation de la thèse, celui rapporté par les derniers chiffres du pré-trajet de soins diabète. " Les pratiques forfaitaires ont un taux de pénétration quatre fois supérieur aux pratiques à l'acte ", note le Dr Pierre Drielsma, membre du jury. Ce qui n'étonne pas Laetitia Buret. " Les pratiques forfaitaires ont lieu dans des structures interdisciplinaires où les professionnels ont déjà l'habitude de collaborer. Ils ont déjà ce sentiment d'interdépendance, d'avoir besoin des autres. Cela montre la force des différences pour permettre d'offrir des soins optimaux au patient. "

Freins et leviers

Il reste cependant des freins à lever pour une mise en oeuvre efficiente de l'interdisciplinarité. Pour mieux comprendre la situation, Laetitia Buret a mené une analyse documentaire et trois études empiriques. Ces dernières ont porté sur la concertation multidisciplinaire, les collaborations entre médecins généralistes, infirmiers et aides familiales et enfin sur le point de vue des aides familiales sur les hiérarchies qui entravent les collaborations.

" L'interdisciplinarité ne va pas de soi et les professionnels sont confrontés à de nombreux obstacles qui freinent les possibilités de collaborations interdisciplinaires ", écrit la chercheuse . " Le partage d'informations, des savoirs et des tâches est rendu difficile par la diversité des visions et des pratiques. Les professionnels de la 1ère ligne, censés se partager la mise en oeuvre des fonctions des soins primaires pour le même patient/bénéficiaire, évoluent dans des réalités différentes. L'histoire de la construction de la 1ère ligne d'aide et de soins belge nous a appris que les professionnels de disciplines différentes se sont construits et ont évolué de manière diverse. "

Pour rassembler les professionnels autour de valeurs communes, le principal levier est la formation interdisciplinaire. " Les professionnels ont besoin de développer une culture interdisciplinaire. Ils ont besoin de transformer leurs attitudes. Cela passe par la formation. C'est un fait confirmé par plusieurs autres auteurs. C'est là que l'on peut influencer le comportement des professionnels. "

Enfin, concernant les volets politique et économique, l'interdisciplinarité nécessite des moyens financiers, ou une réallocation des moyens existant. L'argument principal du Dr Buret pour faire valoir l'interdisciplinarité auprès des décideurs est la qualité des soins. " Je suis intimement convaincue que pour arriver à cette qualité, il faut collaborer. Et pour collaborer, il faut entre autres changer les modes de financement actuels. " Pour Laetitia Buret, le forfait est une évidence. " Cela permet une accessibilité aux soins raisonnée et efficiente. J'aurais envie d'encourager les politiques à prendre ce risque sur un certain laps de temps, soit plusieurs années. "

Idéal à atteindre

En fin de thèse, la chercheuse propose son idéal à atteindre. " Le paradigme dominant de l'autonomie - la disciplinarité - est inadéquat dans la gestion des situations chroniques complexes. Une solution possible aux collaborations réside à inverser les pensées actuelles. La nécessité de collaborer nous autorise à rêver une évolution des valeurs sociétales vers une diminution des inégalités pour accompagner l'évolution des visions vers l'altérité. " Pour la chercheuse, le système de santé gagnerait à " trouver le juste équilibre entre la performance technologique et la capacité collaborative de ses forces humaines ".

Une utopie sans doute pour l'heure, mais, selon la chercheuse, " l'interdisciplinarité évolue, à la lumière de la création d'une chaire de la première ligne, des formations interdisciplinaires qui germent à différents niveaux. Il y a dix ans, on ne parlait pas de formation interdisciplinaire. C'est de bon augure pour l'avenir. On avance vers plus de solidarité et de vivre ensemble. "

Des propos qui rappellent l'actualité, et l'après Covid-19 vu par Jacques Attali, économiste français qui voit dans ce grand choc de l'Histoire une opportunité de construire un monde plus altruiste. " Dans la situation actuelle, il y a un début de prise de conscience de la nécessité d'une autre forme de société, qui n'est pas nécessairement fondée sur l'égoïsme, le profit... ", explique l'essayiste lors d'un entretien accordé à France Culture. " La société de demain doit changer la légitimité de son autorité, qui ne devra plus être le religieux, la force, la seule raison ou l'argent, mais l'empathie, l'altruisme, qui sont de vrais critères d'autorité. "

L'amphithéâtre qui accueille la défense de thèse est clairsemé. Chacun respecte le mètre de distance sociale réglementaire. Sur le devant de l'estrade, Laetitia Buret ne se démonte pas et résume en moins d'une heure les 480 pages de sa thèse sur l'interdisciplinarité en santé. C'est pour elle le fruit d'un long travail né de son parcours professionnel. " Collaborer, travailler à plusieurs disciplines autour d'une oeuvre commune est pour moi une évidence et fait partie de mon quotidien depuis l'adolescence ", explique l'intéressée dans le préambule de sa thèse. " Cette idée de puissance du collectif a continué à germer en moi pour finalement me convaincre d'inscrire ma pratique de médecin généraliste dans un contexte professionnel ouvert à la pluralité. Mon choix s'est porté vers les maisons médicales, convaincue par les valeurs de solidarité et d'équité qu'elles portaient. "Thèse oblige, la première étape du travail du Dr Buret a consisté à définir le concept d'interdisciplinarité en santé. " L'interdisciplinarité en santé est un processus dynamique, évolutif, qui se construit sur un continuum de collaboration entre professionnels d'au moins deux disciplines différentes dans un but d'intégration des savoirs et des pratiques pour répondre à la complexité d'une même situation ", définit la généraliste. Les pathologies ne cessent de se complexifier avec l'évolution de la société. L'interdisciplinarité devient donc une urgence. Laetita Buret considère ensuite que l'interdisciplinarité répond aux caractéristiques de deux concepts indissociables : la collaboration et l'intégration. " La collaboration évoque la recherche d'interactions nécessaires à la construction de ponts entre les différents savoirs et entre les différentes pratiques dans l'élaboration d'une oeuvre commune. L'intégration, quant à elle, cherche à former un tout cohérent à partir d'éléments dispersés. "Enfin, l'interdisciplinarité évolue selon un continuum de collaborations prenant des formes différentes. Selon les circonstances, les modes de pratiques peuvent osciller entre des collaborations pluridisciplinaires, interdisciplinaires ou encore transdisciplinaires. Ces modes de pratique font appel à des niveaux d'intégration différents et peuvent aller de la juxtaposition occasionnelle à l'intégration complète des savoirs et des pratiques. Le concept de base éclairé, la chercheuse s'applique à prouver son utilité au sein de la première ligne, qu'elle baptise " première ligne d'aide et de soins " puisqu'elle y intègre les aspects sociaux. La thèse rassemble ainsi plusieurs exemples des résultats qu'engendre l'interdisciplinarité. C'est le cas notamment " des patients diabétiques recevant des soins sous la direction d'un tandem 'infirmier-médecin' qui font état d'une baisse du taux de glycémie à jeun et de l'hémoglobine glycosylée, de la tension artérielle moyenne, tant systolique que diastolique, du taux de cholestérol total et du taux de LDL cholestérol ". Un exemple appuyé par un autre le jour de la présentation de la thèse, celui rapporté par les derniers chiffres du pré-trajet de soins diabète. " Les pratiques forfaitaires ont un taux de pénétration quatre fois supérieur aux pratiques à l'acte ", note le Dr Pierre Drielsma, membre du jury. Ce qui n'étonne pas Laetitia Buret. " Les pratiques forfaitaires ont lieu dans des structures interdisciplinaires où les professionnels ont déjà l'habitude de collaborer. Ils ont déjà ce sentiment d'interdépendance, d'avoir besoin des autres. Cela montre la force des différences pour permettre d'offrir des soins optimaux au patient. "Il reste cependant des freins à lever pour une mise en oeuvre efficiente de l'interdisciplinarité. Pour mieux comprendre la situation, Laetitia Buret a mené une analyse documentaire et trois études empiriques. Ces dernières ont porté sur la concertation multidisciplinaire, les collaborations entre médecins généralistes, infirmiers et aides familiales et enfin sur le point de vue des aides familiales sur les hiérarchies qui entravent les collaborations. " L'interdisciplinarité ne va pas de soi et les professionnels sont confrontés à de nombreux obstacles qui freinent les possibilités de collaborations interdisciplinaires ", écrit la chercheuse . " Le partage d'informations, des savoirs et des tâches est rendu difficile par la diversité des visions et des pratiques. Les professionnels de la 1ère ligne, censés se partager la mise en oeuvre des fonctions des soins primaires pour le même patient/bénéficiaire, évoluent dans des réalités différentes. L'histoire de la construction de la 1ère ligne d'aide et de soins belge nous a appris que les professionnels de disciplines différentes se sont construits et ont évolué de manière diverse. "Pour rassembler les professionnels autour de valeurs communes, le principal levier est la formation interdisciplinaire. " Les professionnels ont besoin de développer une culture interdisciplinaire. Ils ont besoin de transformer leurs attitudes. Cela passe par la formation. C'est un fait confirmé par plusieurs autres auteurs. C'est là que l'on peut influencer le comportement des professionnels. "Enfin, concernant les volets politique et économique, l'interdisciplinarité nécessite des moyens financiers, ou une réallocation des moyens existant. L'argument principal du Dr Buret pour faire valoir l'interdisciplinarité auprès des décideurs est la qualité des soins. " Je suis intimement convaincue que pour arriver à cette qualité, il faut collaborer. Et pour collaborer, il faut entre autres changer les modes de financement actuels. " Pour Laetitia Buret, le forfait est une évidence. " Cela permet une accessibilité aux soins raisonnée et efficiente. J'aurais envie d'encourager les politiques à prendre ce risque sur un certain laps de temps, soit plusieurs années. "En fin de thèse, la chercheuse propose son idéal à atteindre. " Le paradigme dominant de l'autonomie - la disciplinarité - est inadéquat dans la gestion des situations chroniques complexes. Une solution possible aux collaborations réside à inverser les pensées actuelles. La nécessité de collaborer nous autorise à rêver une évolution des valeurs sociétales vers une diminution des inégalités pour accompagner l'évolution des visions vers l'altérité. " Pour la chercheuse, le système de santé gagnerait à " trouver le juste équilibre entre la performance technologique et la capacité collaborative de ses forces humaines ".Une utopie sans doute pour l'heure, mais, selon la chercheuse, " l'interdisciplinarité évolue, à la lumière de la création d'une chaire de la première ligne, des formations interdisciplinaires qui germent à différents niveaux. Il y a dix ans, on ne parlait pas de formation interdisciplinaire. C'est de bon augure pour l'avenir. On avance vers plus de solidarité et de vivre ensemble. "Des propos qui rappellent l'actualité, et l'après Covid-19 vu par Jacques Attali, économiste français qui voit dans ce grand choc de l'Histoire une opportunité de construire un monde plus altruiste. " Dans la situation actuelle, il y a un début de prise de conscience de la nécessité d'une autre forme de société, qui n'est pas nécessairement fondée sur l'égoïsme, le profit... ", explique l'essayiste lors d'un entretien accordé à France Culture. " La société de demain doit changer la légitimité de son autorité, qui ne devra plus être le religieux, la force, la seule raison ou l'argent, mais l'empathie, l'altruisme, qui sont de vrais critères d'autorité. "