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Jeune réfugié d'origine russe arrivé avec sa famille en Suède lorsqu'il avait cinq ans, Georgi, un enfant bien intégré dans son pays d'accueil, a reçu un gros coup de massue en décembre 2015 quand il a appris que le gouvernement suédois avait rejeté la demande d'asile de sa famille : ils allaient être expulsés en avril 2016 et devoir repartir en Russie après avoir vécu pendant plus de six ans en Scandinavie.Dans un long article consacré à l'histoire de Georgi1, le journal The New Yorker rapporte ce qui a suivi cette mauvaise nouvelle. " Georgi a laissé tomber la lettre sur le sol, est monté dans sa chambre et s'est couché sur son lit. Il a déclaré avoir l'impression que son corps se liquéfiait, que ses membres semblaient mous et poreux. Tout ce qu'il voulait faire, c'était fermer ses yeux. Il a senti une profonde pression dans son cerveau et dans ses oreilles. Il s'est tourné vers le mur et l'a frappé avec son poing. Puis pendant plusieurs jours, il n'a plus bougé, n'a plus mangé, a cessé de parler. Il semblait plongé dans un étrange coma, inconscient tout en ayant ses réflexes intacts et son pouls normal. Il semblait avoir perdu toute volonté de vivre. "Georgi est resté alité dans cet état durant presque six mois. Bien sûr, ses parents n'ont pas attendu aussi longtemps pour réagir. Au bout d'une semaine, alors que le jeune garçon avait déjà perdu cinq kilos, ils ont fait appel à Elisabeth Hultcrantz, un médecin à la retraite qui consacre aujourd'hui tout son temps à soigner bénévolement les enfants réfugiés. Elle leur a conseillé d'emmener leur fils aux urgences, où ils ont dû se résigner à le faire intuber pour qu'il soit nourri par sonde.Georgi n'a montré aucune résistance lors des examens et a été diagnostiqué de l' Uppgivenhetssyndrom, le syndrome de la résignation, une maladie qui n'existe apparemment qu'en Suède chez les enfants réfugiés. Depuis le début des années 2000, plusieurs centaines de cas ont ainsi été signalés dans ce pays scandinave, ce qui a amené le Conseil national suédois de la Santé et des Affaires sociales à reconnaître le syndrome de résignation comme une entité diagnostique distincte dont la pertinence reste toutefois à démontrer.Environ 400 enfants, âgés entre 8 et 15 ans, la plupart originaires de l'ex-URSS et de l'ex-Yougoslavie ou de l'Asie lointaine, appartenant à des minorités ethniques, souvent persécutées dans leur pays d'origine, sont tombés dans un coma de longue durée après avoir appris, comme Georgi, que leur permis de séjour avait été refusé et qu'ils allaient être expulsés.Classé comme une forme de catatonie psychogène2, le syndrome de résignation désigne un trouble durable qui affecte principalement les enfants et les adolescents psychologiquement traumatisés par un processus de migration très fatigant, stressant et long, au cours duquel leur vie a été menacée. Le plus souvent, un incident déclencheur, comme une décision d'asile négative, a pu être identifié.Typiquement, une manifestation dépressive est suivie d'un repli graduel évoluant vers la stupeur et l'absence de réaction. Appelés les " apathiques ", ces patients sont décrits comme totalement passifs, immobiles, sans tonus, effacés, muets, incapables de boire ou de manger, incontinents et pas réactifs aux stimuli physiques, même douloureux comme une piqûre.Leur état d'inconscience apparente implique une prise en charge en milieu hospitalier et une alimentation par sonde afin d'éviter qu'ils ne meurent. Le traitement consiste à promouvoir et maintenir un environnement sûr et porteur d'espoir, à encourager un sentiment de cohérence et de sécurité au sein des familles migrantes.Pendant des années, des gens ont avancé que le syndrome de résignation n'était qu'une simulation pour faciliter l'obtention d'une résidence permanente sur le sol suédois. D'autres ont évoqué une maladie contagieuse. Mais ces théories ont finalement été écartées, notamment parce qu'il est impossible dans un état normal de ne pas réagir à la douleur.Parallèlement, après des protestations de l'opinion publique, le ministère des Migrations a cessé les expulsions forcées de ces enfants alors même qu'ils étaient toujours dans le coma.De plus, en 2013, un manuel a été rédigé par un comité officiel de médecins expliquant que le traitement le plus efficace est l'obtention de l'asile permanent.La bonne nouvelle, alors qu'aujourd'hui encore on diagnostique le syndrome chez plusieurs dizaines d'enfants chaque année en Suède, c'est donc qu'il existe bel et bien un espoir de guérison. Dans pratiquement tous les cas, aussitôt que les parents ont obtenu un permis de séjour, les enfants ont commencé à sortir de leur état de torpeur profonde et de mutisme et, même si leur rétablissement peut prendre des mois, voire plusieurs années parfois, ils finissent par revenir à la vie normale.C'est notamment le cas de Georgi. Fin mai 2016, ses parents ont reçu une lettre leur signifiant qu'il avait obtenu l'asile permanent en Suède. Deux semaines plus tard, le jeune homme a enfin ouvert enfin les yeux et, petit à petit, il a récupéré ses capacités...