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Le journal du Médecin: dans quels cas faut-il envisager une transplantation rénale chez un enfant ?Pr. Ismaili : Au grade 5 de l'insuffisance rénale : quand l'enfant ne peut plus envisager d'avoir une vie normale sans recours à la dialyse. Les os ne vont pas bien, la tension monte, l'anémie s'installe. Il faut les sortir de là le plus vite possible. Nous savons qu'un enfant qui entre en dialyse a un risque de mortalité dix fois plus élevé. Mais à côté de cela, la dialyse ne guérit rien du tout. Elle permet simplement d'enlever un maximum de déchets. La qualité de vie reste médiocre.Quelles sont les spécificités d'une transplantation rénale pédiatrique ?On ne gère pas un nourrisson comme on gère un adolescent. Pour transplanter un enfant, il faut un minimum de gabarit. Actuellement, il est très difficile de faire une transplantation rénale sur un enfant qui pèse moins de 10 kilos. Idéalement, on essaie d'atteindre 12-13 kilos. Car c'est un rein d'adulte qu'on transplante. Il faut que le ventre de l'enfant puisse le recevoir.Les greffes rénales pédiatriques restent des interventions peu courantes ?Nous savons qu'environ 15 enfants arrivent chaque année en dialyse et 30 en insuffisance rénale chronique. Dans une liste d'attente de transplantation rénale, les enfants représentent moins de 2% des demandes. C'est donc une petite niche car heureusement la maladie rénale sévère n'est pas très pédiatrique. Tandis que chez l'adulte, cela explose complètement : on estime qu'aujourd'hui qu'un adulte sur dix souffre d'une affection rénale.Les enfants sont-ils prioritaires pour les transplantations ?En France, les enfants sont prioritaires et en tête de liste. Lorsqu'on a une offre de rein et cinq ou six personnes potentiellement compatibles, c'est l'enfant qui passe. En Belgique, nous dépendons d'Eurotransplant. Cela signifie que quand on a affaire à des moins de 18 ans, ils ont automatiquement un quota de points qui les rend plus prioritaires qu'un adulte. Le délai d'attente devrait donc théoriquement être plus court, même si ce n'est pas toujours le cas. Globalement, pour un enfant, le délai médian est d'un an.Quelle est aujourd'hui la place du don intrafamilial ?C'est quelque chose qu'on essaie de développer, y compris dans la population adulte. Le donneur vivant permet de réduire le délai. En pédiatrie, le donneur vivant est par ailleurs toujours apparenté : il est issu de la famille ultra proche. Nous avons donc la possibilité de transplanter des enfants plus vite si l'un des parents se propose.Le don intrafamilial donne-t-il de meilleurs résultats ?Tous les chiffres montrent que les résultats sont meilleurs à partir de donneurs vivants car le temps où le rein reste en dehors du corps avant d'être transplanté est très court. Quand il s'agit d'un donneur cadavérique, le rein peut venir d'Allemagne, de Hollande, de Hongrie... Le temps où le rein reste en ischémie froide, dans une solution de conservation, peut être long. À dix ans, on voit encore la différence entre les reins issus d'un donneur vivant et ceux qui viennent d'un donneur cadavérique.Cela permet aussi de répondre à la pénurie de dons...Il faut savoir qu'en Belgique, la proportion de reins issus de donneurs vivants est encore très basse : largement moins de 20%. Dans les pays scandinaves, c'est l'inverse. L'Europe a toujours fonctionné à deux vitesses avec des pays latins privilégiant les donneurs cadavériques et des pays du nord privilégiant les donneurs vivants. Ici, quand un enfant arrive en insuffisance rénale, nous parlons de la greffe et certains parents sont très clairs : ils ne veulent pas que leur enfant aille en dialyse. Nous faisons donc aussi des transplantations préemptives, c'est-à-dire avant que l'enfant n'arrive en dialyse. Mais on ne met surtout pas la pression : cela doit rester une décision personnelle.Les parents sont en théorie les meilleurs donneurs ?Un enfant est par définition semi-compatible avec ses parents, puisqu'il hérite 50% de son patrimoine génétique de son père et 50% de sa mère. L'avantage du parent donneur est qu'il est aussi très jeune : l'écrasante majorité a moins de 40 ans. C'est donc ce qu'on peut proposer de mieux en termes de comptabilité mais aussi de qualité.Quelles sont les conditions pour qu'un parent puisse être donneur ?L'absence de maladie : pas de diabète, pas d'hypertension maligne, pas de maladie du foie. La personne doit être en super forme : ni obèse, ni fumeuse, ni buveuse. Par ailleurs, si une personne dit un petit oui, il faut lui laisser le temps de réfléchir. La psychologue, l'assistante sociale sont aussi très impliquées dans le processus.Quels sont les risques potentiels pour ce donneur ?Toutes les études sorties ces dernières années, autant européennes qu'américaines, sont très rassurantes. D'une part parce que la sélection est très stricte mais aussi parce que le donneur est suivi annuellement par un néphrologue. Mais il faut rester extrêmement rigoureux et strict sur la mise au point : ce sont d'ailleurs nos collègues néphrologues de l'hôpital Erasme qui s'en chargent, avec à la clef une discussion interdisciplinaire. Nous ne laissons rien au hasard.Quelles sont les transplantations les plus difficiles ?Les petits enfants. Mais nous commençons à avoir une bonne expérience car nous avons transplanté une quarantaine d'enfants de moins de 15 kilos, ce qui est une grosse prouesse chirurgicale. Néanmoins, à chaque fois qu'on transplante un petit, l'équipe est relativement stressée. En tout cas, ce n'est jamais une routine... Une fois qu'ils ont un gabarit de 20 kilos ou plus, cela fait en général moins peur. Il faut aussi prendre en considération la maladie sous-jacente de l'enfant. Les maladies qui amènent l'enfant en phase d'insuffisance rénale terminale sont très variables. Cela va des malformations congénitales aux maladies inflammatoires, en passant par le syndrome néphrotique. Ces enfants peuvent avoir des symptômes vasculaires qui rendent la transplantation plus délicate. Tout est donc discuté minutieusement en amont.Les résultats à long terme sont-ils bons ?La durée de vie d'un greffon à dix ans, c'est 80 à 85%. Après dix ans de greffe, 20% de nos enfants reviennent en dialyse. On devra donc parfois transplanter une deuxième fois, voire une troisième fois. Tout dépend aussi de la manière dont les traitements antirejet sont gérés par l'enfant et sa famille. Un de nos gros stress est l'adolescence.Avec des problèmes de compliance ?Oui, on croise les doigts très forts et on les voit régulièrement. Mais les adolescents sont durs en affaire et il faut parfois activer nos cellules de crise... Pour la plupart, ces adolescents sont malades depuis toujours et il arrive un moment de ras-le-bol total. C'est le problème de toutes les maladies chroniques. Pourquoi les médicaments ? Pourquoi la consultation ? Ils en viennent même à oublier qu'ils sont greffés mais s'ils arrêtent de prendre leur traitement, ils font un rejet et c'est un drame. Cela nous est malheureusement déjà arrivé.Quels sont encore les progrès à accomplir en matière de transplantation rénale pédiatrique ?Le don intrafamilial reste pour nous un vrai challenge, chez les enfants comme chez les adultes. Les pays latins restent à la traîne, par manque d'information. Les gens ne savent pas encore que par ce biais, ils peuvent améliorer nettement la qualité de vie d'un membre de leur famille et que les résultats à long terme sont aussi clairement meilleurs.