"Jour 1 - Je suis en avance, mais être à l'heure, ce serait déjà être en retard. J'ai croisé les premiers patients dans la salle d'attente, matinaux mais malades. Je m'amuse à comparer leur démarche à un pèlerinage, leur confiance à la foi d'un converti qui a vu le miracle. J'attends Dieu. Je vais le côtoyer pendant un mois, ou plutôt le suivre, en espérant que le halo de son art divin m'effleurera.

Une silhouette apparaît et la longue blouse blanche m'indique que je dois me redresser, lever le menton. Je fais bien car il ralentit et saisit la poignée de la porte tandis que ses yeux s'attardent à peine sur moi. Je rentre à mon tour et, pour la première fois, je suis seul avec mon Maître. Je m'assène mentalement un violent coup de pied au derrière. On dit que ce sont les premières secondes qui décident du devenir d'une relation. Or, je dois séduire cet homme ; je veux qu'il me connaisse, qu'il m'apprécie voire même qu'il m'estime. A la fin du mois, je dois avoir de la valeur à ses yeux, au minimum 18 sur 20.

Consultations - Les patients occupent plus de place que moi dans l'étroit cabinet. Je tente maladroitement de me faire remarquer. J'échoue. Ma cible ne se laisse pas aisément approcher : "N'essaie pas de faire les choses à ma place, il n'y a rien que je déteste plus !", ronchonne-t-il, prenant temporairement conscience de mon existence. Ma stratégie se réduit à une seule méthode possible: poser des questions. Je tourne bien sept fois ma langue dans ma bouche avant de m'exprimer. Lentement mais sûrement, je fais étalage de mon intelligence. L'exercice est délicat : ma question doit être assez riche en matière tout en restant interrogative, sans pour autant pécher par ignorance.

Deuxième semaine - J'ai le cafard. Le mois est interminable. Mon tuteur ne m'adresse que vaguement la parole et mon apprentissage se fera essentiellement par osmose. Couché dans mon lit, je fais le point en ignorant le pincement dans ma poitrine. Je me convaincs que ma cote de stage reste un facteur modifiable.

Bloc opératoire - Ici, Dieu reprend sa forme éthérée et j'assiste aux miracles. Devant mes yeux enchantés s'exécute le ballet. Le chirurgien s'essuie les mains en observant le corps étendu sur la table d'opération. Il saisit ensuite sa blouse et ses gants stériles et les enfile avec agilité, avant de déplier délicatement le champ opératoire. Celui que je dépréciais pour mieux m'estimer, celui-là n'est pas une brute mais bien un artiste dont les doigts de fée recousent les plus petits recoins anatomiques. Je développe, en outre, de la jalousie à l'égard de l'instrumentiste qui ose tutoyer mon maître et n'hésite pas à me piétiner lorsque l'occasion se présente. Je m'en veux de lui en vouloir, car elle me rend le sentiment d'exister.

Dernier jour - Mes tensions internes se desserrent. Je pense déjà au mois prochain et tout est déjà prévu dans ma tête pour corriger les erreurs du passé. J'ai préparé un cake et une quiche, non pas pour remercier l'ensemble des membres du service qui m'ont si gentiment accueilli, mais pour Lui. Pour gagner de la valeur. L'ambiance est décontractée, les rires masquent mon appréhension. Le moment venu, je m'avance et remets ma feuille d'évaluation. Comme au premier jour, le jeu de regard est quasiment inexistant. Il griffonne quelque chose et me retourne la feuille : "Voilà. Si tu as des questions, je peux y répondre. Mais je ne changerai pas d'avis." Ainsi s'achève notre relation."

"Jour 1 - Je suis en avance, mais être à l'heure, ce serait déjà être en retard. J'ai croisé les premiers patients dans la salle d'attente, matinaux mais malades. Je m'amuse à comparer leur démarche à un pèlerinage, leur confiance à la foi d'un converti qui a vu le miracle. J'attends Dieu. Je vais le côtoyer pendant un mois, ou plutôt le suivre, en espérant que le halo de son art divin m'effleurera. Une silhouette apparaît et la longue blouse blanche m'indique que je dois me redresser, lever le menton. Je fais bien car il ralentit et saisit la poignée de la porte tandis que ses yeux s'attardent à peine sur moi. Je rentre à mon tour et, pour la première fois, je suis seul avec mon Maître. Je m'assène mentalement un violent coup de pied au derrière. On dit que ce sont les premières secondes qui décident du devenir d'une relation. Or, je dois séduire cet homme ; je veux qu'il me connaisse, qu'il m'apprécie voire même qu'il m'estime. A la fin du mois, je dois avoir de la valeur à ses yeux, au minimum 18 sur 20. Consultations - Les patients occupent plus de place que moi dans l'étroit cabinet. Je tente maladroitement de me faire remarquer. J'échoue. Ma cible ne se laisse pas aisément approcher : "N'essaie pas de faire les choses à ma place, il n'y a rien que je déteste plus !", ronchonne-t-il, prenant temporairement conscience de mon existence. Ma stratégie se réduit à une seule méthode possible: poser des questions. Je tourne bien sept fois ma langue dans ma bouche avant de m'exprimer. Lentement mais sûrement, je fais étalage de mon intelligence. L'exercice est délicat : ma question doit être assez riche en matière tout en restant interrogative, sans pour autant pécher par ignorance.Deuxième semaine - J'ai le cafard. Le mois est interminable. Mon tuteur ne m'adresse que vaguement la parole et mon apprentissage se fera essentiellement par osmose. Couché dans mon lit, je fais le point en ignorant le pincement dans ma poitrine. Je me convaincs que ma cote de stage reste un facteur modifiable.Bloc opératoire - Ici, Dieu reprend sa forme éthérée et j'assiste aux miracles. Devant mes yeux enchantés s'exécute le ballet. Le chirurgien s'essuie les mains en observant le corps étendu sur la table d'opération. Il saisit ensuite sa blouse et ses gants stériles et les enfile avec agilité, avant de déplier délicatement le champ opératoire. Celui que je dépréciais pour mieux m'estimer, celui-là n'est pas une brute mais bien un artiste dont les doigts de fée recousent les plus petits recoins anatomiques. Je développe, en outre, de la jalousie à l'égard de l'instrumentiste qui ose tutoyer mon maître et n'hésite pas à me piétiner lorsque l'occasion se présente. Je m'en veux de lui en vouloir, car elle me rend le sentiment d'exister. Dernier jour - Mes tensions internes se desserrent. Je pense déjà au mois prochain et tout est déjà prévu dans ma tête pour corriger les erreurs du passé. J'ai préparé un cake et une quiche, non pas pour remercier l'ensemble des membres du service qui m'ont si gentiment accueilli, mais pour Lui. Pour gagner de la valeur. L'ambiance est décontractée, les rires masquent mon appréhension. Le moment venu, je m'avance et remets ma feuille d'évaluation. Comme au premier jour, le jeu de regard est quasiment inexistant. Il griffonne quelque chose et me retourne la feuille : "Voilà. Si tu as des questions, je peux y répondre. Mais je ne changerai pas d'avis." Ainsi s'achève notre relation."