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jdM : Qu'attendez-vous concrètement de cette commission spéciale Covid de la Chambre ? Ne pensez-vous pas qu'on place trop d'attentes sur la manière dont cette commission peut nous éclairer sur la question notamment des erreurs et des responsabilités ?Catherine Fonck : Oui cette commission spéciale est en mesure de mettre en évidence les manquements et donc les leçons à tirer de la gestion de la pandémie Covid19 pour l'avenir. Mais à condition de le vouloir sur le plan politique, sans tabou, avec transparence, avec rigueur et avec courage. Sans reproduire les petits jeux de ping pong entre les gouvernements, mais en osant proposer une nouvelle approche avec une coordination santé bien plus efficace des différents niveaux de pouvoir. Un plan pandémie actualisé doit rapidement pouvoir être mis en place, avec un budget consacré à une politique de sécurité sanitaire. Et surtout des réponses urgentes doivent être apportées à la saturation des centres de testing, pour soutenir les médecins généralistes débordés, pour alléger les démarches administratives, pour réorganiser et prioriser le testing pour les patients symptomatiques et ceux qui ont eu un contact étroit avec un positif, pour renforcer le tracing qui reste insuffisant. Isoler le plus rapidement possible les porteurs du Covid19 (et s'assurer que cet isolement est respecté) est le dispositif majeur pour maîtriser l'épidémie. La situation actuelle était prévisible, avec le retour des vacances, la rentrée scolaire et universitaire, la reprise du travail. Tout l'été, j'ai poussé les ministres à anticiper. Tout était soi-disant prêt. Ce n'est manifestement pas le cas.En tant que membre " invitée " de la commission sans droit de vote, estimez-vous que vous pourrez suffisamment vous exprimer ? Vous avez mentionné l'existence de milliers de documents impossibles à consulter...Dans ce type de commission, ce n'est pas le droit de vote qui influence les débats, mais les réflexions, questions et propositions qui y sont faites. C'est à cela que je m'attelle. Comme vous le soulignez, il y a 26.000 documents qui sont considérés comme confidentiels par le gouvernement, ce qui met à mal nos capacités de pouvoir avoir un travail de qualité. Ce n'est pas sérieux. Je comprends bien que certains contrats doivent bénéficier de la confidentialité, mais pas tous ces 26.000 documents.Comment expliquez, selon vous, que notre pays ait, comme plusieurs pays d'Europe de l'Ouest (Italie, France, Grande-Bretagne, Espagne), plutôt beaucoup souffert de la pandémie en terme de surmortalité et de morts par millions par rapport par exemple à l'Allemagne ou la Suisse ? Outre des facteurs objectifs (forte densité de population, population âgée, mobilité grande sur le territoire, etc.), l'organisation politique et sanitaire (fédéralisme peu efficace) de notre pays n'est-elle pas en cause ? Clairement, le jeu de ping-pong entre les gouvernements a paralysé et ralentit le processus décisionnel mais aussi l'efficacité opérationnelle : on l'a vu sur les gestes barrières, les équipements de protection pour tous les soignants (masques, ...), le testing, les centres de dépistage, le tracing, la mise de côté dans un premier temps des médecins généralistes, mais aussi dans la lenteur de réaction et les mesures non prises face à la grave situation des maisons de repos et autres institutions non hospitalières. Tout le monde est compétent mais personne n'est responsable. Chaque ministre se renvoyait la balle en disant que c'était à l'autre d'agir. Le retard de réaction en début de pandémie et le manque d'efficacité du dispositif expliquent la différence avec l'évolution d'autres pays comme l'Allemagne. Encore aujourd'hui, quand vous comparez la Belgique et l'Allemagne, la situation est très différente. Il y a un décalage énorme entre les procédures sur papier et la réalité du terrain malgré l'investissement démesuré de tous les soignants à tout niveau. En tant que députée et aussi médecin, avez-vous été frappée par le flot d'informations contradictoires depuis maintenant le mois de mars déversées par les experts sur les citoyens ? Assistons-nous à une crise de l'expertise ?La médecine n'est pas une science exacte. Et c'est d'autant plus vrai pour un nouveau virus tel que le Covid19 pour lequel la littérature scientifique apporte chaque jour des éléments complémentaires. Nous en savons de plus en plus et c'est tant mieux. Je salue la conférence scientifique qui s'est tenue entre experts tout récemment, et j'espère qu'elle se réunira régulièrement. L'idéal serait d'aboutir à un consensus sur le plan scientifique (et ce consensus évoluera en fonction des connaissances scientifiques). Plus la communauté scientifique sera alignée, plus les politiques devront en tenir compte, et plus les citoyens se sentiront en confiance et adhéreront aux décisions prises pour maîtriser l'épidémie. Je vais même un pas plus loin. Après ce consensus scientifique, il faudrait aboutir à un consensus plus large réunissant médecins, politiques et monde économique. La lutte contre l'épidémie en sortirait renforcée.Estimez-vous que les politiques et le gouvernement Wilmès se sont rangés trop facilement à l'avis d'un groupe d'experts ? Voyez-vous d'un bon oeil le Celeval dont la composition est presque exempte de virologues et accueille des personnalités favorables à un allègement des mesures comme Lieven Annemans notamment ?Il y a de moins en moins de scientifiques/soignants et de plus en plus de personnes du monde économique dans les structures de décision. C'est un choix des gouvernements. Et c'est interpellant. Par ailleurs, je suis consternée de devoir constater que de nombreux ministres et politiques utilisent les experts et les soignants comme des boucs-émissaires. Cela a été le cas en début de pandémie. Et cela se répète de nouveau. Faut-il rappeler que sans les soignants et les scientifiques, les gouvernements auraient été incapables de gérer cette épidémie? Etienne de Callataÿ a calculé que la crise économique post-covid nous a déjà coûté 50 milliards d'euros, soit 2 fois le budget annuel de l'Inami. Pensez-vous comme lui que le remède est pire que le mal et que cette crise économique va in fine entraîner plus de morts que celles provoquées par le Sars-Cov-2 ? Si on avait eu un dispositif efficace dès le début pour tester/isoler les positifs/tracer, et en appliquant immédiatement les gestes barrières, on aurait sans doute pu éviter un confinement ou en tout cas un confinement prolongé tel qu'on l'a vécu. Mais la pandémie a été minimisée, on a laissé revenir les touristes des régions d'Italie et de France aux vacances de carnaval en ne s'occupant que de ceux qui revenaient de trois petits villages alors que ces régions étaient largement touchées. Les dispositifs ont été déployés tardivement, de manière insuffisante, en ne tenant pas assez compte des réalités de terrain. Les conséquences économiques sont effectivement dramatiques. Ne reproduisons pas les erreurs de février...Pensez-vous qu'on sous-estime ou au contraire qu'on surestime la gravité de cette pandémie ? Les mesures de sécurité prises (masques etc.) sont-elles exagérées ou légitimes alors que le taux de positivité s'établit à 3% depuis plusieurs semaines et que le nombre de morts quotidien ne dépasse plus 3 par jour (au 25 septembre, ndlr) ?Les chiffres actuels sont plus élevés que ceux que vous citez, notamment sur la région de Bruxelles Capitale, mais ils ne sont pas similaires sur tout le territoire. En attente d'un vaccin efficace et/ou d'un traitement efficace, ce qui est fondamental c'est de maîtriser l'épidémie, et de maintenir le virus "au trot". Laisser le virus galoper, c'est devoir de nouveau prendre des mesures radicales telles que le confinement. Et c'est cela que nous devons absolument éviter. En l'absence de gouvernement de plein exercice et dans l'optique encore hypothétique (au 25 septembre, ndlr) d'une Vivaldi sans le CDH, comment voyez-vous votre travail dans l'opposition ?Comme un aiguillon. Qui met des propositions sur la table, qui relaie le terrain, qui tire la sonnette d'alarme quand c'est nécessaire. Comme je l'ai toujours fait. Notamment depuis janvier dernier sur le Covid19.Un entretien de Nicolas de Pape