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Que pensez-vous de la manière dont les libéraux ont préféré postposer la décision finale sur le budget des soins de santé plutôt que de l'entériner, alors que le Conseil général de l'Inami l'avait approuvé ?G.B.: Il faut revenir sur l'histoire. Ce n'est pas la première fois qu'on a un gouvernement " provisoire ". De mémoire, tous les gouvernements ont changé la norme de croissance. Cela n'a pas posé de problèmes de continuité pendant les Affaires courantes. La situation actuelle s'est accompagnée de beaucoup de " cinéma " et de mises en scène inutiles. Cela a fait perdre du temps à tout le monde, y compris à nous, médecins, avec différents positionnements des syndicats vis-à-vis des accords. Personnellement, j'ai pris du recul sur ce sujet et de manière générale cette dernière année. Et cela m'a fait du bien. Il était quasi certain qu'un budget allait être mis en place. Ne pas indexer les soignants aurait été une pure folie alors que le reste du pays l'est.Vous êtes déçu ?G.B. : En octobre-novembre, on a entendu parler de ce vote du budget. On savait aussi que dans les programmes électoraux, Les Engagés voulaient 3,5 % de croissance, Vooruit 2,5 % (raboté finalement à 2 %), et le MR, une norme alignée sur la croissance du PIB, mais surtout avec un discours stigmatisant les médecins (ce week-end le nouveau gouvernement De Wever a annoncé une norme de croissance à 2% qui remontera à 3% en fin de législature, NdlR). De fait, je suis déçu par le MR. L'efficience est bien sûr essentielle, mais il y a une croissance des besoins, notamment due à la croissance de la population, et qui va au-delà de la croissance du PIB. Dire que le secteur des médecins est surfinancé est à la limite de l'insulte. Bien sûr, certains médecins gagnent plus que d'autres, mais c'est aussi parce que la nomenclature a mal évolué. Dans sa forme actuelle, elle est défendue par ceux qui en bénéficient le plus et reste mauvaise et archaïque à mon sens. Elle mélange des éléments de frais hospitaliers, des frais extra-hospitaliers et ambulatoires, et tantôt les frais professionnels sont intégrés, tantôt ils ne le sont pas. Franchement, c'est une soupe, à laquelle les médecins et les hôpitaux se sont adaptés (financement par un pool ou des mécanismes de solidarité par institution).Pensez-vous qu'on a refilé la patate chaude à l'Open VLD ?G.B. : C'était le jeu, je suppose. Cela a mis la pression sur le ministre actuel (Frank Vandenbroucke a finalement rempilé à la Santé publique, ce que nous ignorions au moment où l'entretien est réalisé, NdlR), mais on a pris en otage le soignant et le patient. À titre personnel, je pense que l'Absym et le Cartel étaient inquiets, et c'est légitime. Sans informations sur l'indexation en fin d'année, il est logique que le personnel soignant ait pu envisager de faire grève. On ne peut pas se moquer des gens ! Essayez de réduire les salaires de la police ou dans l'enseignement, et vous verrez ! En Belgique, l'indexation est un acquis. Bon ou mauvais, c'est un autre débat, mais ce système doit être respecté tant qu'il existe. Tous nos frais professionnels et les charges privées sont indexés : le prix des machines, de l'électricité, du personnel, tout est indexé. En pratique, le Cartel a été le premier à allumer la mèche. L'accord pouvait tomber là-dessus. Personnellement, j'ai préféré m'abstenir et rassurer les membres : " Soyez raisonnables, on ne va pas nous tromper. " L'Absym a également pesé pour maintenir la possibilité de sortie ultérieure de l'accord si les négociations n'allaient pas dans le bon sens. Il y avait en effet plusieurs options, dont l'appel aux déconventionnements individuels.Que pensez-vous de l'alignement de la norme de croissance sur le PIB ? N'est-ce pas pragmatique ?G.B. : C'est compréhensible d'un point de vue budgétaire, car les finances de l'État ne peuvent pas déraper sans cesse. Cependant, limiter actuellement la norme à 2 % reste problématique, et faire moins est grave. Chaque 1 % de norme équivaut à 500 millions d'euros pour un budget de 50 milliards, ce qui est énorme. Et il y a une urgence absolue : réformer les soins de santé. Il y a un momentum unique, quasi historique, à saisir, notamment après la crise du Covid, qui a bien testé la résilience du système. Et pour réformer les soins de santé, il faut réinvestir dans le système. C'est la clé du succès. Réformer tout en asphyxiant les acteurs n'est pas viable. Il faut investir pour que, dans la réorganisation voulue, il n'y ait pas de " grands " perdants. Et commencer par une norme à 3 % au lieu de 2 % permet de mieux répondre aux besoins croissants et de soutenir les réformes. Cela représenterait déjà 1,5 milliard d'euros supplémentaires, qu'on pourrait par exemple utiliser pour en finir avec la réforme du financement des hôpitaux et celle de la nomenclature des médecins. Sans aller dans une granularité infinie, une rebudgétisation sur base d'éléments macro (des médianes de coûts ou de frais) pourrait être facilitée si on met ces 1,5 milliard, avec une part pour les honoraires et une autre pour les hôpitaux. On pourrait imaginer 750 millions pour les honoraires et les soignants et 750 millions pour les hôpitaux, par exemple. La norme peut donc clairement être utilisée pour assurer les réformes attendues.Des économies dans le secteur sont-elles néanmoins possibles ? Certains à la N-VA, notamment, parlent régulièrement de gabegie...G.B.: Oui, certainement, on peut faire des économies grâce à l'efficience. C'est elle qui permettra de corriger la dévalorisation des prestations (augmenter la consultation à 50 euros, par exemple) et qui permettrait même de répondre à la pénurie de soignants. Il faut donc des marges d'efficience pour investir dans des outils modernes, comme le suivi à distance des patients (tout le mHealth), pour réduire les réhospitalisations et améliorer la qualité des soins. On a déjà 10 ans de retard. Les projets Value-Based Health ont commencé à fleurir dans tous les pays depuis 2010, et même en Europe, mais pas chez nous (cf. en Allemagne, par exemple, le modèle Optimedis et le suivi des patients insuffisants cardiaques, ou des applis de screening pour des pathologies mentales, etc., qui permettent de réduire les hospitalisations pour des décompensations jusque 80 % en moins).Comment pallier la grande différence de revenus entre médecins ?Il faut revoir la nomenclature en urgence, sur des bases simples et solides. Une unité de base est le temps. À niveau d'études égal et à temps de travail égal, une rétribution égale. Bien sûr, elle peut être corrigée par des éléments de risque et de complexité, mais au niveau des prestations intellectuelles et techniques de base, je pense que les écarts ne doivent pas être importants, au risque de recréer la soupe actuelle.En attendant cette réforme, dans l'immédiat, je pense notamment à l'accréditation comme outil de revalorisation. Il serait possible de maintenir une partie forfaitaire et d'utiliser l'autre partie autrement, sur base de critères de qualité par exemple, pour revaloriser les consultations. C'est une opinion personnelle, j'en conviens, mais il faut pouvoir en débattre.Il faut de toute manière revaloriser les consultations, et il n'y a pas d'argent dans l'immédiat. Actuellement, l'accréditation bénéficie à certaines spécialités plus qu'à d'autres. Cette disparité est une preuve supplémentaire que la nomenclature est mauvaise, un vrai patchwork. Mais cela n'autorise personne à dire que les médecins sont trop financés. Un médecin renommé est payé 30 euros pour une consultation, autant qu'un logopède. Cela devient ridicule. Il y a un réel problème de valorisation du travail correctement fait.Vous verriez donc plus de différenciation en fonction de l'ancienneté ?G.B. : Plutôt en fonction des compétences et de la valeur ajoutée dans les soins. C'est un peu la base même de la subsidiarité. Si vous voulez que les médecins puissent déléguer des choses simples, il faut alors revaloriser ce qui est plus complexe ou risqué.La formation et l'expérience des médecins doivent être valorisées. Si vous ne valorisez pas la formation, vous finissez par créer un système inéquitable. Dans les professions médicales où la formation est plus longue, la carrière est aussi plus courte.Actuellement, comment accepter que le tarif pour un accouchement par un gynécologue ou par une sage-femme soit quasi équivalent ? Je citais tout à l'heure la consultation du médecin et du logopède, mais aussi du psychologue.Il faut aussi bien réfléchir à la subsidiarité : pour des gestes simples, il est acceptable que ce ne soit pas le médecin qui intervienne, mais lorsque le médecin prend en charge des cas complexes, il doit être rémunéré en conséquence. Il faut toujours se poser la question dans les cas de délégation : quelle est la place du médecin ? Quelle est sa valeur ajoutée ?C'est un peu la même chose avec les hôpitaux. Quand tout le monde fait tout, et que la base est le prix de la journée justifiée, il devient difficile pour certains d'investir dans des soins complexes et/ou d'abandonner des soins moins complexes.Dans un réseau hospitalier, répartir les soins devient complexe. Si vous arrêtez de réaliser certains actes, cela modifie tout le case-mix et la valeur de votre journée justifiée. Il semble pourtant évident que les hôpitaux académiques ou de référence devraient se concentrer sur les pathologies les plus lourdes, tandis que les hôpitaux périphériques, secondaires ou régionaux doivent gérer des cas plus légers.Dans votre vision des choses, que faire des BIM dans le cadre général de la réforme de la nomenclature ?G.B. : Les BIM (bénéficiaires de l'intervention majorée) sont un enjeu complexe. Pourquoi ? Parce qu'on touche à nouveau à une catégorie de médecins en plus.En hospitalier, il y a déjà eu une limitation, mais il reste la possibilité d'avoir, à la demande du patient, un séjour en chambre individuelle avec des suppléments un peu plus libres.Dans l'ambulatoire, les médecins vont perdre cette liberté tarifaire, et pour des prestations techniques simples ou des prestations intellectuelles. Le levier n'est pas énorme pour compenser cette perte de revenus. De plus, en dehors de l'hôpital, le médecin ne peut bénéficier de mécanismes de solidarité ou de pool.Cela dit, il ne faut pas oublier que tous les patients ne disposent pas d'assurances couvrant leurs frais. Et les patients BIM sont souvent plus complexes et/ou précaires, nécessitant plus d'attention ou de temps.Je plaiderai volontiers pour un mécanisme de revalorisation urgente des consultations et/ou du DMG pour les patients BIM, afin d'éviter des tensions inutiles et un effet inverse : une réduction de l'accessibilité.Que faire des gains d'efficience ?G.B. : Pour rappel, si la norme de croissance est utilisée pour financer la réforme des soins de santé, alors les gains d'efficience doivent être complètement réinvestis dans le système.Aujourd'hui, une logique en silo prévaut : chaque secteur cherche à se revaloriser, sans cohérence globale. Nous devons récompenser les médecins qui se donnent les moyens d'assurer un travail de qualité, et miser moins sur le volume et certainement pas sur la redondance. Il y a des marges à saisir pour revaloriser.Il faut pouvoir imaginer des modalités de soins où la disponibilité du médecin soit rémunérée, justement parce qu'il évite des retours ou des hospitalisations. Cela vaut certainement déjà pour une série de pathologies chroniques comme le diabète, la BPCO, l'insuffisance cardiaque, etc.Ces dispositions doivent être intégrées et rémunérées de manière équitable. Tout miser sur le volume n'est plus viable.Que pensez-vous du modèle basé sur les forfaits ?G.B. : Le modèle des forfaits a ses limites.Il faudrait envisager des modalités qui rémunèrent les médecins pour leur disponibilité et leur suivi des patients, même en l'absence de consultations physiques. Ces modèles, on l'a déjà dit, ont prouvé leur efficacité pour réduire les réhospitalisations. Ces initiatives doivent être encouragées pour éviter des coûts inutiles et améliorer les soins.Le forfait convient bien aussi pour des permanences rendues obligatoires pour beaucoup. Comment imaginer encore des médecins dans les hôpitaux, sans une rétribution pour la disponibilité ? Par contre, pour des prestations techniques, comme la chirurgie, où l'intervention est connue et codifiée, le paiement à l'acte est un excellent modèle. Il favorise l'amélioration continue et la revalorisation de celui qui travaille plus et donne plus.Deuxième partie iciUne version courte de cette interview est parue dans l'édition papier du JDM datée du 4/02/2025.