La concertation est un pilier du système de santé belge, permettant aux médecins de peser dans les décisions, contrairement aux modèles plus centralisés des pays voisins. Gilbert Bejjani, président de l'Union des médecins (Absym de Bruxelles) défend cette approche et plaide pour un syndicalisme plus constructif, fondé sur le dialogue et le compromis. Conscient des critiques sur le corporatisme de l'Absym, il regrette les combats perdus. Il insiste sur la nécessité d'une revalorisation des consultations, d'un financement juste des permanences médicales et d'une meilleure efficience du système. Pour lui, l'engagement des médecins dans leur représentation est crucial afin d'influencer les réformes et défendre leurs conditions de travail. (Cet entretien a été réalisé avant la formation du gouvernement Arizona). Deuxième partie.
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Première partie iciVous semblez très attaché à la concertation. Pourquoi ?Gilbert Bejjani : La concertation est un atout unique en Belgique. Dans d'autres pays, tout est imposé sans discussion. Dans les pays voisins, que l'on prend parfois comme modèles, le ministre décide sur la base des analyses de son département et de quelques experts. Ici, nous pouvons encore débattre et proposer des compromis. La sécurité sociale est une richesse qu'il faut préserver. Autour de cette solidarité, la concertation reste un bien précieux.Je dis souvent " Oui, mais... " plutôt que simplement " non " aux réformes ou aux propositions qui sont soumises. C'est une approche constructive. Cette méthode donne, je trouve, un nouveau visage au syndicalisme. Cela étant, je ne suis pas celui qui décide, loin de là. Il y a un organe d'administration fédéral, un comité directeur et, bien entendu, un président. D'ailleurs, le prochain président devrait être un francophone et, c'est vrai, je n'ai pas encore songé à la possibilité de me présenter à l'élection fédérale de l'Absym.L'Absym est composée de chambres et est paritaire à tous les niveaux, entre médecins généralistes (MG) et spécialistes, mais aussi entre francophones et néerlandophones. Historiquement, il y avait trois chambres francophones qui se répartissaient les postes d'administrateurs (et les voix) en trois tiers. Mais, depuis la fusion de deux d'entre elles, certains ont l'impression d'un déséquilibre dans la représentation francophone.Il faut aussi rappeler que lors des élections syndicales, où l'on vote pour choisir les syndicats, nous ne savons pas précisément qui vote pour quelle chambre, mais uniquement qui vote pour l'Absym dans son ensemble. De ce fait, la parité est essentielle, car elle assure un poids égal à chaque composante du syndicat.Je ne sais pas encore si je me porterai candidat, mais si c'est le cas, mon engagement de campagne sera basé sur un " oui, mais ", dans une dynamique de renforcement de la concertation, de la démocratie interne et des actions concrètes sur des points fondamentaux et tangibles pour tous, comme la nécessaire revalorisation des consultations, mais aussi des permanences en général et de la disponibilité à l'hôpital.Que répondez-vous à ceux qui critiquent votre syndicat comme étant "scrogneugneu" ou corporatiste ?G.B. : C'est une critique facile, mais elle ne reflète pas la réalité. Nous avons évolué. L'Absym s'est rajeunie et féminisée. Les jeunes médecins ont voté pour nous, car nous avons porté des combats qui les concernent directement, comme la réforme du "numerus clausus" et les conditions de travail des jeunes assistants.J'ai toujours défendu bec et ongles la situation précaire des assistants. Ce n'est pas nouveau.Cela ne signifie donc pas que nous sommes enfermés dans une posture négative. Si je me portais candidat à la présidence, je défendrais une approche plus constructive, en renforçant notre ouverture et notre transparence.Vous parlez parfois de combats perdus. Avez-vous des exemples ?G.B. : Nous avons certes perdu certains combats importants, comme la limitation des suppléments pour les chambres à deux lits, ce qui constitue une entrave à la liberté de pratique pour les médecins hors convention. Le projet BIM en est un autre pour le secteur ambulatoire, tout comme certaines réformes imposées, comme la vaccination par les pharmaciens. Nous avons parfois péché par le refus, sans proposer d'alternatives négociables (avis personnel, bien sûr).La norme de croissance est un autre bon exemple. Nous n'en avons quasiment jamais bénéficié. Lorsque des marges existaient, elles étaient souvent réinvesties dans d'autres "silos", car, vraisemblablement, nous ne sommes pas le "silo" favorisé par les politiques.Que nous restait-il ? L'index, comme unique moyen de financer des nouveautés ou de corriger des inégalités. Mais ce n'est pas toujours optimal. Pour certains, c'est vécu comme un gain, pour d'autres comme une perte.Prenons les prestations chirurgicales : de 2010 à 2020, nous avons perdu presque dix points d'index. C'est inadmissible.Nous avons aussi subi une perte de représentation au Comité de l'assurance. La composition a été diluée avec l'ajout de nouveaux membres, ce qui fragilise notre place dans le système. Aujourd'hui, nous n'avons quasiment aucune majorité nulle part.Dans la Commission paritaire médecins-hôpitaux, des mandats ont également été ajoutés pour des universitaires et des assistants, ce qui complique encore plus les votes.Malgré tout, pour provoquer, je pose cette question essentielle : Qu'avons-nous réellement gagné pour améliorer les revenus ou la qualité de vie des médecins ? Ces dix dernières années, nous avons assisté à une dégradation massive. Le burn-out et la souffrance au travail explosent.La réponse que j'attends à cette question est un engagement plus important et massif des médecins dans les organisations qui les représentent, pour peser plus sérieusement dans le débat. La politique de la chaise vide est toujours une mauvaise politique.Comment améliorer l'efficience et la communication au sein du syndicat médical ? Votre syndicat n'est-il pas trop corporatiste ?G.B. : J'ai déjà mentionné la structure du syndicat. Je ne suis pas président, je suis médecin et engagé. À l'Union des Médecins (Absym-Bruxelles), nous respectons une démocratie interne avec des garanties de parité entre généralistes et spécialistes.Au niveau fédéral, la parité entre les chambres composantes de l'Absym a été partiellement rompue, notamment chez les francophones. Cela crée un malaise pour certains membres.Historiquement, l'Absym a souvent été perçue comme un syndicat d'opposition, défendant un modèle libéral et certaines spécialités plus que d'autres. Cela alimente une image de corporatisme.Mais si j'étais président, je mettrais davantage l'accent sur une approche constructive, en travaillant avec les autres acteurs du secteur, et en prônant plus de transparence sur les financements et les positions. Nous devons changer notre manière de fonctionner. Trop souvent, nous nous positionnons dans une logique de blocage. Comme je l'ai dit, je défends plutôt une attitude de "oui, mais", pour trouver des solutions aux réformes nécessaires tout en protégeant les intérêts des médecins.Mis à part les combats perdus, quels sont les combats à mener dans l'immédiat ?G.B. : Nous devons nous concentrer sur trois axes principaux :-L'efficience : réduire les redondances et les gaspillages pour réinvestir dans les soins.-La revalorisation des consultations : une consultation de base doit être rémunérée de manière décente.-Le maintien des services essentiels, via le financement de la disponibilité et de la permanence. C'est crucial dans les Postes médicaux de Garde (PMG), mais aussi pour toutes les spécialités à l'hôpital et certainement par exemple pour les urgences, la pédiatrie et la maternité, l'anesthésie et les soins intensifs.La réorganisation est nécessaire, mais sans nuire à l'accessibilité pour les patients.Troisième partie iciUne version courte de cette interview est parue dans l'édition papier du JDM datée du 4/02/2025.