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Dans un article paru dans le semestriel Sociologies pratiques2, Cynthia Slomian se penche sur l'impact du plan eSanté sur la médecine générale, et plus particulièrement sur son appropriation des technologies de l'information et de la communication (TIC). Ces TIC sont les outils que les praticiens utilisent ou utiliseront dans leur quotidien : le dossier médical informatisé (DMI), l'e-prescription, MyCareNet, les différents réseaux santé, ou encore le Sumehr." L'implémentation de ces nouvelles technologies dans la pratique de la médecine s'est fait selon une approche technocratique et top-down ", défend la chercheuse liégeoise. " L'État estime qu'il suffit de mettre des outils technologiques performants à la disposition des médecins généralistes pour que les changements de pratiques s'opèrent naturellement. À côté de cela, les autorités au sens large sont conscientes du changement de paradigme que cela implique, autant qu'elles sont conscientes que tout le monde ne va pas accrocher le wagon. "La chercheuse, qui a assisté aux réunions préparatoires de l'actualisation du plan, ne nie pas pour autant la réflexion derrière la présente approche. " Elle découle d'une multitude d'actions bottom-up initiées dans les années 2000. Les réticences de l'époque ont mené à l'échec, mais ces projets ont accouché d'outils qui existaient à l'aube du plan eSanté. Ce plan était l'occasion de rassembler ces outils pour donner une vision de l'eSanté en Belgique. Comment articuler ces projets ? Comment éviter que le prestataire s'évertue à insérer ses données à travers six portails différents ? C'est à ces questions que répond le plan eSanté. Il y a une vraie réflexion derrière. Mais aujourd'hui, ce sont les autorités qui prennent l'initiative de créer les outils et non plus le terrain. "L'actuelle approche a pour défaut de rompre l'espace de discussion inhérent aux projets bottom-up. En supprimant cet espace, le plan projette de répondre à un ensemble uniforme de médecins. Une véritable gageure. " Les médecins généralistes n'ont pas tous la même pratique professionnelle. La représentation de la médecine diffère selon que l'on pratique seul, en groupe ou en maison médicale ", analyse Cynthia Slomian. " De même, l'appropriation de l'outil informatique et l'utilité que l'on en retire dépend de cette représentation de la médecine. "Une seule méthodologie ne peut répondre aux attentes de tous les médecins. " Il faut analyser et tenir compte des différents contextes de pratique. Par exemple, les maisons médicales ont déjà certains outils, des formations, des groupes d'utilisateurs et des logiciels multidisciplinaires. Il est donc plus facile pour les maisons médicales de s'insérer dans la philosophie du plan qui promeut le partage des données et la multidisciplinarité. Les généralistes travaillant dans cette forme de pratique partagent déjà leurs données : le plan eSanté ne posera pas de problème pour eux. À l'inverse du médecin âgé travaillant seul. La configuration de la pratique est totalement différente, et ça, le plan n'en tient pas compte. "Les médecins travaillant en maison médicale auront d'ailleurs plus de facilité à répondre aux six critères donnant droit à la prime de pratique intégrée. De quoi crier à la discrimination ? " Non. Je ne dirai pas cela ", répond Cynthia Slomian. " Mais il est délicat de généraliser les médecins en un groupe socioprofessionnel défini. Il y a certaines formes de pratique qu'il faudrait peut-être analyser pour mieux définir les demandes. Les généralistes ne sont pas tous logés à la même enseigne. "Il ne faut pas tirer sur l'ambulance, réagit la chercheuse liégeoise. " Je ne pense pas que le changement se fera comme le politique le souhaite, c'est-à-dire en suivant le plan, via un échéancier en cascade où tel jour le médecin devra changer sa méthode de travail du jour au lendemain. Je pense que le changement se fera tout simplement car il se fait déjà. Les médecins sont déjà informatisés. Ce qui pose problème, ce n'est pas le fait de s'informatiser mais de changer de manière de travailler. Et pour ce faire, il faut que le médecin y voie une plus-value, ce qui n'est pas toujours le cas. Ce sera un changement qui se fera sur le long terme. L'État n'est pas le seul à pousser à ce changement de paradigme : le patient est aussi en attente, sans oublier un certain lobbying des firmes commerciales qui produisent les outils informatiques pour les médecins. "Partant de ce constat, quelle serait la solution idéale pour une meilleure appropriation des TIC par les généralistes ? " Je ne sais pas s'il y a une solution. Je suis assez d'accord avec ce que constate l'Inami : tout le monde ne suivra pas le mouvement ", estime la chercheuse du Cris. " Et ce n'est pas grave. Je pense que la grande majorité va suivre. Il faut simplement réfléchir à une meilleure définition du médecin, définition qui n'est pas singulière mais plurielle et instaurer un réel accompagnement. "Au niveau de cet accompagnement, Cinthya Slomian a observé au cours de la trentaine d'entretiens semi-directifs qu'elle a menés que le généraliste pouvait être démuni face à cette informatisation forcée. " Parfois, la seule aide dont un généraliste bénéficie est donnée par la firme qui fournit le logiciel. " Mais le généraliste a également d'ores et déjà des solutions à disposition, notamment au niveau des cercles. " Je suis d'accord avec Guy Delrée (président de la Fédération des associations de généralistes de la Région wallonne (FAGW), ndlr), selon qui il faut s'investir dans les cercles pour avoir ce soutien. Il y a une vraie plus-value pour se soutenir mutuellement. Au niveau pratique, on ne discute finalement pas que de la garde, mais aussi des problèmes informatiques. "