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jdM : Du point de vue de l'organisation du GBO, il y a du changement. Vous vous professionnalisez encore plus avec l'arrivée de Jean-Noël Godin comme directeur du Groupement.Paul De Munck : j'assume le " encore plus ". On doit en permanence se professionnaliser davantage. L'arrivée de Jean-Noël Godin y contribue très certainement. Il est juriste et expert en santé...Et un carnet d'adresse gros comme ça...PDM : Pas seulement. On se fréquente depuis cette dernière législature. On s'est beaucoup parlé. On a beaucoup discuté. Au fur et à mesure de nos échanges, nous constations qu'on était sur la même longueur d'onde sur bien des points. Plus on échangeait, plus on se rapprochait. En juin dernier, la disponibilité de Jean-Noël s'est confirmée. Le Bureau du GBO fut à 100% enthousiaste. Jean-Noël est tout de même l'ancien conseiller santé du Premier ministre Charles Michel. Même si on n'est pas nécessairement d'accord sur tout, l'important, ce sont ses valeurs, son approche, son expérience, sa vision de notre système de santé et du syndicalisme médical et son souhait de travailler dans une structure comme le GBO dont il n'est pas coutumier. Le fait qu'il vienne du monde hospitalier (ndlr : J-N Godin a été directeur général de Gibbis, l'asbl faîtière des établissements de santé privés bruxellois) va nous aider aussi ainsi que nos alliés de Modes (ndlr : Le Monde des Spécialistes).Un aigle à deux têtes ?PDM : Non. Ce n'est pas un aigle à deux têtes. D'ailleurs au sein du bureau il y a un président, deux vice-présidents, un secrétaire général, deux secrétaires-généraux adjoints et un trésorier, tous médecins généralistes. Mais il n'y avait pas de directeur. Donc ça manquait. Directeur et président ont deux missions complètement différentes bien que complémentaires. L'arrivée de Jean-Noël est aussi un soulagement parce qu'avec les moyens limités qui sont les nôtres, c'est très difficile. Mais ce ne sera pas un aigle à deux têtes comme par exemple dans certaines formations politiques qui ont deux co-présidents.Jean-Noël Godin : mon intérêt pour la première ligne de soins est assez ancien. Il est dû à plusieurs facteurs. A fréquenter beaucoup la jeune génération, je constate qu'il y a des tas d'enjeux sociétaux et climatiques pas suffisamment pris en compte. Lorsque j'étais conseiller du premier ministre Charles Michel, j'ai eu l'occasion de rencontrer les principaux acteurs des soins de santé : Jo De Cock, administrateur-général de l'Inami, Pedro Facon (directeur du SPF Santé publique, ancien chef de cabinet de Maggie De Block), les représentants des prestataires, dont les médecins généralistes, des principales mutuelles, des fédérations hospitalières et hôpitaux académiques, de l'industrie pharmaceutique, etc. De ces rencontres j'ai cherché à appréhender la santé de manière globale. J'en ai déduit que des quatre stakeholders principaux (hôpitaux, médecins, industrie pharmaceutique et mutuelles), les médecins sont les moins armés pour défendre leur vision et les enjeux de leur profession. Tout simplement parce qu'ils n'ont pas le financement suffisant pour faire appel à une armée d'experts qui puissent constituer une machine de guerre pour défendre leurs idées auprès des autorités publiques ni les structures qui permettent de dérouler le tapis rouge devant les autorités publiques. Je prends deux exemples assez simples : le secteur pharmaceutique. Il a à sa disposition des leviers de communications importants : lancement d'un nouveau vaccin ou d'une nouvelle unité de recherche, prix Galien, etc. Les hôpitaux, idem : dès qu'ils inaugurent un nouveau bâtiment, tous les politiques du coin, tous partis confondus, se précipitent. Par contre, un médecin solo ou même une nouvelle maison médicale qui se crée, cela ne déplace pas les foules ! Ni la presse ! Au surplus, dans les négociations, plus qu'un carnet d'adresse, je vais apporter au GBO une vision " d'hélicoptère " sur l'organisation des soins. Parlant du budget, les trois grands autres stakeholders précités ont la possibilité de faire entendre haut et fort leurs revendications. Dès qu'on ose raboter le budget d'un hôpital, tous les politiques du coin font front, tous partis confondus pour dénoncer la " menace sur l'emploi ". Les mutuelles, même chose : lorsqu'elles fusionnent, les politiques reçoivent une multitude de lettres de citoyens persuadés, comme dans le Luxembourg, qu'ils devront désormais faire 70 km pour atteindre un bureau mutuelliste local .Vous partez du constat que la médecine générale est le centre de la première ligne...JNG : Je dirais qu'il est nécessaire d'aider par tous les moyens à revaloriser encore plus qu'elle ne l'est déjà la médecine générale en Belgique francophone. Le GBO, pour moi, c'est défendre des idées qui me sont chères en matière de défense de la première ligne. Je compte partager mon expérience de directeur de fédération hospitalière et la vue d'ensemble des soins de santé que j'ai pu acquérir en approchant différents cabinets ministériels (Demotte, Onkelinx, De Block ). J'aiderai le GBO à défendre encore mieux ses idées et les faire connaître. Pas seulement des autorités publiques mais aussi des jeunes médecins qui sont rétifs à s'engager dans le combat syndical par manque de temps. On observe que les citoyens sont moins impliqués politiquement qu'avant. Les enjeux climatiques font rebouger les jeunes. On espère que cela va insuffler une conscience politique aux jeunes générations sur d'autres thématiques comme la santé.Jean-Noël Godin, vous allez pouvoir représenter le GBO dans les instances de concertation traditionnelles comme l'Inami ? Car, il est parfois indispensable d'être médecin... N'est-ce pas une révolution nécessaire que des juristes ou autres spécialistes puissent siéger au nom des syndicats médicaux dans ces instances ?PDM : En l'état, il est vrai que la réponse est non. Il y a des règlements, des lois. Les nominations se font par arrêtés publiés au Moniteur. Donc Jean-Noël ne peut pas représenter officiellement le GBO par exemple en médicomut ou au Comité de l'assurance. Mais on voit bien la tendance actuelle lorsqu'à l'Inami, des groupes de travail se créent. à la médico-mut, je peux demander de l'inviter comme observateur. Jo De Cock (ndlr : l'administrateur général de l'Inami) a toujours été ouvert. De plus en plus, à l'avenir, on pourra peut-être aussi faire appel à des non-médecins pour les aider à assumer leur mission de défense professionnelle. Ce débat est en marche. A priori, nous ne sommes pas favorables à ce qu'une autre profession défende notre profession mais on entre sans doute dans une ère, avec la multidisciplinarité, où les forces vives sont partout représentées et dans laquelle médecins et non-médecins parleront ensemble. Attention : je ne souhaite pas que [le GBO] devienne une structure de représentation des médecins où il y aurait de moins en moins de médecins. Ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Les praticiens de terrain doivent continuer à défendre eux-mêmes leur métier. C'est fondamental. Si demain, le syndicat n'est plus cela, il perdra rapidement le contact avec la réalité comme certaines structures qui délèguent progressivement leur représentation à des " autres métiers que le leur ". Mais on est loin du compte ! Je vais solliciter Jean-Noël sans doute plus qu'il ne l'anticipait !Parmi les missions, y aura-t-il celle de maintenir et d'augmenter la dotation publique aux syndicats médicaux grâce à l'entregent de M. Godin ? Publiquement, vous vous plaignez régulièrement d'affronter des mastodontes comme les mutuelles (1 milliard d'euros de dotation) alors que vos moyens se comptent en quelques centaines de milliers d'euros... Le gouvernement est en affaire courante et fonctionne en 12e... Qu'en sera-t-il de votre dotation en 2020 ?PDM : Ce débat existe depuis des années. Depuis l'arrivée de AADM (ndlr : syndicat essentiellement flamand et généraliste qui pèse deux sièges de MG en médico-mut) et même avant, on soulignait que c'est tout de même très juste.On parle en tout de 1,1 million d'euros par an ?PDM : Oui. Le Cartel reçoit +/- 300.000 euros/an. Pour trois organisations (ndlr : ASGB, GBO et Modes) ! Avec tous les mandats qu'on exerce ! Deux : un troisième larron (AADM) arrive, le gâteau ne bouge pas. Trois : la 6e Réforme de l'Etat nous oblige à siéger dans des commissions régionales et ne Fédération Wallonie-Bruxelles, on ne reçoit rien de plus ! Je comprends que ce n'est pas l'Inami qui doit rétribuer notre présence à l'Aviq (ndlr : Agence (wallonne) pour une vie de qualité). L'Aviq ne distribue même pas de jetons de présence. Dans quel monde vit-on ? Donc, je dis que si on voulait démolir la concertation, on ne s'y prendrait pas autrement. " On va gentiment les laisser mourir de faim et puis on pourra dire : 'Vous voyez bien que vous ne pouvez pas assumer vos responsabilités'. "Maggie De Block a réagi d'ailleurs après les élections syndicales médicales à ce sujet estimant que la participation ayant été très faible, la dotation devait baisser...JNG : Il faut bien sûr agir sur tous les fronts et nous avons droit à quelque chose pour défendre la profession. C'est aussi parmi les grandes inégalités entre les médecins et les trois autres stakeholders : lorsque les autres vont à des réunions, ils ont le temps. Ils sont généralement salariés et payés pour cela. J'en discutais encore avec nos vice-présidents Marcel Bauval et Pierre Drielsma, et un de nos secrétaires généraux adjoints qui assurent la défense professionnelle en-dehors de leurs heures de travail. Les jetons de présence ne compensent pas la perte financière (le temps passé dans l'action syndicale est du temps perdu pour les patients ou du temps à rattraper pour les patients). Il faut également préparer ses dossiers en amont lorsqu'on siège en commission. Un autre volet serait la cotisation des membres. On ne paie quelque chose de significatif que pour quelque chose en lequel on croit. Qui est un plus pour soi-même.Vous envisagez d'essayer d'augmenter le nombre de membres ? C'est aussi de l'argent. Et indépendant des autorités politiques !JNG : Vous m'enlevez les mots de la bouche. Notre indépendance passe par là. Un mouvement qui dépend à 100% des subventions perd une part de liberté.PDM : Il est vrai qu'il y a une dotation et une cotisation des membres. Mais on sait bien que les cotisations ne suffisent pas. Merci à ceux qui cotisent déjà. Mais faisons des petits. Un médecin maître de stage, aujourd'hui, membre du GBO, électeur du GBO, convaincu de notre combat, doit pouvoir convaincre ses stagiaires de la nécessité de soutenir le syndicalisme médical. Après il optera pour le syndicat de son choix. Il faut retrouver la dimension du combat collectif. C'est ça le problème. Nous devons nous soutenir collectivement. Les ouvriers et employés cotisent au syndicat des travailleurs parce qu'ils y sont obligés ? Non. C'est aussi qu'ils savent qu'en cas de problème, ils pourront être défendus et qu'ils ont sans doute plus conscience de la nécessité d'une défense collectiveJNG : C'est également mon avis. Les marches pour le climat vont peut-être redynamiser les jeunes à s'impliquer dans d'autres actions collectives.PDM : " Là où il y a des difficultés dans l'exercice de la MG, la solution passe par la reconquête de la dimension collective de l'exercice professionnel ", dit SMG (ndlr : un des principaux syndicats français de médecins généralistes).JNG : dans leur métier, les jeunes médecins pensent beaucoup plus collectif que leurs aînés.PDM : mais pas pour la concertation en médico-mut... Faut pas rêver. Mais je pense que ça peut venir. Plus on aura des forces vives surtout en amont (et c'est difficile) mieux ce sera. Au GBO, trois jeunes médecins généralistes s'impliquent (ndlr : il cite les Drs Hechtermans, Archambeau et Orban) sur certains enjeux. Oui, certains commencent très jeunes le militantisme politique. Le GBO en fait partie même s'il n'y a pas de cartes de parti. C'est quand même un combat.Pour revenir sur le budget, AADM, c'est une idée de Ri De Ridder (ndlr : ancien directeur du Service des Soins de santé de l'Inami). Mais ce n'est qu'à coups d'artifices qu'il remplit les critères de syndicat représentatif (ndlr : présence dans deux Régions au moins et membres généralistes et spécialistes)... Et votre budget a été réduit d'autant... Est-ce qu'il est acquis que AADM va continuer dès lors qu'il y aura un nouveau directeur des Soins de santé qui va peut-être réinterpréter les critères de représentation ?PDM : AADM remplit les conditions juridiques aujourd'hui. Mais dès qu'on appliquera la nouvelle réglementation, il risque d'y avoir un problème. Dans l'ancienne réglementation, il respectait les critères. Pourquoi ? Il suffisait d'être présent dans deux Régions : Bruxelles et Flandre. Quelques médecins spécialistes membres et le tour est joué... Les choses ont aujourd'hui changé. Ils vont devoir justifier qu'ils ont un nombre minimum de MG et de spécialistes sur la deuxième région, Bruxelles. Le cabinet De Block n'a pas voulu aller sur trois Régions. C'était institutionnellement compliqué. Mais lorsqu'un syndicat est en l'occurrence purement flamand et monodisciplinaire dans les faits, il n'est pas normal de recevoir autant qu'un syndicat qui travaille sur trois Régions (tant en néerlandais qu'en français comme c'est le cas pour nous et l'Absym). De toute manière quant à l'esprit de la loi, c'était limite et un peu farfelu.JNG : Là aussi, au niveau du futur politique, beaucoup de choses peuvent se passer. Imaginons, pure hypothèse de travail, que certains partis flamands deviennent complètement majoritaires. Peut-être que le financement des syndicats médicaux serait simplement supprimé...Ainsi que les mutuelles...JNG : Les prochaines évolutions politiques seront déterminantes...Clairement, l'actuelle ministre De Block ne vous portait pas tellement dans son coeur... Si Maggie De Block rempilait dans une coalition bourguignone, votre dossier serait tout aussi difficile à plaider...JNG : Elle n'est pas " anti-syndicat médical " mais en-dehors du CD&V, je constate que beaucoup de partis flamands remettent en cause le principe même de la concertation. Dès qu'il y a un rapport de force, on impose des choses sans aucun respect de parité. La conséquence peut alors être :une médecine commerciale, une médecine à deux vitesses. C'est tout ce qu'il faut éviter. Le maintien de notre système de concertation est fondamental. Même s'il doit évoluer par rapport au système mis en place en 1964. Le danger vient de certains partis flamands... On doit se donner les moyens pour être le plus représentatif possible.PDM : Je suis d'accord pour rendre la concertation plus efficace. Mais le médecin reste tout de même une profession libérale d'indépendants pour la plupart. On charge déjà la barque du médecin en termes d'obligations, certaines rémunérées, certaines, pas. Mais un moment donné, le fil va casser si le médecin est obligé de faire des tas de choses sans qu'on se soit concerté avec lui. Le système des accords, essayons de le supprimer (et ce n'est même pas une menace de grève) et voyons ce qu'il se passera ! Par exemple, la prime télématique au sens large de 6.000 euros, vous savez quoi ? Eh bien on décide de ne plus la recevoir mais on ne s'informatise plus. Que vont-ils faire ? " On peut forcer les gens à obéir mais on ne peut pas les forcer à l'excellence ", a dit Alfred Zuriga. Or si le cadre est de plus en plus réglementaire, comment pourront-ils survivre et continuer à assurer la qualité des prestations ? Il faut continuer à réfléchir ensemble ! Il ne sert à rien de dire aux médecins : faites ceci ou cela ! On a déjà du mal à les amener vers notre combat mais si cela continue... La méthode n'est pas bonne. Reprenons le processus garde en MG : l'Etat exige du médecin ce service public. Du temps d'Onkelinx, elle disait: organisez vos tables rondes. Je les finance. Ça a fonctionné. La copie était prête. Puis la nouvelle gouvernance arrive. Et c'est comme si on n'avait rien fait. On passe en force. Après cinq ans, quel résultat ? On sait tout de même bien que si les acteurs n'adhèrent pas, cela ne marche pas. Il ne faut pas sous-estimer le " peuple médical " qui souffre. Le malaise des soignants est bien réel. Pensent-ils pouvoir continuer à faire des économies dans l'hôpital plutôt que rechercher plus d'efficience sans adhésion des acteurs ? Jamais ! On va les faire fuir, les précipiter dans des arrêts de travail. Je ne veux pas être l'apôtre de l'apocalypse. Mais être ministre de la Santé publique, c'est être bienveillante. " Je prends conscience des difficultés et de la pénibilité de votre travail et nous allons travailler ensemble pour les résoudre. " Est-ce que Mme De Block a fait cela ? Non. Je suis désolé. Je l'ai vue deux fois pendant cette législature. Je ne demande pas d'y aller tous les jours. Sauf que certains y sont tous les jours !Des noms !JNG : plutôt des Flamands (sourire).