En 2023, quatre hôpitaux généraux sur dix étaient déficitaires. C'est légèrement plus qu'en 2022. C'est ce que révèle la 30e édition de l'étude Maha menée par Belfius auprès des 89 hôpitaux généraux et sept hôpitaux académiques de Belgique. Comment explique-t-on cela?
"Le chiffre d'affaires a augmenté, mais les coûts ont augmenté également, légèrement plus d'ailleurs", répondent les experts de Belfius. "Si nous tenons compte du résultat exceptionnel, le résultat de l'exercice demeure positif en 2023. Il progresse même par rapport à 2022, passant de 37 millions d'euros à 82 millions d'euros." Il faut relativiser ce chiffre, qui pourrait paraître une bonne nouvelle : 82 millions dans un secteur qui pèse plus de 20 milliards d'euros, cela fait très peu (0,4%). De plus, si le résultat final est positif, c'est effectivement grâce au résultat exceptionnel qui englobe le Budget moyen financier (BMF) des hôpitaux, qui, octroyé avec un an de retard, a bénéficié de la forte indexation connue en 2022 (+8%). "Le résultat exceptionnel provient principalement des révisions, des rattrapages par la Santé publique pour les exercices précédents", complètent les analystes de Belfius.
Une hausse des revenus...
Les hôpitaux sont, dans l'ensemble, résilients (ont-ils le choix?). Ils accroissent leurs activités. Le nombre d'admissions a augmenté de 266.000 unités depuis 2019. Une hausse qui est évidemment due à la transition vers l'hospitalisation de jour. Seul un hôpital sur cinq compte plus d'hospitalisations classiques qu'en 2019.
La durée moyenne de séjour a donc diminué en conséquence, passant de 5,3 jours à 4,7 jours entre 2019 et 2023. Cette baisse est en cours depuis 20 ans. En maternité par exemple, la durée moyenne est passée de 5,8 jours en 2001 à 3,9 jours en 2023.
Cette augmentation a un effet sur l'activité de l'hôpital, qui génère davantage de revenus issus de suppléments de chambre et des produits accessoires (+15,8%).
Outre le BMF déjà mentionné, on note l'augmentation sensible du chiffre d'affaires en pharmacie, puisque les médicaments coûtent de plus en plus chers (+10,4%) et les honoraires des médecins (+8,7%) qui ont bénéficié de l'indexation appliquée en décalage.
... Contrebalancée par une hausse des coûts
Cela ne suffit pas. Les hôpitaux n'ont aucune marge de manoeuvre pour augmenter leurs recettes. À moins de le faire sur le dos du patient.
Les coûts ont donc dans le même temps augmenté plus rapidement que les rentrées d'argent. Les postes les plus importants sont les "autres achats" (+12,8%), l'alimentation (+10,3%) et la facture énergétique, qui a continué de grimper (+59%). Heureusement, cette dernière devrait baisser en 2024.
La facture énergétique a augmenté de 165% en deux ans.
Les dépenses pour l'achat de produits pharmaceutiques se sont également accrues (+11,2%). Là aussi, une baisse de l'augmentation des dépenses est prévue en 2024 (+5,5%).
Les honoraires des médecins ont grimpé de 11,3%, mais le principal poste de coûts dans un hôpital est le personnel. Les hôpitaux généraux y ont consacré un total de 8,931 millions d'euros en 2023 (+6,6%). Cette année, la hausse sera peu ou prou similaire (+5,3%).
Le résultat courant, principal indicateur des hôpitaux au-delà du résultat final qui peut être influencé - comme c'est le cas en 2023 - par un résultat de l'exercice exceptionnel, est de -174 millions d'euros. Cela constitue une moyenne à l'échelle de la Belgique, où des disparités existent entre les régions. Cependant, Belfius est clair: le nombre d'hôpitaux déficitaires augmente chaque année. Si un hôpital sur quatre est déficitaire à l'échelle du pays, ils sont environ 75% à Bruxelles et plus de la moitié en Wallonie, selon les fédérations hospitalières.
Des disparités
Ces disparités se marquent davantage quand on analyse la solvabilité des hôpitaux. Si la solvabilité s'élève à 23,5% pour l'ensemble du secteur, ce qui est supérieur à la norme minimale de 20%, il existe de grandes différences entre les hôpitaux et les régions. En Flandre, les fonds propres sont suffisamment solides (27,9% de solvabilité). Mais ce n'est pas le cas en Wallonie (18,6%) ni à Bruxelles (17%).
Cela influe sur les investissements. La Flandre a investi 577 millions d'euros dans le secteur hospitalier en 2023. Plus du double par rapport à 2022. Dans le même temps, la Wallonie a réduit la voilure, passant de 140 à 114 millions d'euros. À Bruxelles, le montant des investissement a été divisé quasi par quatre par rapport à 2022.
Evidemment, l'investissement dépend du moment, du type de projets, des constructions ou rénovations en cours. Et il faut également prendre en compte l'explosion des coûts de construction qui a entrainé une augmentation des prix des projets prévus.
Conclusion
"On constate chaque année que les chiffres sont mauvais", concluent les analystes de Belfius. "On le dit aussi depuis longtemps, il faut, dans les hôpitaux, un cadre viable et pérenne pour le personnel, pour une durabilité énergétique. Il faut tendre vers la robustesse financière des hôpitaux pour dégager des marges financières suffisantes. Pour faire face aux incertitudes et aux risques. Il faut un changement de paradigme. Comment? Le système des soins est sous-financé. Il faut repenser la façon dont sont alloués les moyens. D'autant plus dans le contexte compliqué que l'on connaît aujourd'hui. Le fédéral doit prévoir un cadre de financement stable et clair avec une vision à 15 ans. Il y a actuellement un momentum à saisir."
Réaction des fédérations hospitalières
Le journal du Médecin a sondé Dieter Goemaere (directeur hôpitaux & chief economist, Gibbis), le Dr Philippe Devos (directeur général d'Unessa) et Yves Smeets (directeur général de santhea) pour avoir une réaction sur cette édition 2024 du rapport Maha.
Ils sont unanimes (bien qu'ils aient été interrogés séparément, NdlR) : il n'y a pas de surprise. Ils ont ainsi tous les trois expliqué : "L'an dernier, on pouvait penser que la situation était ponctuelle. Mais retrouver la même situation un an plus tard, cela devient structurel."
Ils tirent clairement la sonnette d'alarme. Pour eux, la solution est avant tout politique : "Il faut d'abord un accord sur le budget 2025 pour avoir une vision à court terme. Il faudra ensuite avoir un gouvernement et un ministre de la Santé fédéral pour piloter un plan national", estime Dieter Goemaere. Yves Smeets le rejoint, ajoutant que "la santé n'est pas une variable d'ajustement. Le monde politique doit en tenir compte". Philippe Devos craint lui que les hôpitaux "ne paient la note dans quelques années, alors que l'on en aura le plus grand besoin. Il y a urgence de réformer".
Plus d'informations et de réactions dans votre édition du 19 novembre.