C'est Henri, infirmier spécialisé en ophtalmologie et bras droit du directeur, qui nous fait visiter le KCMC, l'un des trois hôpitaux tanzaniens qui soignent les yeux des enfants. Le KCMC est un établissement de référence, au service d'une population de quelque 8,3 millions de gens. La clinique compte en outre 450 lits et environ 1.000 employés.

Un peu plus tard, c'est le chef de service et docteur William Makupa qui nous accueille. L'intéressé travaille au KCMC depuis 2004. La clinique de l'oeil constitue une entité autonome de l'hôpital général. Elle reçoit chaque année environ 8.000 patients. Le service peut accueillir entre 70 et 80 patients à la fois, répartis dans des pièces de huit lits environ. Il y a aussi quelques chambres privées. Six à sept opérations y sont pratiquées chaque jour, ce qui représente un total de 2.500 interventions par an, dont 1.400 opérations de la cataracte. Une personne sur dix atteinte de cette maladie est un enfant.

Ceux-ci sont parfois opérés à un très jeune âge, toujours sous anesthésie générale. "Impossible de faire autrement avec les petits", explique le docteur Makupa. "Nous préférons aussi endormir complètement les adolescents, car nous savons d'expérience qu'ils peuvent être pris de panique en plein milieu de l'intervention. C'est une situation que nous souhaitons éviter à tout prix." Quant aux adultes, ceux-ci sont endormis localement. "L'anesthésie générale pour tout le monde ne nous permettrait pas de garder un si bon rythme d'intervention."

Le Dr Heiko Philippin, Raymond Kanga
Le Dr Heiko Philippin © Raymond Kanga

Non vacciné

Le service d'ophtalmologie se s'engage pas seulement au niveau clinique, mais aussi dans la prévention. "Nous procédons à des dépistages dans des régions reculées. En cas de diagnostique négatif, nous envoyons le patient à l'hôpital ou nous prenons en charge son déplacement."

La revalidation constitue une autre mission importante de la clinique. "A l'issue d'une intervention, les enfants plus âgés doivent littéralement réapprendre à voir. Leur cerveau a comme "oublié" les stimuli provenant de l'oeil opéré. Au plus un enfant atteint de cataracte est opéré tardivement, au pire sa vue restera après l'intervention. Souvent, ils ont aussi besoin d'appareils basse vision, comme des lunettes, une loupe ou un téléscope."

L'absence de vaccination généralisée contre la rougeole constitue l'une des causes principales de la haute prévalence de la cataracte chez les enfants. "Combinée à un manque de vitamine A, cette maladie peut provoquer la cataracte. Leur mère peut aussi leur avoir transmis la rubéole pendant la grossesse. Cette maladie engendre également la cécité, voire des problèmes cardiovasculaires. Actuellement, les autorités étudient la possibilité d'intégrer ces vaccins au programme de vaccination. Ce serait une très bonne idée évidemment."

L'hôpital traite aussi une autre maladie, le rétinoblastome. "Cette tumeur est parfois déjà tellement volumineuse que nous sommes obligés d'enlever les deux yeux", poursuit le docteur Makupa. Pourquoi les gens laissent-ils les choses dégénérer à ce point ? "La croyance en des forces supérieures est encore très ancrée en Tanzanie, tout comme la médecine traditionnelle. Je me souviens par exemple de cette jeune femme, qui avait préféré dépenser l'argent destiné aux gouttes pour les yeux à l'une ou l'autre mixture aux plantes, mixture qui n'avait fait qu'empirer son état. Heureusement, nous avons pu sauver sa vue, mais de telles habitudes peuvent avoir des conséquences dramatiques."

Par contre, le docteur Makupa a constaté une réelle prise de conscience ces dernières années de la maladie oculaire. "Le nombre de patients à l'hôpital est en augmentation constante, mais il faut aussi prendre en compte le boom que connaît actuellement la population tanzanienne."

Cas atypique

Le lendemain à l'hôpital. Le jour suivant, nous grimpons dans le bus pour nous rendre à quelques 270 km de là, dans la petite ville de Korogwe. Deux jeunes garçons doivent y être embarqués pour subir une opération de l'oeil au KCMC. Athuman, huit ans, a reçu un caillou dans l'oeil en jouant et est aveugle de l'oeil droit depuis quelques mois. Quant à Faustin, six ans, ce dernier a commencé à se plaindre de son oeil gauche il y a deux années de cela. C'était comme s'il y avait sans cesse du sable dedans, nous explique sa mère. Celle-ci a d'abord essayé de soulager la douleur à l'aide de lavages oculaires. Ne voyant aucune amélioration, elle a décidé d'emmener son fils à la consultation de l'hôpital du district. Là-bas, on lui a expliqué que son fils devait être opéré au KCMC et que cela allait être très coûteux. Mais de l'argent, sa famille n'en a pas. L'école prend donc contact avec Lumière pour le monde. Au final, l'intervention ne coûtera rien à la famille et rendra probablement la vue à l'enfant.

Faustin vient d'arriver en salle d'opération. Nous enfilons une tenue stérile et un masque et prenons place discrètement autour de la table. Le docteur allemand Heiko Philippin nous explique ce qu'il est en train de faire et nous suivons ses gestes sur un écran d'ordinateur. L'opération dure un peu plus longtemps que prévu, car il ne s'agit pas d'une cataracte classique. L'opération réussit pourtant parfaitement. Faustin sort de salle d'opération. C'est maintenant au tour d'Athuman.

Une autre journée s'écoule. Les bandages sont enlevés et les deux garçons passent un test oculaire. C'est Faustin qui s'y attelle en premier. L'amélioration est claire. Son oeil lui permet maintenant de voir des formes à plusieurs mètres de distance là où, avant, il ne voyait votre doigt que si vous le mettiez juste devant son oeil. Une opération réussie donc et une vision qui continuera de s'améliorer dans les jours qui suivent, assure le docteur. Dans un jour ou deux, l'enfant pourra retourner aussi chez lui, une fois tous les risques d'inflammation écartés.

Résultat moins brillant pour Athuman. Nous remarquons vite qu'il ne voit toujours pas bien de son oeil opéré. Le docteur Heiko nous avait prévenu. La cataracte d'Athuman résulte d'un traumatisme (un caillou dans l'oeil) et d'autres dégâts ont été constatés lors de l'intervention. La cornée est touchée et s'est vraisemblablement décollée. il faudra peut-être une deuxième opération pour améliorer la vue de l'enfant. Celui-ci sera suivi de près dans les jours qui suivent, avant que l'équipe médicale ne décide de la suite des événements.

Les pensionnés belges à la rescousse

Sur le trajet du retour, Lien, la responsable de la communication chez Lumière pour le monde, nous explique le fonctionnement de l'ONG. Elle nous apprend ainsi que l'organisation engage régulièrement des ophtalmologues belges pensionnés pour former les jeunes spécialistes tanzaniens. Pourquoi des pensionnés ? Parce qu'ils connaissent les anciennes méthodes d'opération de la cataracte, méthodes dont les jeunes docteurs tanzaniens ont besoin. En effet, ces derniers sont souvent confrontés à des cas avancés de maladie, où il faut briser le cristallin en incisant plus profondément. Une technique que les médecins n'utilisent plus chez nous...

C'est Henri, infirmier spécialisé en ophtalmologie et bras droit du directeur, qui nous fait visiter le KCMC, l'un des trois hôpitaux tanzaniens qui soignent les yeux des enfants. Le KCMC est un établissement de référence, au service d'une population de quelque 8,3 millions de gens. La clinique compte en outre 450 lits et environ 1.000 employés.Un peu plus tard, c'est le chef de service et docteur William Makupa qui nous accueille. L'intéressé travaille au KCMC depuis 2004. La clinique de l'oeil constitue une entité autonome de l'hôpital général. Elle reçoit chaque année environ 8.000 patients. Le service peut accueillir entre 70 et 80 patients à la fois, répartis dans des pièces de huit lits environ. Il y a aussi quelques chambres privées. Six à sept opérations y sont pratiquées chaque jour, ce qui représente un total de 2.500 interventions par an, dont 1.400 opérations de la cataracte. Une personne sur dix atteinte de cette maladie est un enfant.Ceux-ci sont parfois opérés à un très jeune âge, toujours sous anesthésie générale. "Impossible de faire autrement avec les petits", explique le docteur Makupa. "Nous préférons aussi endormir complètement les adolescents, car nous savons d'expérience qu'ils peuvent être pris de panique en plein milieu de l'intervention. C'est une situation que nous souhaitons éviter à tout prix." Quant aux adultes, ceux-ci sont endormis localement. "L'anesthésie générale pour tout le monde ne nous permettrait pas de garder un si bon rythme d'intervention."Le service d'ophtalmologie se s'engage pas seulement au niveau clinique, mais aussi dans la prévention. "Nous procédons à des dépistages dans des régions reculées. En cas de diagnostique négatif, nous envoyons le patient à l'hôpital ou nous prenons en charge son déplacement."La revalidation constitue une autre mission importante de la clinique. "A l'issue d'une intervention, les enfants plus âgés doivent littéralement réapprendre à voir. Leur cerveau a comme "oublié" les stimuli provenant de l'oeil opéré. Au plus un enfant atteint de cataracte est opéré tardivement, au pire sa vue restera après l'intervention. Souvent, ils ont aussi besoin d'appareils basse vision, comme des lunettes, une loupe ou un téléscope."L'absence de vaccination généralisée contre la rougeole constitue l'une des causes principales de la haute prévalence de la cataracte chez les enfants. "Combinée à un manque de vitamine A, cette maladie peut provoquer la cataracte. Leur mère peut aussi leur avoir transmis la rubéole pendant la grossesse. Cette maladie engendre également la cécité, voire des problèmes cardiovasculaires. Actuellement, les autorités étudient la possibilité d'intégrer ces vaccins au programme de vaccination. Ce serait une très bonne idée évidemment."L'hôpital traite aussi une autre maladie, le rétinoblastome. "Cette tumeur est parfois déjà tellement volumineuse que nous sommes obligés d'enlever les deux yeux", poursuit le docteur Makupa. Pourquoi les gens laissent-ils les choses dégénérer à ce point ? "La croyance en des forces supérieures est encore très ancrée en Tanzanie, tout comme la médecine traditionnelle. Je me souviens par exemple de cette jeune femme, qui avait préféré dépenser l'argent destiné aux gouttes pour les yeux à l'une ou l'autre mixture aux plantes, mixture qui n'avait fait qu'empirer son état. Heureusement, nous avons pu sauver sa vue, mais de telles habitudes peuvent avoir des conséquences dramatiques."Par contre, le docteur Makupa a constaté une réelle prise de conscience ces dernières années de la maladie oculaire. "Le nombre de patients à l'hôpital est en augmentation constante, mais il faut aussi prendre en compte le boom que connaît actuellement la population tanzanienne."Le lendemain à l'hôpital. Le jour suivant, nous grimpons dans le bus pour nous rendre à quelques 270 km de là, dans la petite ville de Korogwe. Deux jeunes garçons doivent y être embarqués pour subir une opération de l'oeil au KCMC. Athuman, huit ans, a reçu un caillou dans l'oeil en jouant et est aveugle de l'oeil droit depuis quelques mois. Quant à Faustin, six ans, ce dernier a commencé à se plaindre de son oeil gauche il y a deux années de cela. C'était comme s'il y avait sans cesse du sable dedans, nous explique sa mère. Celle-ci a d'abord essayé de soulager la douleur à l'aide de lavages oculaires. Ne voyant aucune amélioration, elle a décidé d'emmener son fils à la consultation de l'hôpital du district. Là-bas, on lui a expliqué que son fils devait être opéré au KCMC et que cela allait être très coûteux. Mais de l'argent, sa famille n'en a pas. L'école prend donc contact avec Lumière pour le monde. Au final, l'intervention ne coûtera rien à la famille et rendra probablement la vue à l'enfant.Faustin vient d'arriver en salle d'opération. Nous enfilons une tenue stérile et un masque et prenons place discrètement autour de la table. Le docteur allemand Heiko Philippin nous explique ce qu'il est en train de faire et nous suivons ses gestes sur un écran d'ordinateur. L'opération dure un peu plus longtemps que prévu, car il ne s'agit pas d'une cataracte classique. L'opération réussit pourtant parfaitement. Faustin sort de salle d'opération. C'est maintenant au tour d'Athuman.Une autre journée s'écoule. Les bandages sont enlevés et les deux garçons passent un test oculaire. C'est Faustin qui s'y attelle en premier. L'amélioration est claire. Son oeil lui permet maintenant de voir des formes à plusieurs mètres de distance là où, avant, il ne voyait votre doigt que si vous le mettiez juste devant son oeil. Une opération réussie donc et une vision qui continuera de s'améliorer dans les jours qui suivent, assure le docteur. Dans un jour ou deux, l'enfant pourra retourner aussi chez lui, une fois tous les risques d'inflammation écartés.Résultat moins brillant pour Athuman. Nous remarquons vite qu'il ne voit toujours pas bien de son oeil opéré. Le docteur Heiko nous avait prévenu. La cataracte d'Athuman résulte d'un traumatisme (un caillou dans l'oeil) et d'autres dégâts ont été constatés lors de l'intervention. La cornée est touchée et s'est vraisemblablement décollée. il faudra peut-être une deuxième opération pour améliorer la vue de l'enfant. Celui-ci sera suivi de près dans les jours qui suivent, avant que l'équipe médicale ne décide de la suite des événements.Sur le trajet du retour, Lien, la responsable de la communication chez Lumière pour le monde, nous explique le fonctionnement de l'ONG. Elle nous apprend ainsi que l'organisation engage régulièrement des ophtalmologues belges pensionnés pour former les jeunes spécialistes tanzaniens. Pourquoi des pensionnés ? Parce qu'ils connaissent les anciennes méthodes d'opération de la cataracte, méthodes dont les jeunes docteurs tanzaniens ont besoin. En effet, ces derniers sont souvent confrontés à des cas avancés de maladie, où il faut briser le cristallin en incisant plus profondément. Une technique que les médecins n'utilisent plus chez nous...