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Se réjouit-on trop vite tant en termes humains que pour les caisses de la sécu ? Une étude menée notamment par Martine Piccart, chercheuse à l'Institut Bordet a été citée au Parlement fédéral en raison du fait qu'elle concluait que la chimiothérapie dans le traitement du cancer du sein est inutile dans 14% des cas. Des chercheurs de l'université de La Nouvelle Orléans ont immédiatement considéré ces résultats comme "très importants" pour l'avenir puisqu'ils annoncent d'importantes économies pour le budget des soins de santé et moins de désagrément pour les patientes.Selon le Dr Philippe Aftimos, il convient de nuancer ces résultats. En préambule, explique-t-il, "il y a trois types de cancer du sein : le cancer du sein hormonosensible (70% des cas), le cancer du sein lié à la protéine HER2 (20%) et le cancer du sein triple négatif (10-15%). Pour décider de l'indication d'une chimiothérapie post-opératoire dont le but est de réduire le taux de récidive, on évalue les caractéristiques cliniques : taille de la tumeur, nombre de ganglions touchés, récepteurs. Concernant les cancers hormonodépendants potentiellement curables par hormonothérapie sans chimiothérapie, on est dans la zone grise. Si de nombreux ganglions sont touchés (plus que trois), la question ne se pose pas. La chimiothérapie est prescrite de toute façon. Si peu ou pas de ganglions sont touchés, on ne connaît pas les bénéfices de la chimiothérapie. Un algorithme décisionnel avait été développé pour décider. Mais depuis les années 2000, on appréhende mieux les signatures d'expression génique liées à la prolifération des cancers. Plus les cancers prolifèrent plus on pense qu'il y a un meilleur bénéfice lié à la chimiothérapie."L'étude menée par Martine Piccard est en réalité l'étude Mindact*. Cette dernière se penche sur une population de femmes atteintes d'un cancer du sein dont la grande majorité sont des patientes avec récepteur hormonal positif et à protéine HER2 négatif et ayant au maximum 3 ganglions touchés. Les nouvelles technologies microarrays (biopuces) et les techniques en laboratoires permettent aujourd'hui d'analyser les tissus prélevés par biopsie sans devoir les congeler. "La signature du test dit 'Mammaprint' nous indique le degré de risque : haut (le risque de rechute est plus élevé) ou bas (risque moins élevé) sur une large population de patientes. Le but de l'étude Mindact est de comparer la biologie et l'anatomie en randomisant les patientes en fonction du risque clinique ou génomique. Le groupe le plus intéressant concerne la discordance haut risque clinique (taille tumorale, ganglions touchés, prolifération élevée ou intermédiaire) avec toutefois un risque génomique bas."Cette population "discordante" intéresse les chercheurs particulièrement. Elle se compose d'environ 2.100 patientes. 1.550 étaient haut risque par la clinique et bas risque par génomique, 600 avaient le profil inverse. Or en pratique courante, la chimiothérapie est prescrite aux patientes avec un haut risque clinique alors que certaines présentent un risque génomique bas avec l'hypothèse qu'une hormonothérapie sans chimiothérapie suffirait. "L'étude Mindact a atteint son objectif principal. En effet, les patientes avec un haut risque clinique et un bas risque génomique et n'ayant pas été traitée par chimiothérapie ont eu un taux de rechute à 5 ans de moins de 8% (5.3%). En suivant la stratégie clinique (sans test génomique), 50% des patientes de l'étude auraient reçu une chimio alors que seules 36% l'auraient eu en suivant la stratégie génomique." C'est la différence entre 50 et 36 qui donne le chiffre de 14% de patientes chez lesquelles on pourrait éventuellement éviter une chimiothérapie adjuvante. C'est ce chiffre qui interpelle les politiques. Autrement dit, si le médecin devait suivre son "instinct" clinique, à peu près 50% de ces patientes doivent recevoir une chimio alors que la stratégie génomique ne le prescrit que pour 36% d'entre elles. On diminue donc la prescription de chimio globalement de 14%.Maintenant, si on le traduit en économie de la santé (coût de la chimio), en confort de vie de la patiente et en conséquences sociétales (absentéisme, etc.), cela concerne environ 1.500 patientes en Belgique qui, en effet, pourraient échapper à une chimiothérapie grâce au test génomique Mammaprint cité ci-dessus. D'où l'intérêt de mettre ce test génomique dans la pratique quotidienne des cancérologues. Seul hic : il coûte plus de 2.000 euros et n'est actuellement pas remboursé. Son coût est néanmoins très inférieur au prix financier et sociétal de la chimiothérapie. Et en termes coût-efficacité, le test fait sens puisqu'il éviterait à des centaines de patientes à haut risque clinique une chimiothérapie. Selon le Dr Aftimos, certains pays comme le Canada ou le Royaume-Uni ont introduit ces tests dans la pratique clinique en développant des recommandations strictes et en négociant les prix... À méditer au cabinet de Maggie De Block ?*70-Gene Signature as an Aid to Treatment Decisions in Early-Stage Breast Cancer ; N Engl J Med 2016;375:717-29.