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Souvent désigné comme la "bible" de la psychiatrie, le DSM serait-il devenu parole d'évangile ? Une chose est sûre : les retombées de cet ouvrage sur la pratique médicale et l'économie de la santé sont tout sauf une vue de l'esprit. Ainsi, le DSM sert aujourd'hui de référence aux assurances et à la sécurité sociale pour déterminer leurs interventions. Sa classification a par ailleurs servi de base à la CIM (Classification internationale des maladies) de l'OMS pour les troubles mentaux. Elle préside donc aussi à l'inclusion des patients dans les études cliniques.Conçu pour permettre l'émergence d'un langage commun, au-delà des frontières et des écoles de pensée, le DSM aurait en fait excédé son rôle. Pour ses détracteurs, il serait l'emblème d'une pensée unique gangrénant la psychiatrie et, de proche en proche, l'ensemble de la société, passablement bien éduquée à reconnaître ses propres " troubles ".En faisant table rase de toute la tradition psychiatrique - en particulier de la psychanalyse et des approches psychodynamiques -, le DSM érigerait en vérité un modèle biomédical réducteur. Des critiques auxquelles se mêlent les accusations de mainmise de l'industrie pharmaceutique sur ce répertoire qui ferait croire à n'importe quel lecteur lambda qu'il est atteint - tant les critères semblent larges et les syndromes répertoriés nombreux - et qu'il doit donc se soigner. Ainsi, alors que le premier DSM, paru en 1952, recensait 106 pathologies, la dernière version parue en 2000 (le DSM-IV-TR, version légèrement revue du DSM-IV de 1994) recense plus de 400 " troubles ". Le DSM-5 devrait encore en ajouter quelques dizaines, introduisant notamment un aspect dimensionnel avec le "spectre" de la schizophrénie ou de l'autisme.Un outil nécessaire et non suffisantReste qu'une majorité des psychiatres considère le DSM comme un outil nécessaire dans la pratique quotidienne, sans lui conférer pour autant le statut de bible. " Les personnes les plus critiques vis-à-vis du DSM ne savent pas toujours clairement ce que c'est ", commente le Pr Paul Verbanck, chef du service de psychiatrie au CHU Brugmann. " C'est tout sauf une bible, tout sauf la vérité, mais cela relève d'une décision de consensus. C'est un outil non dogmatique et évolutif. " Aucun praticien digne de ce nom ne se contente donc du DSM : les critiques seraient de ce point de vue injustement alarmistes." Lorsque j'étais étudiant en psychiatrie et que le DSM-III est sorti, tout le monde nous a dit de ne pas nous inquiéter ", commente le Pr Nicolas Zdanowicz, psychiatre au CHU Mont-Godinne, qui travaille actuellement à un ouvrage sur le DSM (à paraître aux éditions Mardaga) avec le Dr Pierre Schepens, chef des services de psychiatrie à la Clinique de la Forêt de Soignies. " Cela devait rester anecdotique, un outil de recherche parmi d'autres. Or force est de constater qu'en quinze ans, c'est devenu une machine de guerre... ", poursuit ce dernier.Une lecture critique s'impose donc pour cette dernière mouture, qui pourrait signer un nouveau changement de cap dans le champ toujours très divisé de la psychiatrie.