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Reprenons les faits. Tine Nys, jeune femme de 38 ans, aînée d'une fratrie de trois soeurs et d'un frère, demandera l'euthanasie le jour de Noël de 2009. Sans entrer dans les détails, elle souffre depuis des années de troubles psychiatriques. Elle est déterminée, c'est un euphémisme, et désespérée. L'euthanasie se déroulera le 27 avril 2010, en présence de ses deux soeurs et de ses parents.À ses funérailles, la psychiatre, intervenue comme second médecin consulté, prononcera quelques mots et ce, à la demande du père de Tine.La déclaration d'euthanasie sera adressée par le médecin traitant à la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de la loi relative à l'euthanasie. Avec un retard de 51 jours. C'est une faute, une négligence. Mais ce n'est pas un crime. La Commission acceptera la déclaration.L'on pourrait croire que l'histoire est finie et que Tine repose désormais en paix. Mais les choses ne se passeront pas ainsi. Le 5 octobre 2011, sa soeur Sophie se constitue partie civile. Elle accuse le médecin traitant ainsi que les deux autres médecins intervenus dans la procédure de ne pas avoir respecté la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie.À l'issue de l'instruction, le parquet de Termonde trace un réquisitoire de non-lieu. La Chambre du conseil suit ce réquisitoire et prononce le non-lieu le 20 décembre 2016. La partie civile interjette appel le 2 janvier 2017.Coup de théâtre : le ministère public ne parle plus de non-lieu et retient le crime d'empoisonnement à charge des trois médecins. Et le 22 novembre 2018, la Chambre des mises en accusation décide du renvoi de ces médecins du chef d'empoisonnement devant la Cour d'assises de Gand.De nombreuses questions se posent. Certaines peuvent trouver une réponse, par exemple pourquoi la Cour d'assises ? J'y ai répondu dans mon article " La Cour d'assises et l'euthanasie " (https://www.lejournaldumedecin. com/actualite/la-cour-d-assises-et-l-euthanasie/article-opinion-37679.html) : en Belgique, aucune loi ne prévoit de peine particulière pour l'euthanasie ou le suicide assisté. Dès lors, il s'agit de se référer au droit commun ("du meurtre et de ses diverses espèces "), avec pour conséquence que ces affaires relèvent de la Cour d'assises. De là dire que la réponse est satisfaisante est un pas que je ne franchirais pas.D'autres questions restent sans réponse. Ainsi comment expliquer le revirement du ministère public ? Qu'est-ce qui a poussé Sophie, suivie par sa soeur et son frère ainsi que ses parents, à remettre en question l'euthanasie de Tine ? L'a-t-on informée des conséquences possibles ? Savait-elle qu'elle allait devoir affronter cette épreuve des assises ? Car Sophie et les siens vont devoir parler, en public, de l'histoire de leur famille. Une histoire qui semble douloureuse. L'histoire de Tine va être fouillée, foulée aux pieds. Tout va être déballé, en ce compris les coups administrés par sa mère, ses tentatives de suicide, l'épisode de prostitution, ses séjours en institutions psychiatriques, ses défaites amoureuses. La famille ne va pas être épargnée.La Cour d'assises est le pire lieu pour accomplir un travail de deuil quand les secrets d'une famille éclatent au grand jour.La vie de ces trois médecins va aussi être scrutée. Même acquittés comme il faut l'espérer, les médecins ont subi une épreuve qui va les marquer à tout jamais.Au-delà de ces trois médecins, ne court-on pas le risque que ce procès d'une euthanasie devienne celui de la loi relative à l'euthanasie, en particulier pour les patients atteints de troubles psychiatriques ? Que demain des médecins craignent un procès en cas de réponse positive à une demande d'euthanasie ? Faudra-t-il tordre l'esprit de la loi qui fait peser la responsabilité de la décision sur le patient et le médecin en exigeant " l'accord " des proches ? Et quand bien même aurait-on cet " accord ", nullement prévu par la loi, peut-on éviter qu'un membre de la famille tente de trouver un bouc émissaire parce qu'il n'a pas accompli son travail de deuil, parce qu'il éprouve un sentiment de culpabilité pour n'avoir pas compris la souffrance d'un proche ? La nature humaine est imprévisible.Il reste à espérer que la Cour se concentre sur l'essentiel : les conditions fondamentales de la loi du 28 mai 2002 sont-elles rencontrées ? Tine a-telle bien formulé une demande volontaire, réfléchie, constante, sans pression extérieure alors qu'elle éprouvait des souffrances inapaisables causées par une affection grave et incurable ? On ne condamne pas pour empoisonnement un homme pour avoir adressé un document en retard !La suite des débats nous le dira, le verdict étant attendu pour la fin du mois de janvier.