Selon l'étude Maha, 63% des établissement hospitaliers belges présentent un budget déficitaire. La situation est encore plus dramatique à Bruxelles, relate Dieter Goemaere, directeur hôpitaux et chief economist chez Gibbis, la fédération des instituts de soins de la Région de Bruxelles-Capitale.
...
Les causes des déficits hospitaliers ne sont pas neuves : le sous-financement structurel croissant, le contexte économique, de nouvelles obligations non financées comme la cybersécurité et la pénurie de personnel médical. Le pays tout entier est confronté à ce problème, mais ces difficultés sont aggravées par des éléments spécifiques à Bruxelles, explique Dieter Goemaere."Bruxelles se distingue par trois caractéristiques. Nous avons heureusement un sérieux atout : la concentration d'expertise dans notre métropole. Nous la devons à notre statut de capitale de la Belgique, à notre position centrale et à notre modèle économique ouvert. Bruxelles génère 17 à 18% du PIB belge." "Bruxelles est en proie aux mêmes défis que des métropoles comme Paris ou Londres. Nous abritons 1,2 million d'habitants sur un territoire relativement restreint. La population est très diverse - on y parle 107 langues. Selon StatBel, 38% des habitants sont exposés à un risque accru de pauvreté ou d'exclusion sociale - deux fois plus que la moyenne belge. Le nombre de sans-abri est estimé à 7.000, et un grand nombre de personnes est sous demande de protection internationale." "La complexité institutionnelle constitue le troisième facteur. La Flandre a une vision pour Bruxelles, la Wallonie en a une autre et les Bruxellois eux-mêmes ont une vision." Ces caractéristiques jouent un rôle important dans le domaine médical, poursuit M. Goemaere. "Commençons par l'aspect positif : notre fantastique concentration d'expertise. Trois des sept hôpitaux universitaires sont situés dans notre région. Nos établissements hospitaliers accueillent également des patients des régions avoisinantes : 36% des patients des hôpitaux généraux sont issus d'une autre région, parfois même de la frontière française. Bien que Bruxelles n'abrite que 10% de la population belge, elle concentre 15% de l'offre hospitalière." "Toutefois, la réalité des hôpitaux bruxellois diffère de celle des autres établissements de soins. Ainsi, un tiers des Bruxellois n'a pas de médecin de famille attitré. En cas de problème, ces personnes se tournent plus souvent vers l'hôpital. Vous me direz qu'il faut apprendre aux gens à ne pas se rendre aux urgences pour n'importe quel problème, mais c'est un travail de longue haleine. Nous voulons donc investir davantage dans la collaboration entre les postes de garde et les urgences." "Le risque accru de pauvreté de la population bruxelloise a un impact sur le budget de nos hôpitaux : ils sont confrontés à 27% du total des factures impayées en Belgique. J'ai déjà évoqué le nombre élevé de sans-abri et de demandeurs d'asile. Pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, voici un chiffre : un hôpital belge moyen a 1% de dossiers MediPrima pour les patients sans domicile fixe. Pour les quatre établissements bruxellois, cette proportion va de 9 à 25%." "Le profil de la population a des implications financières et sanitaires. Le gouvernement souhaite que les hôpitaux réduisent la durée des hospitalisations et renvoient plus rapidement les patients chez eux. Encore faut-il qu'ils puissent bénéficier d'un bon encadrement à domicile." La précarité financière des hôpitaux bruxellois est encore plus flagrante si on tient compte du paiement des pensions, ajoute Dieter Goemaere. "Les pensions du personnel statutaire sont couvertes par un nombre de travailleurs de plus en plus restreint, surtout dans les établissements publics, soit un sur trois à Bruxelles. De moins en moins d'employés statutaires cotisent. Les hôpitaux doivent donc compenser cette perte. C'est une véritable épée de Damoclès." "Le Conseil fédéral des établissements hospitaliers a calculé que les hôpitaux bruxellois avaient besoin de 32,5 millions rien que pour le paiement des pensions. Cela représente en moyenne 7 millions par clinique. Aucun hôpital n'est en mesure de ponctionner 7 millions sur son exploitation, année après année."Le secteur de la santé manque de bras, à Bruxelles comme ailleurs. "Notre population vieillit, ce qui accroît la demande de soins, alors que nous ne parvenons pas à remplacer ceux qui prennent leur retraite au même rythme. En outre, depuis la pandémie, l'absentéisme a atteint 12%.""Bruxelles est confrontée à des défis spécifiques. 83% des Bruxellois sont francophones. Nous essayons de respecter notre statut de bilinguisme. Mais une partie des Bruxellois ne parle ni français ni néerlandais, et nous devons pouvoir les aider également." "La mobilité constitue un autre problème. La moitié du personnel de certains hôpitaux provient d'une autre région et est confrontée aux embouteillages, ainsi qu'aux problèmes de parking. Les transports publics ne constituent pas d'alternative pour ceux qui travaillent de nuit. Beaucoup d'hôpitaux déménagent en bordure des villes, où ils ont plus de place et où les terrains sont moins chers. Ce n'est pas une option à Bruxelles : la densité de sa population nous contraint à offrir une offre sanitaire suffisante. La moitié de ces familles n'a pas de véhicule, et ne peut pas nécessairement se rendre vers un hôpital en périphérie."Dieter Goemaere ne se limite pas à énumérer les problèmes, il propose des solutions. "En premier lieu, il faut reconnaître l'importance du rôle de Bruxelles pour tous les patients belges. Des voix s'élèvent pour poursuivre la régionalisation des soins de santé. Quelle sera la place de Bruxelles ? Nous estimons que 15% de l'offre doit être organisée à Bruxelles. C'est une boutade, mais démolir un hôpital d'un côté du ring pour en construire un de l'autre côté n'a aucun sens." "Le financement des hôpitaux devrait tenir compte du profil social des patients, bien plus qu'aujourd'hui. Nous avons demandé une étude à ce sujet au KCE." "J'ai déjà dit que nous souhaitions une meilleure collaboration entre les postes de garde et les urgences. Nous devons également réfléchir à l'utilité de petites outpatient clinics chargées des soins programmés - le ministre Vandenbroucke y a fait allusion dans son discours pour Maha. La collaboration des pharmacies hospitalières peut également être un facteur d'efficacité. Mais sur ce point, nous sommes trop souvent confrontés à des obstacles juridiques." "Nous pouvons les surmonter, si nous en avons la volonté. Bruxelles a surtout besoin d'une vision cohérente à long terme et d'une organisation adaptée à nos défis, qui tienne compte de notre ouverture vers les autres régions."