Ces médicaments sont utilisés depuis plusieurs années dans le traitement d'affections causées par la production excessive d'acide gastrique, dont ils diminuent la sécrétion en bloquant l'action des pompes à protons de la muqueuse de l'estomac. Devenus progressivement des incontournables de l'existence de milliers de patients, bien tolérés et bien remboursés, ces traitements paieront-ils la rançon de leur succès? Le caractère inutilement coûteux ou superflu de leur prescription à grande échelle interpelle, ainsi que la mise en évidence d'effets indésirables potentiels associés à leur utilisation prolongée. Leur utilisation a en effet considérablement augmenté au cours des dernières années, souvent en dehors des indications normales, avec notamment une administration de doses élevées injustifiées et une prolongation de la durée des traitements.

Des indicateurs de pratique pour les seuls médecins généralistes

Parmi les mesures envisagées afin de réduire l'utilisation inutile et prolongée des IPP, le Conseil national de la promotion de la qualité (CNPQ) a mis en place deux indicateurs de déviation des bonnes pratiques médicales pour soutenir les médecins généralistes dans une prescription efficace, comprenez une diminution, des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), visant à en réduire l'utilisation lorsqu'elle est estimée abusive.

Le choix de limiter l'usage de ces indicateurs aux seuls généralistes est motivé par la prépondérance de leur volume de prescription par rapport aux autres spécialités, et peut se comprendre. On sourit néanmoins en évoquant la célèbre consigne fiscale: "Taxez d'abord les pauvres, d'accord ils sont moins riches et rapportent moins, mais ils sont tellement plus nombreux." Le premier indicateur évalue la prévalence des patients que le prescripteur traite par IPP. Si cette prévalence est élevée, cela pourrait indiquer que l'indication a été déterminée de façon insuffisamment précise. Le deuxième indicateur est une mesure de la durée moyenne de traitement par IPP. En cas de score élevé, ce peut être une indication de la poursuite inutile du traitement par IPP. La surprescription d'IPP avec un dosage double augmente également cet indicateur.

Des mesures pavées de bonnes intentions

Les initiateurs de ces mesures se défendent bien sûr de ne viser que le seul impact budgétaire, soucieux d'abord d'éviter les effets indésirables potentiels de ces traitements en cas d'utilisation non conforme. Les médecins prescripteurs, outre la promesse d'une liberté thérapeutique intacte, bénéficieront ainsi d'un soutien supplémentaire grâce à la mise à disposition d'outils pour maximiser le respect des lignes directrices et guider les patients dans la réduction progressive de leur consommation inutile d'IPP.

Il n'empêche que la lecture des étapes prévues pour sensibiliser les médecins généralistes à une meilleure pratique procède davantage du contrôle parental que d'un projet collaboratif: une première lettre de feedback pour leur permettre de se situer par rapport aux indicateurs et aux autres médecins généralistes de leur région, avec suggestion d' "adapter leur comportement de prescription", suivie d'une évaluation annuelle avec demande au dispensateur de soins de se justifier en cas de dépassement simultané et répété des deux valeurs seuils, en tenant compte de leur situation spécifique. Rien de malveillant, mais une expression de la démarche qui manque parfois d'élégance envers une profession dont les conditions de pratique sont déjà ressenties comme difficiles.

Le retour de la Badoit?

Quand il est évoqué d'adopter "un comportement plus responsable en matière de prescription", cela suppose que ce ne fut guère le cas jusqu'ici. Les causes d'utilisation abusive ou prolongée d'IPP ne relèvent pas des seuls médecins généralistes, et mériteraient de se voir analysées plus finement. Suggérer au médecin traitant, lors de la délivrance d'une prescription pour le renouvellement d'IPP, de demander au patient si son dosage ne peut pas être diminué ou si le traitement ne peut pas être interrompu, relève de l'angélisme. Quelle réponse lui apporter s'il affirme qu'il ne peut faire ni l'un ni l'autre? Lui suggérer d'acheter de la Badoit ou de l'Apollinaris, qui faisaient digérer des briques? On ne change pas de longues habitudes par de seules bonnes paroles, et évoquer de possibles effets secondaires chez des patients bénéficiant du confort d'un traitement ne lui ayant jamais causé le moindre problème clinique n'entamera pas sa conviction qu'on le brime pour des raisons purement économiques.

Quelques pistes pour une coopération responsable

La médecine générale est peut-être de toutes les spécialités la plus attachée à une prescription raisonnée et limitée. Mais elle est amenée à represcrire bon nombre de traitements initiés au gré des consultations spécialisées diverses auxquelles le patient se rend à juste titre. Aucun plan de réduction d'un traitement intégré de longue date dans les usages ne réussira si on ne responsabilise pas la filière entière, médecins traitants, gastroentérologues, pharmaciens, diététiciens... et les patients eux-mêmes.

Soyons créatifs, et plutôt que de guetter une ou deux fois par an nos lettres de feedback accompagnées de possibles demandes de justification, ne pourrait-on imaginer à l'échelon local des contrats win-win associant le corps médical, les patients et les pharmaciens pour une baisse progressive, raisonnée et responsable de la consommation des IPP? Quatre pistes paraissent réalistes et d'application immédiate:

- La mise en place, sur prescription médicale motivée par le médecin traitant comme cela s'est fait pour les benzodiazépines, d'un plan de réduction progressive sur plusieurs mois utilisant une préparation magistrale à dose décroissante, fournie à de bonnes conditions financières et modulée selon la réponse clinique du patient ;

- La réinstauration, dans cette optique utilisant des magistrales, d'antagonistes des récepteurs H2 de l'histamine (anti-H2), comme la ranitidine, la famotidine, ou la cimétidine, supprimées de prescription dans notre seul pays, alors qu'elles présentent moins de risques à long terme que les IPP, constitue une piste à envisager pour les patients redevenus symptomatiques après diminution de leur IPP ;

- Sans pour autant revenir au chapitre 4 comme c'était le cas il y a quelques années, réinitier le contact périodique du patient avec son gastroentérologue, permettant d'objectiver une évolution, de prolonger ou de suspendre l'indication de traitement, d'assumer une part des prescriptions, de suggérer des alternatives et de fixer un plan de soins réaliste ;

- Envisager une procédure de feedback associant progressivement d'autres filières que la seule médecine générale, notamment les patients concernés et leur gastroentérologue, l'intégration volontaire à un contrat local dégressif faisant office de justification sans autre procédure.

La raison d'être de la présente campagne de réduction raisonnée des prescriptions d'IPP paraît évidente, et constitue pour le corps médical une occasion à saisir afin de sortir des ornières que constituent les renouvellements automatiques sous la pression de patients fort demandeurs.

Encore faut-il qu'elle n'ajoute pas à une pratique devenue déjà bien compliquée une source de tensions supplémentaires en consultation, provoquées par des refus de prescriptions sans alternatives et sans cadre précis, dont le médecin traitant serait tenu comme seul exécutant.

Ces médicaments sont utilisés depuis plusieurs années dans le traitement d'affections causées par la production excessive d'acide gastrique, dont ils diminuent la sécrétion en bloquant l'action des pompes à protons de la muqueuse de l'estomac. Devenus progressivement des incontournables de l'existence de milliers de patients, bien tolérés et bien remboursés, ces traitements paieront-ils la rançon de leur succès? Le caractère inutilement coûteux ou superflu de leur prescription à grande échelle interpelle, ainsi que la mise en évidence d'effets indésirables potentiels associés à leur utilisation prolongée. Leur utilisation a en effet considérablement augmenté au cours des dernières années, souvent en dehors des indications normales, avec notamment une administration de doses élevées injustifiées et une prolongation de la durée des traitements. Parmi les mesures envisagées afin de réduire l'utilisation inutile et prolongée des IPP, le Conseil national de la promotion de la qualité (CNPQ) a mis en place deux indicateurs de déviation des bonnes pratiques médicales pour soutenir les médecins généralistes dans une prescription efficace, comprenez une diminution, des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), visant à en réduire l'utilisation lorsqu'elle est estimée abusive.Le choix de limiter l'usage de ces indicateurs aux seuls généralistes est motivé par la prépondérance de leur volume de prescription par rapport aux autres spécialités, et peut se comprendre. On sourit néanmoins en évoquant la célèbre consigne fiscale: "Taxez d'abord les pauvres, d'accord ils sont moins riches et rapportent moins, mais ils sont tellement plus nombreux." Le premier indicateur évalue la prévalence des patients que le prescripteur traite par IPP. Si cette prévalence est élevée, cela pourrait indiquer que l'indication a été déterminée de façon insuffisamment précise. Le deuxième indicateur est une mesure de la durée moyenne de traitement par IPP. En cas de score élevé, ce peut être une indication de la poursuite inutile du traitement par IPP. La surprescription d'IPP avec un dosage double augmente également cet indicateur. Les initiateurs de ces mesures se défendent bien sûr de ne viser que le seul impact budgétaire, soucieux d'abord d'éviter les effets indésirables potentiels de ces traitements en cas d'utilisation non conforme. Les médecins prescripteurs, outre la promesse d'une liberté thérapeutique intacte, bénéficieront ainsi d'un soutien supplémentaire grâce à la mise à disposition d'outils pour maximiser le respect des lignes directrices et guider les patients dans la réduction progressive de leur consommation inutile d'IPP. Il n'empêche que la lecture des étapes prévues pour sensibiliser les médecins généralistes à une meilleure pratique procède davantage du contrôle parental que d'un projet collaboratif: une première lettre de feedback pour leur permettre de se situer par rapport aux indicateurs et aux autres médecins généralistes de leur région, avec suggestion d' "adapter leur comportement de prescription", suivie d'une évaluation annuelle avec demande au dispensateur de soins de se justifier en cas de dépassement simultané et répété des deux valeurs seuils, en tenant compte de leur situation spécifique. Rien de malveillant, mais une expression de la démarche qui manque parfois d'élégance envers une profession dont les conditions de pratique sont déjà ressenties comme difficiles.Quand il est évoqué d'adopter "un comportement plus responsable en matière de prescription", cela suppose que ce ne fut guère le cas jusqu'ici. Les causes d'utilisation abusive ou prolongée d'IPP ne relèvent pas des seuls médecins généralistes, et mériteraient de se voir analysées plus finement. Suggérer au médecin traitant, lors de la délivrance d'une prescription pour le renouvellement d'IPP, de demander au patient si son dosage ne peut pas être diminué ou si le traitement ne peut pas être interrompu, relève de l'angélisme. Quelle réponse lui apporter s'il affirme qu'il ne peut faire ni l'un ni l'autre? Lui suggérer d'acheter de la Badoit ou de l'Apollinaris, qui faisaient digérer des briques? On ne change pas de longues habitudes par de seules bonnes paroles, et évoquer de possibles effets secondaires chez des patients bénéficiant du confort d'un traitement ne lui ayant jamais causé le moindre problème clinique n'entamera pas sa conviction qu'on le brime pour des raisons purement économiques.La médecine générale est peut-être de toutes les spécialités la plus attachée à une prescription raisonnée et limitée. Mais elle est amenée à represcrire bon nombre de traitements initiés au gré des consultations spécialisées diverses auxquelles le patient se rend à juste titre. Aucun plan de réduction d'un traitement intégré de longue date dans les usages ne réussira si on ne responsabilise pas la filière entière, médecins traitants, gastroentérologues, pharmaciens, diététiciens... et les patients eux-mêmes. Soyons créatifs, et plutôt que de guetter une ou deux fois par an nos lettres de feedback accompagnées de possibles demandes de justification, ne pourrait-on imaginer à l'échelon local des contrats win-win associant le corps médical, les patients et les pharmaciens pour une baisse progressive, raisonnée et responsable de la consommation des IPP? Quatre pistes paraissent réalistes et d'application immédiate: - La mise en place, sur prescription médicale motivée par le médecin traitant comme cela s'est fait pour les benzodiazépines, d'un plan de réduction progressive sur plusieurs mois utilisant une préparation magistrale à dose décroissante, fournie à de bonnes conditions financières et modulée selon la réponse clinique du patient ;- La réinstauration, dans cette optique utilisant des magistrales, d'antagonistes des récepteurs H2 de l'histamine (anti-H2), comme la ranitidine, la famotidine, ou la cimétidine, supprimées de prescription dans notre seul pays, alors qu'elles présentent moins de risques à long terme que les IPP, constitue une piste à envisager pour les patients redevenus symptomatiques après diminution de leur IPP ; - Sans pour autant revenir au chapitre 4 comme c'était le cas il y a quelques années, réinitier le contact périodique du patient avec son gastroentérologue, permettant d'objectiver une évolution, de prolonger ou de suspendre l'indication de traitement, d'assumer une part des prescriptions, de suggérer des alternatives et de fixer un plan de soins réaliste ;- Envisager une procédure de feedback associant progressivement d'autres filières que la seule médecine générale, notamment les patients concernés et leur gastroentérologue, l'intégration volontaire à un contrat local dégressif faisant office de justification sans autre procédure. La raison d'être de la présente campagne de réduction raisonnée des prescriptions d'IPP paraît évidente, et constitue pour le corps médical une occasion à saisir afin de sortir des ornières que constituent les renouvellements automatiques sous la pression de patients fort demandeurs. Encore faut-il qu'elle n'ajoute pas à une pratique devenue déjà bien compliquée une source de tensions supplémentaires en consultation, provoquées par des refus de prescriptions sans alternatives et sans cadre précis, dont le médecin traitant serait tenu comme seul exécutant.