Pourquoi consacrer aujourd'hui un livre à Eva Braun ?
Nicolas de Pape : J'aime beaucoup l'Histoire et, en particulier, la Seconde guerre mondiale. Lors d'une de mes lectures, j'ai découvert qu'Eva Braun avait tenu un journal intime. Ce témoignage avait été perdu. De nombreux lecteurs s'intéressent à la guerre mais n'aiment pas les livres ennuyeux, fort épais. J'ai préféré reconstituer un journal, celui d'une femme qui n'était pas une intellectuelle. Un livre facile à lire, même sur la plage, mais qui reconstitue l'histoire tout à fait incroyable du 20e siècle, dont celle du nazisme, qui est particulièrement romanesque. Les plus grands romans contemporains traitent de cette guerre : songeons, par exemple, aux Bienveillantes de Jonathan Littell.
N'avez-vous pas eu peur de vous mettre à dos une partie de vos lecteurs potentiels en choisissant de décrire la vie d'une femme qui a partagé l'intimité d'un des plus ignobles dictateurs de l'humanité ?
Non, j'ai surtout pensé à l'intérêt de décrire cette histoire et de mener une recherche documentaire approfondie pour retracer cette période et la passion entre Eva Braun et Adolf Hitler.
Recherche historique
Avez-vous effectué d'importantes recherches pour coller à la réalité historique ?
J'avais déjà lu énormément de livres historiques sur cette période. Pour écrire ce livre, j'ai lu une cinquantaine de livres en plus, en prenant des notes pour être le plus précis possible. J'ai mis près de 5 ans pour préparer et écrire ce roman. La plus grande difficulté était de reconstituer des dialogues, des souvenirs, des anecdotes...
Justement, votre roman contient de nombreux dialogues, comment fait-on pour se mettre dans la tête de personnages historiques et pour les faire parler en leur donnant un style le plus proche possible de la réalité ?
Je me suis inspiré des fragments de son journal intime. Une dizaine de lettres écrites par Evan Braun m'a permis de me rendre compte de sa manière de s'exprimer. En outre, quatre biographies romancées lui ont été consacrées. Elles permettent de cerner sa personnalité, d'approcher sa famille et ses proches. Pour le reste, j'ai construit le personnage en tenant compte de celui d'Hitler et de sa façon de s'exprimer. De très nombreux livres ont été publiés à son sujet. Il s'agit, rappelons-le, d'un roman. Eva Braun ne s'exprimait peut-être pas tout à fait de cette façon. On la disait ni très intelligente, ni cultivée. J'ai un peu augmenté le niveau pour éviter que ses propos ne soient ennuyeux. On est clairement plus dans le roman que la réalité.
Elle était photographe de profession. Talentueuse ?
Progressivement, Eva Braun est devenue très professionnelle tant derrière un appareil photo qu'une caméra. Certains de ses films sont conservés dans un musée à Washington. Récemment, ils ont été diffusés à la télévision française. Elle avait une caméra de très bonne facture pour l'époque.
Une femme jalouse
Sa vie est perturbée par des rivalités imaginaires ou réelles avec les nombreuses femmes qui gravitent autour d'Adolf Hitler, dont Leni Riefenstahl, la cinéaste propagandiste du IIIe Reich.
Apparemment Eva Braun était très jalouse et Hitler, de façon assez paradoxale, avait un énorme succès auprès des femmes allemandes. Il provoquait même sur son passage des malaises et des crises d'hystérie comme actuellement les chanteurs de rock. Or, il avait peu de charisme. Il n'était pas très masculin, maigrichon et possédait une voix désagréable. Son pouvoir d'attraction était sans doute lié à son pouvoir.
Eva Braun a toujours vécu dans l'ombre.
En effet, jusqu'en 1945, Hilter la présente toujours officiellement comme sa secrétaire. Eva Braun a eu beaucoup de difficulté à s'affirmer en tant que compagne d'Adolf Hitler (NDLR : ils s'épouseront la veille de leur suicide en 1945).
Elle a été malheureuse toute sa vie.
Eva Braun a rencontré Adolf Hitler à 17 ans. Quinze plus tard, elle se suicide avec lui. Elle était souvent délaissée parce qu'il partait sur le front de l'Est ou en France lors des invasions. Elle avait quelques amis et sa famille. Quand il était présent, elle était souvent reléguée dans sa chambre, obligée d'être discrète, puisqu'elle n'était pas officiellement sa femme. Sa vie a été difficile sur le plan psychologique mais, par contre, elle vivait dans un très grand confort matériel alors qu'en 1941-1942, les Allemands et les rescaptés des massacres vont vivre très difficilement. C'était une enfant gâtée. Elle a effectué de grands voyages dans de beaux hôtels, entre autres, en Italie.
Ce couple terrible a-t-il eu des enfants ?
La légende urbaine leur prête des enfants. On montre des photos qui représentent, en réalité, les enfants de sa soeur ou de proches. Ils n'ont pas eu d'enfants et on pense même que leur union n'a pas été consommée. Hitler avait une libido proche de zéro. Il a eu une aventure amoureuse très jeune et fréquentait les prostituées en 14-18 mais le stress de sa fonction de chancelier lui aurait coupé ses moyens... Cela reste évidemment des suppositions.
Le secret d'Eva Braun, Nicolas de Pape, Edi-livre, 20,50 euros. Le livre peut être commandé sur Amazon ou dans votre librairie.
Un entretien De Vincent Claes
Dans la peau d'Eva Braun
Nicolas de Pape, auteur de deux romans et senior writer au journal du Médecin, s'est glissé dans la peau d'Eva Braun pour retracer la vie d'une femme malheureuse, proche témoin de la vie d'Adolf Hitler, "marié à l'Allemagne ".
A priori, lire plus de 300 pages sur la vie d'un des couples les plus haïssables du 20e siècle n'est pas engageant. Pourquoi consacrer de nombreuses heures de lecture à ce sujet ? Nicolas de Pape est parvenu à relever ce défi littéraire en présentant un journal intime qui se lit avec plaisir. Cette forme permet de parcourir les dates importantes de la vie d'Eva Braun tout en remontant le cours de l'Histoire. La montée du nazisme, sa puissance et sa chute sont commentées par une femme simple, jalouse et malheureuse, constamment préoccupée par sa petite personne. Nicolas de Pape nous fait revivre le quotidien d'Eva Braun, d'Adolf Hitler et de sa cour de généraux et maréchaux (Goebbels, Göring...) en rappelant les grandes étapes de la Seconde guerre mondiale. Poussé par une sorte de voyeurisme, au fil des pages, le lecteur souhaite en savoir plus sur la vie étrange de ce couple bancal.
L'ouvrage rappelle un peu Hitler, mon voisin, en présentant l'Histoire par le truchement d'un témoin qui n'a aucune prise sur son déroulement. Edgar Feuchiwanger, par son témoignage, relatait dans ce roman autobiographique au travers des yeux d'un jeune enfant - habitant à Munich à quelques pas de chez Adolf Hitler - la montée du nazisme et la peur des familles juives. En regardant par la fenêtre, le jeune garçon surveillait au quotidien son terrible voisin. Edgard va assister (de 5 à 14 ans) à la préparation de la Nuit des longs couteaux, de l'Anschluss et de la Nuit de Cristal.
Après Meutres au Reine-Elisabeth, un récit nettement plus fantaisiste, Nicolas de Pape nous entraîne avec brio dans les coulisses d'une épopée dramatique.