Depuis la semaine dernière, nous sommes aussi ici en Italie très attentifs aux chiffres de surmortalité. Cette semaine, la Belgique a fait la Une de l'actualité de manière négative à différents endroits, dont en Italie, comme étant la nouvelle médaille d'or de la mortalité Covid par nombre d'habitants. Cette information a été nuancée à juste titre par Sciensano qui a souligné les façons divergentes de compter les décès dus au Covid dans différents pays. Dans de nombreuses régions d'autres pays, on ne comptabilise en effet que les cas positifs d'un test PCR tandis que les cas cliniques suspects négatifs PCR ou même les cas diagnostiqués au scanner ne sont pas pris en compte ou l'on ne se concentre que sur les décès dans les hôpitaux sans prendre en considération ceux dans les maisons de repos ou à domicile. On compare donc des pommes avec des poires.

Depuis l'épidémie de grippe de 2009, le réseau EuroMOMO (European Monitoring of excess Mortality) publie chaque jeudi midi un bulletin hebdomadaire qui reprend la mortalité totale dans 20 pays ou régions européens. Ici, on ne regarde pas en premier lieu la cause du décès, mais on évalue par catégorie d'âge si plus ou moins de personnes sont décédées dans une certaine région et au cours d'une certaine semaine en comparaison à la même période les 5 dernières années. Le but de ce monitoring hebdomadaire est d'identifier l'impact d'une épidémie ou d'un incident naturel. Par le passé, on a pu observer des pics au-dessus de la moyenne dans la mortalité totale ('surmortalité') lors de vagues de froid ou de canicules ou encore d'épidémies de maladies infectieuses comme la grippe. En fait, mieux vaut interpréter ce type de données de manière rétrospective et non au milieu d'une épidémie, mais grâce à un contrôle de qualité standardisé et la prise en compte des différents retards dans certains pays, ces données EuroMOMO se prêtent mieux à des comparaisons éventuelles entre les pays participants.

Il ressort de l'analyse EuroMOMO relative à la période du 6 au 13 avril une augmentation nette de la mortalité générale dans tous les pays participants, mais la plus prononcée dans une série de pays dont l'Italie et la Belgique (aussi en Espagne, en France, aux Pays-Bas, en France, aux Pays-Bas, en Suède, en Suisse et au Royaume-Uni). Cette surmortalité se situe surtout chez les plus de 65 ans mais n'est pas non plus négligeable chez les adultes plus jeunes.

1.750 à 2.450 décès en général

En temps normal, en moyenne 1.750 à 2.450 personnes décèdent chaque semaine en Belgique. Les chiffres EuroMOMO belges montraient une légère 'sous-mortalité' durant les semaines qui ont précédé le confinement le 18 mars, probablement grâce à une grippe qui n'était pas bien méchante cette année. A partir de la semaine du 16 mars, il y a ensuite eu systématiquement une surmortalité (semaine du 16 mars : + 265, la semaine du 23 mars : +923, la semaine du 30 mars: +1.700).

Etant donné la grippe saisonnière légère et le fait que par toutes les mesures, probablement moins de personnes décèdent par exemple d'accidents du travail ou de la route, on pourrait s'attendre grâce aux mesures Covid en fait à une sous-mortalité relative. La surmortalité significative semble donc bien être à imputer au Covid. Toutefois, ce qui reste difficile, voire impossible, c'est d'établir une distinction entre les décès supplémentaires dus au Covid et les décès supplémentaires indirects possibles parce que l'on n'a pas pu donner de soins standards pour d'autres affections (par ex. on entend dire ci-et-là des médecins urgentistes et des médecins d'autres spécialités qu'il est bizarre de constater peu de pathologies aiguës 'normales' comme des infarctus dans les services d'Urgences). La grande majorité de la surmortalité se situe donc chez les plus de 65 ans, mais pour l'instant, il est difficile d'estimer quelle partie de ces décès aurait eu de toute façon lieu à relativement court terme en raison de la vieillesse ou d'autres comorbidités, où le décès n'a donc été avancé 'que' de quelques mois par le Covid. Une période de sous-mortalité dans les mois qui suivent la surmortalité due à une épidémie peut en être un indicateur. Mais au jour d'aujourd'hui, nous ne le savons donc pas encore.

Les jeunes sacrifiés par le lockdown?

Pourtant, ces deux derniers éléments sont importants dans la discussion sur le sens et le non-sens des mesures de lockdown et l'éventuel assouplissement de celui-ci. Etant donné que la toute grande majorité de la mortalité Covid se situe chez les plus de 65 ans, une critique que l'on entend beaucoup par rapport aux mesures de lockdown est qu'elles sacrifieraient le bien-être et l'avenir des jeunes, uniquement et seulement ou principalement pour sauver des 'personnes âgées'. En d'autres termes, les effets négatifs des mesures de confinement valent-ils les effets positifs ? Ici, il me semble important de garder à l'esprit que les chiffres de mortalité sont en effet ce qui saute le plus aux yeux, mais qu'ils ne sont en fait que le sommet de l'iceberg. Souvent, on ne s'arrête pas suffisamment sur le fait qu'à défaut de traitement efficace, quelque 20% de l'ensemble des cas de Covid doivent être hospitalisés (par rapport à la grippe où ce pourcentage n'est en moyenne que de 0,1%!), dont 1 sur 5 doit être placé pour une longue durée sous respirateur aux soins intensifs. Une proportion relativement élevée de ces hospitalisations et de ces admissions en USI concerne des personnes 'non âgées' (des chiffres qui varient selon les pays et les périodes mais qui tournent quand même autour des 10 - 30%). Ce sont des personnes âgées entre 30 et 60 ans, qui ont souvent tout au plus 1 comorbidité bien contrôlée comme l'hypertension que nous qualifierions dans une pratique moyenne de médecine générale d'adultes " en bonne santé et actifs ". Au final, ces " jeunes de moins de 65 ans " meurent rarement, mais doivent souvent séjourner des semaines à l'hôpital, avec éventuellement aussi des séquelles à long terme jusqu'ici inconnues au niveau des poumons et d'autres organes.

Ce qui ne veut pas dire que ces questions concernant la limitation des séquelles indirectes à court terme mais surtout à long terme des mesures de lockdown (sur le bien-être psychique, la pauvreté, le niveau d'enseignement, la solitude, etc.) ne sont pas pertinentes. Au début, nous n'avions selon moi que peu de choix vu que nos hôpitaux n'étaient pas préparés à l'afflux de cas qui était prédit en cas de croissance exponentielle de l'épidémie. Il a donc fallu intervenir pour limiter la mortalité. Car n'oublions pas : la surmortalité que nous observons aujourd'hui est significative, mais c'est qu'une fraction de ce qu'elle aurait pu être sans mesures ou avec des mesures tardives (comme dans le nord de l'Italie). Après cette phase initiale, arrive toutefois à nouveau un élément où nous pouvons et devons réfléchir aux nouvelles voies possibles. Et ici, je continue à trouver un peu étrange que la plupart des discussions semblent porter sur :'Irons-nous en vélo, en train ou en voiture ?' et 'Quand partons-nous ?', plutôt que de discuter d'abord en détail et de décider collectivement quelle doit être la destination du voyage.

Le fameux R0

Examinons la situation avec le chiffre de reproduction entretemps devenu célèbre R0. Ce chiffre indique combien de personnes en moyenne sont contaminées par 1 personne. R0 >1 signifie que l'épidémie s'élargit parce que chaque personne contamine plus d'1 personne. R0 <1 signifie que l'épidémie diminue parce que chaque personne contamine moins d'1 autre personne. Ce chiffre est non seulement tributaire de l'infectivité de base du virus, mais aussi de la période pendant laquelle une personne est contagieuse, de la façon dont elle se comporte et de l'immunité de base acquise dans la population. Une formule simple est la suivante : R0=?? où ? est le nombre de contacts provoquant une infection par unité de temps et ? la période infectieuse. On peut en déduire que l'on peut réduire R0 de différentes manières. Par exemple, en diminuant ?, ce qui est possible en réduisant soit le nombre de de contacts par unité de temps (ex en restant chez soi) soit en diminuant les risques qu'un contact conduise à une infection (ex en portant un masque) ou encore en réduisant la période infectieuse (en dépistant activement, en isolant et en traitant les cas positifs). Plus R0 est élevé, plus il est difficile d'endiguer l'épidémie à court terme, mais aussi plus vite on atteindra l'immunité de groupe et donc la propagation de l'épidémie à long terme. La première question n'est donc en fait pas : "Comment voulons-nous diminuer R0 ?", mais bien : "A quel niveau voulons-nous diminuer R0 ?".

· Dans la stratégie A, on veut non seulement obtenir et garder R0 sous 1, mais aussi qu'il soit le plus bas possible afin d'éviter autant que possible des infections et donc aussi éviter que nous arrivions à 70% d'immunité de groupe sans vaccin. Cette stratégie évite donc au maximum des hospitalisations COVID directes et des décès, mais elle a aussi des conséquences socio-économiques (plus) élevées parce qu'elle requiert des mesures poussées qui doivent être appliquées suffisamment longtemps et strictement pour faire en sorte que le nombre de nouvelles infections par jour soit aussi bas qu'une stratégie de " tester, tracer, isoler " devienne possible. Car même un R0 de 1 ne nous donne des informations que sur une partie de l'histoire. Cela peut indiquer qu'un pays a chaque jour 10 nouveaux cas, qui à leur tour contaminent 10 nouvelles personnes (ce qui est possible), mais tout aussi bien que chaque jour, il y a 1.000 nouveaux cas qui contaminent 1.000 nouvelles personnes (comme c'est le cas pour l'instant en Belgique), ce qui est beaucoup moins à évident à tracer.

· Dans la stratégie B, on pourrait toutefois accepter le risque de contamination et justement essayer de construire l'immunité de groupe nécessaire de 70% le plus rapidement possible et de ne garder confinées que les populations à haut risque connues comme les personnes âgées ou les personnes avec de multiples comorbidités. Cela signifierait que R0 ne doit pas être diminué le plus possible, mais plutôt qu'il doit être porté au maximum de ce qui peut être supporté par la capacité hospitalière. Dans cette stratégie, nous devrions accepter un nombre significatif d'hospitalisations Covid et de décès, mais nous aurions moins de conséquences socio-économiques des mesures.

10% d'Italiens au contact du virus

De toute façon, le chemin est encore très long et il faudra poser ce choix vu que par exemple en Italie, malgré l'épidémie non maitrisée et la mortalité importante (plus de 23.000 morts jusqu'ici), seuls 10% de la population ont été en contact avec le virus.

Les façons dont on peut diminuer R0 varient, mais si l'on ne détermine pas très clairement à l'avance le but/la stratégie, on risque de se prendre les pieds dans les pédales et peut-être d'obtenir surtout les mauvais côtés des deux stratégies au lieu d'obtenir le meilleur des deux. Jusqu'à présent, il semble parfois que la politique en Belgique et en Italie soit entravée par beaucoup (trop) de couches, d'ambiguïtés et de contradictions pour parvenir à fixer une stratégie uniforme. On peut par exemple se poser la question de savoir d'où vient le nombre élevé de nouvelles contaminations en Belgique et en Italie malgré le confinement. Bien sûr, il pourrait y en avoir encore bien plus s'il n'y avait pas eu de mesures, mais il n'empêche que 3.000 à 3.500 cas par jour en Italie et plus de 1.300 cas en Belgique sont certainement une sous-estimation du chiffre réel et sont des chiffres significatifs. Ce qui montre que le confinement, malgré l'impact négatif, est loin d'être étanche, et ne parvient donc pas à produire son effet potentiellement positif maximal (ex. des malades apyrétiques qui peuvent continuer à travailler, des membres d'une famille où il y a des cas positifs qui peuvent quand même aller au magasin, et ce, sans masque alors que l'on sait qu'il y a une propagation asymptomatique et présymtomatique significative, un matériel de protection insuffisant dans les maisons de repos, ce qui fait que 10% du personnel et 15% des résidents se révèlent positifs tout en étant asymptomatiques, etc.). L'utilité effective des mesures ne peut être déterminée sur papier, mais elle peut l'être par sa faisabilité dans la pratique et leur respect.

Ne pas arrêter complètement le pays

Personne ne veut arrêter complètement le pays, avec les obligations et toutes les conséquences négatives qui s'en suivent s'il s'avérait que de simples recommandations auraient un effet comparable grâce à plus de clarté et un respect plus conséquent à long terme, mais avec moins de conséquences négatives. Peut-être devrions-nous évoluer du bombardement initial 'one fits all' à des mesures plus ciblées et par exemple à des mesures régionales. Par exemple à des hôpitaux Covid, ce qui permettrait aux autres endroits de pouvoir redémarrer les soins physiques et mentaux 'ordinaires' préventifs et thérapeutiques, moyennant des directives claires liées au phasage sur base de l'urgence, du risque pour le patient et le prestataire de soins et du besoin de disponibilité de matériel et de médicaments.

Le philosophe Kierkegaard le disait déjà pour la vie en général, mais le principe s'applique une nouvelle fois ici pour cette pandémie sans mode d'emploi: 'Il faut vivre la vie en allant de l'avant, même si elle ne peut être comprise que rétrospectivement'. Ici, on aura des analyses pendant des années sur les choses qui se sont bien passées pendant la pandémie et ce qui aurait pu être mieux. Mais maintenant, nous devons poser un choix stratégique et l'appliquer de manière conséquente. Car pour chaque choix il y a trois options : la meilleure est de faire le bon choix, la deuxième est de faire le mauvais choix et la plus mauvaise est peut-être de ne pas faire de choix du tout.

Dr Iris De Ryck

Depuis la semaine dernière, nous sommes aussi ici en Italie très attentifs aux chiffres de surmortalité. Cette semaine, la Belgique a fait la Une de l'actualité de manière négative à différents endroits, dont en Italie, comme étant la nouvelle médaille d'or de la mortalité Covid par nombre d'habitants. Cette information a été nuancée à juste titre par Sciensano qui a souligné les façons divergentes de compter les décès dus au Covid dans différents pays. Dans de nombreuses régions d'autres pays, on ne comptabilise en effet que les cas positifs d'un test PCR tandis que les cas cliniques suspects négatifs PCR ou même les cas diagnostiqués au scanner ne sont pas pris en compte ou l'on ne se concentre que sur les décès dans les hôpitaux sans prendre en considération ceux dans les maisons de repos ou à domicile. On compare donc des pommes avec des poires.Depuis l'épidémie de grippe de 2009, le réseau EuroMOMO (European Monitoring of excess Mortality) publie chaque jeudi midi un bulletin hebdomadaire qui reprend la mortalité totale dans 20 pays ou régions européens. Ici, on ne regarde pas en premier lieu la cause du décès, mais on évalue par catégorie d'âge si plus ou moins de personnes sont décédées dans une certaine région et au cours d'une certaine semaine en comparaison à la même période les 5 dernières années. Le but de ce monitoring hebdomadaire est d'identifier l'impact d'une épidémie ou d'un incident naturel. Par le passé, on a pu observer des pics au-dessus de la moyenne dans la mortalité totale ('surmortalité') lors de vagues de froid ou de canicules ou encore d'épidémies de maladies infectieuses comme la grippe. En fait, mieux vaut interpréter ce type de données de manière rétrospective et non au milieu d'une épidémie, mais grâce à un contrôle de qualité standardisé et la prise en compte des différents retards dans certains pays, ces données EuroMOMO se prêtent mieux à des comparaisons éventuelles entre les pays participants.Il ressort de l'analyse EuroMOMO relative à la période du 6 au 13 avril une augmentation nette de la mortalité générale dans tous les pays participants, mais la plus prononcée dans une série de pays dont l'Italie et la Belgique (aussi en Espagne, en France, aux Pays-Bas, en France, aux Pays-Bas, en Suède, en Suisse et au Royaume-Uni). Cette surmortalité se situe surtout chez les plus de 65 ans mais n'est pas non plus négligeable chez les adultes plus jeunes.En temps normal, en moyenne 1.750 à 2.450 personnes décèdent chaque semaine en Belgique. Les chiffres EuroMOMO belges montraient une légère 'sous-mortalité' durant les semaines qui ont précédé le confinement le 18 mars, probablement grâce à une grippe qui n'était pas bien méchante cette année. A partir de la semaine du 16 mars, il y a ensuite eu systématiquement une surmortalité (semaine du 16 mars : + 265, la semaine du 23 mars : +923, la semaine du 30 mars: +1.700).Etant donné la grippe saisonnière légère et le fait que par toutes les mesures, probablement moins de personnes décèdent par exemple d'accidents du travail ou de la route, on pourrait s'attendre grâce aux mesures Covid en fait à une sous-mortalité relative. La surmortalité significative semble donc bien être à imputer au Covid. Toutefois, ce qui reste difficile, voire impossible, c'est d'établir une distinction entre les décès supplémentaires dus au Covid et les décès supplémentaires indirects possibles parce que l'on n'a pas pu donner de soins standards pour d'autres affections (par ex. on entend dire ci-et-là des médecins urgentistes et des médecins d'autres spécialités qu'il est bizarre de constater peu de pathologies aiguës 'normales' comme des infarctus dans les services d'Urgences). La grande majorité de la surmortalité se situe donc chez les plus de 65 ans, mais pour l'instant, il est difficile d'estimer quelle partie de ces décès aurait eu de toute façon lieu à relativement court terme en raison de la vieillesse ou d'autres comorbidités, où le décès n'a donc été avancé 'que' de quelques mois par le Covid. Une période de sous-mortalité dans les mois qui suivent la surmortalité due à une épidémie peut en être un indicateur. Mais au jour d'aujourd'hui, nous ne le savons donc pas encore.Pourtant, ces deux derniers éléments sont importants dans la discussion sur le sens et le non-sens des mesures de lockdown et l'éventuel assouplissement de celui-ci. Etant donné que la toute grande majorité de la mortalité Covid se situe chez les plus de 65 ans, une critique que l'on entend beaucoup par rapport aux mesures de lockdown est qu'elles sacrifieraient le bien-être et l'avenir des jeunes, uniquement et seulement ou principalement pour sauver des 'personnes âgées'. En d'autres termes, les effets négatifs des mesures de confinement valent-ils les effets positifs ? Ici, il me semble important de garder à l'esprit que les chiffres de mortalité sont en effet ce qui saute le plus aux yeux, mais qu'ils ne sont en fait que le sommet de l'iceberg. Souvent, on ne s'arrête pas suffisamment sur le fait qu'à défaut de traitement efficace, quelque 20% de l'ensemble des cas de Covid doivent être hospitalisés (par rapport à la grippe où ce pourcentage n'est en moyenne que de 0,1%!), dont 1 sur 5 doit être placé pour une longue durée sous respirateur aux soins intensifs. Une proportion relativement élevée de ces hospitalisations et de ces admissions en USI concerne des personnes 'non âgées' (des chiffres qui varient selon les pays et les périodes mais qui tournent quand même autour des 10 - 30%). Ce sont des personnes âgées entre 30 et 60 ans, qui ont souvent tout au plus 1 comorbidité bien contrôlée comme l'hypertension que nous qualifierions dans une pratique moyenne de médecine générale d'adultes " en bonne santé et actifs ". Au final, ces " jeunes de moins de 65 ans " meurent rarement, mais doivent souvent séjourner des semaines à l'hôpital, avec éventuellement aussi des séquelles à long terme jusqu'ici inconnues au niveau des poumons et d'autres organes.Ce qui ne veut pas dire que ces questions concernant la limitation des séquelles indirectes à court terme mais surtout à long terme des mesures de lockdown (sur le bien-être psychique, la pauvreté, le niveau d'enseignement, la solitude, etc.) ne sont pas pertinentes. Au début, nous n'avions selon moi que peu de choix vu que nos hôpitaux n'étaient pas préparés à l'afflux de cas qui était prédit en cas de croissance exponentielle de l'épidémie. Il a donc fallu intervenir pour limiter la mortalité. Car n'oublions pas : la surmortalité que nous observons aujourd'hui est significative, mais c'est qu'une fraction de ce qu'elle aurait pu être sans mesures ou avec des mesures tardives (comme dans le nord de l'Italie). Après cette phase initiale, arrive toutefois à nouveau un élément où nous pouvons et devons réfléchir aux nouvelles voies possibles. Et ici, je continue à trouver un peu étrange que la plupart des discussions semblent porter sur :'Irons-nous en vélo, en train ou en voiture ?' et 'Quand partons-nous ?', plutôt que de discuter d'abord en détail et de décider collectivement quelle doit être la destination du voyage.Examinons la situation avec le chiffre de reproduction entretemps devenu célèbre R0. Ce chiffre indique combien de personnes en moyenne sont contaminées par 1 personne. R0 >1 signifie que l'épidémie s'élargit parce que chaque personne contamine plus d'1 personne. R0 <1 signifie que l'épidémie diminue parce que chaque personne contamine moins d'1 autre personne. Ce chiffre est non seulement tributaire de l'infectivité de base du virus, mais aussi de la période pendant laquelle une personne est contagieuse, de la façon dont elle se comporte et de l'immunité de base acquise dans la population. Une formule simple est la suivante : R0=?? où ? est le nombre de contacts provoquant une infection par unité de temps et ? la période infectieuse. On peut en déduire que l'on peut réduire R0 de différentes manières. Par exemple, en diminuant ?, ce qui est possible en réduisant soit le nombre de de contacts par unité de temps (ex en restant chez soi) soit en diminuant les risques qu'un contact conduise à une infection (ex en portant un masque) ou encore en réduisant la période infectieuse (en dépistant activement, en isolant et en traitant les cas positifs). Plus R0 est élevé, plus il est difficile d'endiguer l'épidémie à court terme, mais aussi plus vite on atteindra l'immunité de groupe et donc la propagation de l'épidémie à long terme. La première question n'est donc en fait pas : "Comment voulons-nous diminuer R0 ?", mais bien : "A quel niveau voulons-nous diminuer R0 ?".· Dans la stratégie A, on veut non seulement obtenir et garder R0 sous 1, mais aussi qu'il soit le plus bas possible afin d'éviter autant que possible des infections et donc aussi éviter que nous arrivions à 70% d'immunité de groupe sans vaccin. Cette stratégie évite donc au maximum des hospitalisations COVID directes et des décès, mais elle a aussi des conséquences socio-économiques (plus) élevées parce qu'elle requiert des mesures poussées qui doivent être appliquées suffisamment longtemps et strictement pour faire en sorte que le nombre de nouvelles infections par jour soit aussi bas qu'une stratégie de " tester, tracer, isoler " devienne possible. Car même un R0 de 1 ne nous donne des informations que sur une partie de l'histoire. Cela peut indiquer qu'un pays a chaque jour 10 nouveaux cas, qui à leur tour contaminent 10 nouvelles personnes (ce qui est possible), mais tout aussi bien que chaque jour, il y a 1.000 nouveaux cas qui contaminent 1.000 nouvelles personnes (comme c'est le cas pour l'instant en Belgique), ce qui est beaucoup moins à évident à tracer.· Dans la stratégie B, on pourrait toutefois accepter le risque de contamination et justement essayer de construire l'immunité de groupe nécessaire de 70% le plus rapidement possible et de ne garder confinées que les populations à haut risque connues comme les personnes âgées ou les personnes avec de multiples comorbidités. Cela signifierait que R0 ne doit pas être diminué le plus possible, mais plutôt qu'il doit être porté au maximum de ce qui peut être supporté par la capacité hospitalière. Dans cette stratégie, nous devrions accepter un nombre significatif d'hospitalisations Covid et de décès, mais nous aurions moins de conséquences socio-économiques des mesures. De toute façon, le chemin est encore très long et il faudra poser ce choix vu que par exemple en Italie, malgré l'épidémie non maitrisée et la mortalité importante (plus de 23.000 morts jusqu'ici), seuls 10% de la population ont été en contact avec le virus.Les façons dont on peut diminuer R0 varient, mais si l'on ne détermine pas très clairement à l'avance le but/la stratégie, on risque de se prendre les pieds dans les pédales et peut-être d'obtenir surtout les mauvais côtés des deux stratégies au lieu d'obtenir le meilleur des deux. Jusqu'à présent, il semble parfois que la politique en Belgique et en Italie soit entravée par beaucoup (trop) de couches, d'ambiguïtés et de contradictions pour parvenir à fixer une stratégie uniforme. On peut par exemple se poser la question de savoir d'où vient le nombre élevé de nouvelles contaminations en Belgique et en Italie malgré le confinement. Bien sûr, il pourrait y en avoir encore bien plus s'il n'y avait pas eu de mesures, mais il n'empêche que 3.000 à 3.500 cas par jour en Italie et plus de 1.300 cas en Belgique sont certainement une sous-estimation du chiffre réel et sont des chiffres significatifs. Ce qui montre que le confinement, malgré l'impact négatif, est loin d'être étanche, et ne parvient donc pas à produire son effet potentiellement positif maximal (ex. des malades apyrétiques qui peuvent continuer à travailler, des membres d'une famille où il y a des cas positifs qui peuvent quand même aller au magasin, et ce, sans masque alors que l'on sait qu'il y a une propagation asymptomatique et présymtomatique significative, un matériel de protection insuffisant dans les maisons de repos, ce qui fait que 10% du personnel et 15% des résidents se révèlent positifs tout en étant asymptomatiques, etc.). L'utilité effective des mesures ne peut être déterminée sur papier, mais elle peut l'être par sa faisabilité dans la pratique et leur respect.Personne ne veut arrêter complètement le pays, avec les obligations et toutes les conséquences négatives qui s'en suivent s'il s'avérait que de simples recommandations auraient un effet comparable grâce à plus de clarté et un respect plus conséquent à long terme, mais avec moins de conséquences négatives. Peut-être devrions-nous évoluer du bombardement initial 'one fits all' à des mesures plus ciblées et par exemple à des mesures régionales. Par exemple à des hôpitaux Covid, ce qui permettrait aux autres endroits de pouvoir redémarrer les soins physiques et mentaux 'ordinaires' préventifs et thérapeutiques, moyennant des directives claires liées au phasage sur base de l'urgence, du risque pour le patient et le prestataire de soins et du besoin de disponibilité de matériel et de médicaments. Le philosophe Kierkegaard le disait déjà pour la vie en général, mais le principe s'applique une nouvelle fois ici pour cette pandémie sans mode d'emploi: 'Il faut vivre la vie en allant de l'avant, même si elle ne peut être comprise que rétrospectivement'. Ici, on aura des analyses pendant des années sur les choses qui se sont bien passées pendant la pandémie et ce qui aurait pu être mieux. Mais maintenant, nous devons poser un choix stratégique et l'appliquer de manière conséquente. Car pour chaque choix il y a trois options : la meilleure est de faire le bon choix, la deuxième est de faire le mauvais choix et la plus mauvaise est peut-être de ne pas faire de choix du tout. Dr Iris De Ryck