Nées d'initiatives religieuses ou laïques au 19e, les caisses de secours mutuel ont accru leur légitimité par le projet d'accord de solidarité sociale de 1944 entre travailleurs et patrons. De belles réalisations et de sombres histoires jalonnent un parcours typique du surréalisme belge. Le schaerbeekois HENRI FUSS (1882-1964) avait été anarchiste avant de devenir un des maîtres d'oeuvre de notre sécurité sociale. La solidarité, il la voulait libre, partisan de la gestion paritaire entre interlocuteurs sociaux, "bien entendu sous le contrôle du ou des ministres compétents", mais surtout sans interventionnisme excessif ! En 1951, il écrivait : "L'étatisme, c'est une bureaucratie qui s'encroûte dans un isolement tendant à l'omnipotence...". Hélas, nous y sommes. Aujourd'hui, les lourdeurs bureaucratiques émanant des administrations mutualistes ou autres perturbent le travail des médecins et des soignants au-delà du raisonnable. Au point que certains demandent la suppression des mutuelles. Bonne chance ! J'enrage devant des refus de remboursement pour cause de croix mal remplies dans un formulaire, mais résiste au simplisme attribuant tous les maux du système aux mutuelles. Le mal est plus profond et ronge une société demandant trop à l'État, les médecins aussi. Ils feraient bien de regarder de plus près la stratégie mutualiste et d'en prendre de la graine pour défendre leurs intérêts légitimes et leurs conditions de travail au service de la santé de tous.

L'argent de la solidarité personnelle à l'épreuve des déficits

Les caisses de secours mutuels furent fondées indépendamment de l'état. Une loi de 1851 leur offre une reconnaissance officielle, mais peu se laissent séduire au vu des contraintes. Les déficits changent la donne et dans les années 1890, le législateur permet l'octroi de subsides aux mutualités reconnues tout en leur laissant la bride sur le cou.

La liberté subsidiée

Pendant la deuxième guerre mondiale, travailleurs et employeurs négocient dans la clandestinité un projet d'accord de solidarité sociale. En résultent deux arrêtés, de décembre 1944 pour la sécurité sociale et de mars 1945 pour l'AMI. Les organisations des travailleurs et des patrons gèrent, l'État contrôle et renfloue. La manne des cotisations sociales due au plein emploi et à la croissance des trente glorieuses favorise les soins de santé. Les mutuelles s'érigent non seulement comme payeurs, ce qu'elles ne sont pas vraiment, mais aussi comme propriétaires de polycliniques et d'hôpitaux gérés selon leurs philosophies respectives, sans parler d'autres activités. Mais les dépenses rattrapent la liberté subsidiée. Il faut de nouvelles réformes. D'où la fameuse loi de 1963 et la réaction violente des médecins.

La liberté pour les médecins aussi

La grève de 1964 rappelle que les médecins aussi veulent la liberté, pour eux et pour les malades, et la protection de la vie privée. Ils ont réussi à renégocier une loi votée au parlement et à s'imposer comme interlocuteurs dans les rouages de l'AMI. Les accords médico-mutualistes donnent l'impression de rééquilibrer les choses. Une large majorité du public apprécie les soins de santé. La vie continue.

Le procès des mutuelles et la reprise en main par le législatif et l'exécutif

Les distraits, naïfs ou hypocrites oublient d'où vient l'argent, les tricheurs en profitent. Il faudra deux ministres, Busquin et Moureau, sous l'oeil vigilant de leurs collègues, pour changer la loi vers plus de contrôle et de responsabilisation financière. Non sans débat avec leurs propres troupes comptant de nombreux mutualistes. On aurait pu croire les mutuelles à terre après les révélations du procès. Que du contraire. Un mot à la mode, résilience, leur convient merveilleusement. Tout cela se passe dans un contexte connu: fin du plein emploi, dettes, folies financières, vieillissement, maladies chroniques, nouvelles technologies, intelligence artificielle....

Le renforcement continu de la position des mutuelles à travers les crises

Que ceux qui rêvent d'abolir les mutuelles lisent le Pacte d'avenir conclu entre elles et Maggie De Block. Ce texte montre que les mutuelles entendent occuper le terrain comme détenteurs de données médicales et fournisseurs de coaching de santé à leurs affiliés, tout en jouant leur rôle de gardiennes de l'AMI pour l'État, avec des bonus en cas d'objectifs atteints.

Un audit de la Cour des comptes sur le système actuel de responsabilisation financière des mutuelles émet un jugement mitigé, mais sans remettre leurs missions légales en cause.

L'union fait la force

En dépit des différences de publics affiliés, de convictions, d'idéologies, de relations avec les partis et d'intérêts, les mutuelles forment un seul bloc face aux politiques.

Les médecins devraient s'en inspirer. Les défis changent, mais pas les fondamentaux du métier au service des malades. La mobilisation des médecins assistants candidats spécialistes (MACS) (ndlr: lire page 10) d'aujourd'hui a peu à voir avec celle de leurs prédécesseurs, mais elle pourrait être la semence d'un sursaut médical. Elle est d'abord un problème interne à la profession: les rapports entre médecins et plus grave, entre maîtres et élèves, seniors et juniors, surtout dans les grandes machines que sont devenues les hôpitaux.

Suite dans l'épisode 5. Le défi des médecins: réoccuper le terrain auprès des patients pour mieux interagir avec les politiques.

L'argent de la solidarité personnelle à l'épreuve des déficitsLes caisses de secours mutuels furent fondées indépendamment de l'état. Une loi de 1851 leur offre une reconnaissance officielle, mais peu se laissent séduire au vu des contraintes. Les déficits changent la donne et dans les années 1890, le législateur permet l'octroi de subsides aux mutualités reconnues tout en leur laissant la bride sur le cou. La liberté subsidiéePendant la deuxième guerre mondiale, travailleurs et employeurs négocient dans la clandestinité un projet d'accord de solidarité sociale. En résultent deux arrêtés, de décembre 1944 pour la sécurité sociale et de mars 1945 pour l'AMI. Les organisations des travailleurs et des patrons gèrent, l'État contrôle et renfloue. La manne des cotisations sociales due au plein emploi et à la croissance des trente glorieuses favorise les soins de santé. Les mutuelles s'érigent non seulement comme payeurs, ce qu'elles ne sont pas vraiment, mais aussi comme propriétaires de polycliniques et d'hôpitaux gérés selon leurs philosophies respectives, sans parler d'autres activités. Mais les dépenses rattrapent la liberté subsidiée. Il faut de nouvelles réformes. D'où la fameuse loi de 1963 et la réaction violente des médecins. La liberté pour les médecins aussiLa grève de 1964 rappelle que les médecins aussi veulent la liberté, pour eux et pour les malades, et la protection de la vie privée. Ils ont réussi à renégocier une loi votée au parlement et à s'imposer comme interlocuteurs dans les rouages de l'AMI. Les accords médico-mutualistes donnent l'impression de rééquilibrer les choses. Une large majorité du public apprécie les soins de santé. La vie continue. Le procès des mutuelles et la reprise en main par le législatif et l'exécutifLes distraits, naïfs ou hypocrites oublient d'où vient l'argent, les tricheurs en profitent. Il faudra deux ministres, Busquin et Moureau, sous l'oeil vigilant de leurs collègues, pour changer la loi vers plus de contrôle et de responsabilisation financière. Non sans débat avec leurs propres troupes comptant de nombreux mutualistes. On aurait pu croire les mutuelles à terre après les révélations du procès. Que du contraire. Un mot à la mode, résilience, leur convient merveilleusement. Tout cela se passe dans un contexte connu: fin du plein emploi, dettes, folies financières, vieillissement, maladies chroniques, nouvelles technologies, intelligence artificielle.... Le renforcement continu de la position des mutuelles à travers les crisesQue ceux qui rêvent d'abolir les mutuelles lisent le Pacte d'avenir conclu entre elles et Maggie De Block. Ce texte montre que les mutuelles entendent occuper le terrain comme détenteurs de données médicales et fournisseurs de coaching de santé à leurs affiliés, tout en jouant leur rôle de gardiennes de l'AMI pour l'État, avec des bonus en cas d'objectifs atteints. Un audit de la Cour des comptes sur le système actuel de responsabilisation financière des mutuelles émet un jugement mitigé, mais sans remettre leurs missions légales en cause. L'union fait la forceEn dépit des différences de publics affiliés, de convictions, d'idéologies, de relations avec les partis et d'intérêts, les mutuelles forment un seul bloc face aux politiques. Les médecins devraient s'en inspirer. Les défis changent, mais pas les fondamentaux du métier au service des malades. La mobilisation des médecins assistants candidats spécialistes (MACS) (ndlr: lire page 10) d'aujourd'hui a peu à voir avec celle de leurs prédécesseurs, mais elle pourrait être la semence d'un sursaut médical. Elle est d'abord un problème interne à la profession: les rapports entre médecins et plus grave, entre maîtres et élèves, seniors et juniors, surtout dans les grandes machines que sont devenues les hôpitaux.