Résumé

À Bruxelles, le critère pris en compte pour calculer le quota entre médecins issus des universités francophones et néerlandophones est le nombre d'élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires. Cette décision a été prise à l'initiative de la précédente ministre, Maggie De Block. Calculée de cette façon, la répartition des médecins dont chaque Communauté est censée avoir besoin ne représente absolument pas la réalité linguistique de la population bruxelloise. Nous pouvons penser que cela signifie que, chaque année, une centaine de médecins est prise sur le quota francophone en faveur des néerlandophones. Dans la première ligne de soins en particulier, Bruxelles est déjà confrontée à une pénurie de médecins généralistes. Le nombre de généralistes francophones va encore de facto décroître. Malheureusement nous ne voyons pas le nombre de généralistes néerlandophones croître, n'étant visiblement pas attirés à travailler dans la capitale.

Selon le rapport 2018 de l'Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, " Si un renforcement des soins de première ligne est l'ambition, en combinaison avec le vieillissement des médecins généralistes et la vulnérabilité grandissante d'une part importante de la population bruxelloise, nous pouvons nous attendre à ce que des efforts importants doivent être consentis afin de motiver les médecins généralistes à venir s'installer à Bruxelles. ". Ceci met en lumière la nécessité d'une politique d'installation. Au risque de voir la situation sociale et sanitaire de la capitale de l'Europe se dégrader encore plus.

Cette perte de médecins bruxellois issus des universités francophones devra être déduite du lissage imposé dans le numerus clausus, pour éviter une double peine qui sera délétère pour toute la Francophonie sur le plan de la santé publique.

L'accès illimité au territoire pour les médecins ayant étudié en Europe hors Belgique est une discrimination vis à vis des étudiants issus des universités belges. La pénurie de généralistes et de certaines spécialités, organisée structurellement, est un appel d'air pour d'autres nationalités, pourtant tant redouté quand on parle de migration. Une politique d'installation effacerait cette discrimination.

Pour en savoir plus

Rôles et compétences de la Commission de planification fédérale et des Communautés :

Le rôle de la Commission de planification fédérale est désormais limité à fixer annuellement un quota global de médecins qui pourront recevoir un numéro Inami et ce pour l'ensemble du pays. Dans son dernier avis de 2021, elle fixe le quota global pour le pays pour l'année 2027 à 1.517 médecins (contre 1.445 les années précédentes [1]). Elle formule aussi des recommandations aux Communautés [2], qui sont désormais compétentes pour fixer leurs sous-quotas respectifs.

Quant à la répartition par Communauté, elle est désormais organisée par la loi [3]. Cette loi prévoit qu'en Flandre et en Wallonie, le nombre de médecins est calculé sur base du nombre d'habitants. À Bruxelles, le critère pris en compte est le nombre d'élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires. Cette décision a été prise à l'initiative de la précédente ministre, Maggie De Block suivie à l'unanimité par les partis néerlandophones qui composaient la majorité d'alors, à savoir la NVA, le CD&V et l'Open-VLD, rejoints par le VB et le SPA (Vooruit) et, fait remarquable, aussi par le MR. Ecolo voulant voter contre, Groen pour, les verts se sont abstenus, ne pouvant se mettre d'accord. Tous les autres partis francophones ont voté contre. Pourtant, on sait que de nombreux enfants francophones font leur scolarité en néerlandais [4]. Forcément, calculée de cette façon, la répartition des médecins dont chaque Communauté est censée avoir besoin ne représente absolument pas la réalité linguistique de la population bruxelloise [5]. Nous pouvons penser que cela signifie que, chaque année, plusieurs dizaines de médecins sont pris sur le quota francophone en faveur des néerlandophones.

En tant que médecins généralistes, nous sommes inquiets d'une planification arbitraire contraire aux réalités de terrain à Bruxelles qui risque d'aggraver la pénurie en 1ère ligne

L'Observatoire de la Santé et du Social a étudié avec précision la réalité bruxelloise en 2018.

Quelques chiffres utiles :

" En 2017, plus d'un tiers (35 %) de la population bruxelloise, à savoir 414.139 personnes, n'avait pas la nationalité belge (contre 8 % en Flandre et 10 % en Wallonie). Ces chiffres relatifs à la nationalité n'illustrent que partiellement la grande diversité au niveau de l'origine et de la culture de la population bruxelloise. Plus d'un Bruxellois sur deux (56 %) n'est pas né en Belgique, et près de trois quarts (71 %) sont d'origine étrangère. "

" Une grande partie de la population bruxelloise vit dans une situation de pauvreté ou de précarité. La part de personnes avec " un risque de pauvreté ou d'exclusion sociale " se situe en région bruxelloise aux alentours de 38 % ".

" Les données relatives au remboursement par l'Inami n'enregistrent pas tous les soins qui sont prodigués, puisque certains groupes de personnes, comme les expatriés, les membres de la communauté européenne, les touristes, et les personnes sans statut de séjour légal, n'ont pas droit à l'assurance-maladie obligatoire. En ce qui concerne le groupe de population qui ne séjourne pas légalement en région bruxelloise, nous ne disposons que d'(anciennes) estimations selon lesquelles il y aurait quelque 100.000 personnes en séjour illégal en Belgique, dont une grande partie en région bruxelloise. " (Van Meeteren et al., 01/2007 [5bis]).

Besoins non rencontrés

" Tous les besoins de soins ne sont pas rencontrés. Près d'un quart (23 %) des ménages bruxellois affirment avoir reporté des soins en raison de difficultés financières. Cela arrive plus souvent à Bruxelles, par rapport à la Flandre (5 %) et à la Wallonie (9 %). " Les facteurs individuels associés à la sous-consommation (être isolé, ne pas être né en Belgique et avoir un bas revenu) doivent aussi être étudiés à l'aune de facteurs collectifs (Mimilidis et al, 2014).

Il est réputé qu'un tiers des habitants de Bruxelles n'ont pas de médecin généraliste. Nombreux citoyens sont pourtant à la recherche d'un médecin de famille. " D'autres informations complémentaires, telles que le nombre de médecins généralistes n'acceptant plus de nouveaux patients, sont essentielles pour se forger une idée encore meilleure de la situation. " Dans les pratiques de groupe bruxelloises, il n'est pas inhabituel aujourd'hui de refuser au moins 5 nouveaux patients par jour.

Ainsi donc pour déterminer le nombre de médecins dont Bruxelles a besoin, la limite fédérale indique une pénurie à 0,9 médecin généraliste pour 1.000 habitants. Or, en particulier, lors du calcul du nombre d'habitant, ne sont pris en compte que les habitants officiellement enregistrés. Vu la part considérable de personnes ayant le statut de séjour illégal à Bruxelles, et vu la présence importante de personnel diplomatique également non inscrit au Registre national, le nombre d'habitants réels est sous-estimé. En outre, il est évident que des navetteurs, des touristes, des étudiants (koteurs), ... font appel aux médecins généralistes en région bruxelloise. Le besoin réel de soins est donc de facto sous-estimé.

Les médecins généralistes en région bruxelloise : qui sont-ils? Où se situent les potentielles pénuries ?

Chiffres et commentaires de l'Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale d'avril 2018 [6] : " Dans les données communiquées sur les médecins généralistes bruxellois actifs, 5,9 % des médecins généralistes sont en formation (87 médecins sur 1.468). Parmi les médecins affiliés à la BHAK (Brusselse Huisartsenkring, Cercle bruxellois flamand), la part est légèrement supérieure. Elle est de 10,2 % (11 médecins sur 108) en comparaison contre 5,6 % (76 médecins sur 1.360) chez les médecins affiliés à la FBHAV-FAMGB. "

" La répartition selon l'âge nous montre que près d'un médecin sur trois a entre 55 et 64 ans, ce qui signifie qu'un grand groupe de médecins partira à la retraite au cours des 10 prochaines années. En outre, nous voyons que le nombre de médecins de 65 ans et plus encore actifs n'est pas négligeable. Cette catégorie est presque aussi importante que le groupe des médecins âgés de 45 à 54 ans. "

" Si 30,2 % des médecins généralistes à Bruxelles ont entre 55 et 64 ans, la situation est même pire à Molenbeek et à Schaerbeek où la moitié des médecins ont plus de 50 ans. A Uccle, ce taux atteint même 80 %. "

" En 2017, il y a 737 médecins hommes et 729 médecins femmes actifs en Région bruxelloise. La répartition selon le sexe est donc parfaitement égale en 2017. Cependant, la répartition hommes-femmes diffère fortement entre les groupes d'âge. Ainsi, la part de femmes est considérablement supérieure parmi les médecins jusqu'à l'âge de 45 ans, alors que la part d'hommes est supérieure chez les médecins plus âgés (55 ans et plus). Il en résulte que l'âge moyen des médecins hommes est de 10 années plus élevé que l'âge des médecins femmes. Nous voyons donc une forte féminisation de la profession de médecin généraliste. "

Nous ne connaissons pas avec précision le temps de travail " omnipraticien " de chaque médecin répertorié, ni les activités et/ou pratiques particulières exercées : nutrition, psychothérapie, homéopathie, ONE, médecine du sport, ... diminuant d'autant leurs heures consacrées à la médecine généraliste omnipraticienne. Ce qui aggrave encore le non-reflet des chiffres donnés de la réalité en médecine de proximité.

Citons encore l'observatoire de la santé : " pour seulement garantir la préservation du nombre de médecins généralistes de 2017, Bruxelles aura besoin de 486 médecins généralistes supplémentaires d'ici 2027, et de 835 médecins généralistes supplémentaires d'ici 2037. "

Si les générations plus jeunes à Bruxelles souhaitent effectivement aussi un meilleur équilibre entre travail et vie privée et qu'elles travaillent possiblement moins que les générations actuelles, ce nombre de médecins généralistes supplémentaires nécessaires sera sans aucun doute supérieur.

Pour conclure:

" Si un renforcement des soins de première ligne est l'ambition, en combinaison avec le vieillissement des médecins généralistes et la vulnérabilité grandissante d'une part importante de la population bruxelloise, nous pouvons nous attendre à ce que des efforts importants doivent être consentis afin de motiver les médecins généralistes à venir s'installer à Bruxelles. " (Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, précité) En effet à Bruxelles, " sur la base des chiffres belges par groupe d'âge et par facteurs socio-économiques de la population, 67 quartiers sont identifiés comme confrontés à une possible pénurie. "

Si les quotas sont donc déterminés selon la fréquentation des écoles néerlandophones et francophones de Bruxelles, il est alors urgent de convaincre les médecins généralistes néerlandophones de venir s'installer à Bruxelles, sachant qu'ils s'engagent alors à peu parler le néerlandais, mais à parler un français de plus en plus enrichi et ouvert, au contact de nos 150 nationalités multiculturelles et multilingues. Il faudra qu'ils compensent la perte de médecins généralistes francophones, eux aussi de plus en plus multiculturels et multilingues, perte organisée par cette nouvelle politique de quotas. Malheureusement, nous ne voyons pas de tendance se dessiner au renforcement du nombre de généralistes néerlandophones à Bruxelles. Les chiffres de 2021 sont très semblables à ceux de 2017.

Bruxelles risque d'être victime d'un communautarisme irresponsable si les politiques choisissent la lourde responsabilité à ne pas revoir leur copie.

Cette perte de médecins bruxellois ayant étudié en français devra être déduite du lissage imposé dans le numerus clausus, pour éviter une double peine. Le lissage est la réduction arbitraire de médecins sortant des universités francophones dans les années à venir [7]. C'est la sanction imposée aux francophones pour n'avoir pas respecté un numerus clausus calculé sur le cadastre des médecins. Ce cadastre était pourtant réputé obsolète. Il ne tenait compte ni des besoins réels de la population, modulés selon le nombre, le sexe, l'âge, les pathologies et le niveau social des habitants, ni du temps de travail que les médecins désirent réduire, ni de l'étendue des territoires avec leur densité de population. Il est donc indispensable d'évaluer le bien-fondé de ce lissage à l'aune des réalités sanitaires actuelles.

Il faudra en effet que les Commissions de planification, fédérale comme communautaires, basent dorénavant leurs travaux sur les besoins réels de la population (toute la population, officielle et non officielle !) et en particulier de besoins non rencontrés ... et non pas sur une courbe historique de l'offre de médecins basée sur une " consommation " de soins constante... ni sur les besoins de main d'oeuvre bon marché des hôpitaux académiques.

Planification à l'installation

Enfin, et c'est capital (sans jeu de mot) pour Bruxelles, comment les deux Communautés française et néerlandophone feront-elles pour s'assurer de répondre aux besoins de Bruxelles puisque personne ne sait où les médecins vont s'installer au terme de leur stage ? Cela nécessitera sans aucun doute d'aborder la question " tabou " d'une planification pour l'installation.

L'accès illimité au territoire pour les médecins ayant étudié en Europe hors Belgique est une discrimination vis à vis des étudiants issus des universités belges. La pénurie de généralistes et de certaines spécialités, organisée structurellement, est un appel d'air pour d'autres nationalités, pourtant tant redouté, particulièrement en Flandres, quand on parle de migration. Une politique d'installation effacerait cette discrimination.

Et si les généralistes néerlandophones n'intègrent pas en suffisance le terrain bruxellois, nous revendiquerons alors la restitution de la répartition des quotas de médecins ayant étudié en français ou en néerlandais calculé selon le nombre d'habitants se déclarant parlant français ou néerlandais (selon la langue des fiches fiscales, par exemple ?).

Bruxelles risque d'être victime d'un communautarisme irresponsable si les politiques choisissent la lourde responsabilité à ne pas revoir leur copie. Si des réponses adéquates à toutes ces questions ne sont pas données rapidement, d'autant plus dans le contexte actuel et futur de pandémie, nous redoutons l'explosion de la bombe sociale et sanitaire qu'est devenue la capitale de l'Europe.

Au nom du GBO/Cartel,

Docteur Anne Gillet, Présidente honoraire

[1] À noter qu'en 2017, la Commission de planification avait recommandé que le quota annuel pour l'année 2023 soit fixé à 607 en Communauté française et à 838 en Communauté flamande. De cette sorte, le lissage négatif devait s'étaler sur 15 ans. Mais ce chiffre de 607 médecins sur un quota total de 1.445 donnait un ratio de 42 % de nouveaux médecins autorisés en Communauté française et 58% en Communauté flamande, inacceptable pour les Flamands qui s'accrochaient au ratio immuable de 40/60. Il fallait donc trouver une astuce pour retomber sur 40/60 et c'est pour cette raison qu'à Bruxelles la répartition FR/NL a été basée sur la population des écoles.

[2] Remarquable est que, dans ce dernier avis, la Commission de planification fédérale insiste sur le fait que " dans la mesure où la crise Covid est considérée comme une pandémie de longue durée et la première d'une série de pandémies futures, les membres ont décidé d'agir aux signaux clairs de pénurie émanant du terrain, en renforçant la première ligne de soins. Ainsi le nombre de médecins généralistes au sein du quota global en Communauté flamande passe de 362 à 400, et en Communauté française de 266 à 300. ".

[3] Article 92 de la loi du 10 mai 2015 relative à l'exercice des professions des soins de santé.

[4] Il est notoire que de nombreuses familles francophones inscrivent leurs enfants en néerlandais. Ceci fait mentir l'idée tenace que les francophones refusent d'apprendre la langue de l'autre Communauté. Et en général, ils en sont ravis vu le niveau de cet enseignement et la richesse intellectuelle et culturelle de s'ouvrir à l'autre. La répartition FR/NL sur base de la population des écoles donne 83 % de francophones et 17 % de néerlandophones alors que le critère carte d'identité donne 92 % de francophones et 8 % de néerlandophones et le critère déclaration d'impôts 93 % de francophones et 7 % de néerlandophones.

[5]https://organesdeconcertation.sante.belgique.be/sites/default/files/documents/rapport_annuel_2017_fr.pdf. Extrait : " Sur la base de l'exercice mathématique effectué au cours de la réunion précédente, il a été décidé de fixer le nombre total de nouveaux dédecins en formation en Communauté flamande à 838 et en Communauté française à 607. Le quota fédéral de 1.445 est fixé pour une période de quatre ans (2023-2026) dont 42 % de nouveaux médecins autorisés en Communauté française et 58% en Communauté flamande. L'objectif du groupe de travail est d'ainsi permettre de stabiliser les densités pondérées et d'arriver à des densités comparables dans les deux communautés. "

[5bis] Naar een betere positie. Migratiedoelen en het belang van kapitaalsoorten voor irreguliere migranten in Vlaanderen en Brussel, Van Meeteren et al., 01/2007.

[6]Missinne S. & Luyten S. Les médecins généralistes en Région bruxelloise : qui sont-ils, où pratiquent-ils et où se situent les potentielles pénuries ? Observatoire de la Santé et du Social, Bruxelles, Commission communautaire commune, 2018

[7] À l'époque, le nombre de médecins " surnuméraires " avait été ramené de 3.167 à 1.531. Comme il avait été acquis qu'on ne pouvait pas descendre en-dessous de 505 médecins par an en FWB (cela " donnait " 15 médecins de plus que les 492 qui étaient fixés sous les Gouvernements précédents), il fallait donc lisser 1.531 / (607-505=102) = 15 ans...

Pour en savoir plusRôles et compétences de la Commission de planification fédérale et des Communautés :Le rôle de la Commission de planification fédérale est désormais limité à fixer annuellement un quota global de médecins qui pourront recevoir un numéro Inami et ce pour l'ensemble du pays. Dans son dernier avis de 2021, elle fixe le quota global pour le pays pour l'année 2027 à 1.517 médecins (contre 1.445 les années précédentes [1]). Elle formule aussi des recommandations aux Communautés [2], qui sont désormais compétentes pour fixer leurs sous-quotas respectifs.Quant à la répartition par Communauté, elle est désormais organisée par la loi [3]. Cette loi prévoit qu'en Flandre et en Wallonie, le nombre de médecins est calculé sur base du nombre d'habitants. À Bruxelles, le critère pris en compte est le nombre d'élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires. Cette décision a été prise à l'initiative de la précédente ministre, Maggie De Block suivie à l'unanimité par les partis néerlandophones qui composaient la majorité d'alors, à savoir la NVA, le CD&V et l'Open-VLD, rejoints par le VB et le SPA (Vooruit) et, fait remarquable, aussi par le MR. Ecolo voulant voter contre, Groen pour, les verts se sont abstenus, ne pouvant se mettre d'accord. Tous les autres partis francophones ont voté contre. Pourtant, on sait que de nombreux enfants francophones font leur scolarité en néerlandais [4]. Forcément, calculée de cette façon, la répartition des médecins dont chaque Communauté est censée avoir besoin ne représente absolument pas la réalité linguistique de la population bruxelloise [5]. Nous pouvons penser que cela signifie que, chaque année, plusieurs dizaines de médecins sont pris sur le quota francophone en faveur des néerlandophones.L'Observatoire de la Santé et du Social a étudié avec précision la réalité bruxelloise en 2018.Quelques chiffres utiles :" En 2017, plus d'un tiers (35 %) de la population bruxelloise, à savoir 414.139 personnes, n'avait pas la nationalité belge (contre 8 % en Flandre et 10 % en Wallonie). Ces chiffres relatifs à la nationalité n'illustrent que partiellement la grande diversité au niveau de l'origine et de la culture de la population bruxelloise. Plus d'un Bruxellois sur deux (56 %) n'est pas né en Belgique, et près de trois quarts (71 %) sont d'origine étrangère. "" Une grande partie de la population bruxelloise vit dans une situation de pauvreté ou de précarité. La part de personnes avec " un risque de pauvreté ou d'exclusion sociale " se situe en région bruxelloise aux alentours de 38 % "." Les données relatives au remboursement par l'Inami n'enregistrent pas tous les soins qui sont prodigués, puisque certains groupes de personnes, comme les expatriés, les membres de la communauté européenne, les touristes, et les personnes sans statut de séjour légal, n'ont pas droit à l'assurance-maladie obligatoire. En ce qui concerne le groupe de population qui ne séjourne pas légalement en région bruxelloise, nous ne disposons que d'(anciennes) estimations selon lesquelles il y aurait quelque 100.000 personnes en séjour illégal en Belgique, dont une grande partie en région bruxelloise. " (Van Meeteren et al., 01/2007 [5bis])." Tous les besoins de soins ne sont pas rencontrés. Près d'un quart (23 %) des ménages bruxellois affirment avoir reporté des soins en raison de difficultés financières. Cela arrive plus souvent à Bruxelles, par rapport à la Flandre (5 %) et à la Wallonie (9 %). " Les facteurs individuels associés à la sous-consommation (être isolé, ne pas être né en Belgique et avoir un bas revenu) doivent aussi être étudiés à l'aune de facteurs collectifs (Mimilidis et al, 2014).Il est réputé qu'un tiers des habitants de Bruxelles n'ont pas de médecin généraliste. Nombreux citoyens sont pourtant à la recherche d'un médecin de famille. " D'autres informations complémentaires, telles que le nombre de médecins généralistes n'acceptant plus de nouveaux patients, sont essentielles pour se forger une idée encore meilleure de la situation. " Dans les pratiques de groupe bruxelloises, il n'est pas inhabituel aujourd'hui de refuser au moins 5 nouveaux patients par jour.Ainsi donc pour déterminer le nombre de médecins dont Bruxelles a besoin, la limite fédérale indique une pénurie à 0,9 médecin généraliste pour 1.000 habitants. Or, en particulier, lors du calcul du nombre d'habitant, ne sont pris en compte que les habitants officiellement enregistrés. Vu la part considérable de personnes ayant le statut de séjour illégal à Bruxelles, et vu la présence importante de personnel diplomatique également non inscrit au Registre national, le nombre d'habitants réels est sous-estimé. En outre, il est évident que des navetteurs, des touristes, des étudiants (koteurs), ... font appel aux médecins généralistes en région bruxelloise. Le besoin réel de soins est donc de facto sous-estimé.Les médecins généralistes en région bruxelloise : qui sont-ils? Où se situent les potentielles pénuries ?Chiffres et commentaires de l'Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale d'avril 2018 [6] : " Dans les données communiquées sur les médecins généralistes bruxellois actifs, 5,9 % des médecins généralistes sont en formation (87 médecins sur 1.468). Parmi les médecins affiliés à la BHAK (Brusselse Huisartsenkring, Cercle bruxellois flamand), la part est légèrement supérieure. Elle est de 10,2 % (11 médecins sur 108) en comparaison contre 5,6 % (76 médecins sur 1.360) chez les médecins affiliés à la FBHAV-FAMGB. "" La répartition selon l'âge nous montre que près d'un médecin sur trois a entre 55 et 64 ans, ce qui signifie qu'un grand groupe de médecins partira à la retraite au cours des 10 prochaines années. En outre, nous voyons que le nombre de médecins de 65 ans et plus encore actifs n'est pas négligeable. Cette catégorie est presque aussi importante que le groupe des médecins âgés de 45 à 54 ans. "" Si 30,2 % des médecins généralistes à Bruxelles ont entre 55 et 64 ans, la situation est même pire à Molenbeek et à Schaerbeek où la moitié des médecins ont plus de 50 ans. A Uccle, ce taux atteint même 80 %. "" En 2017, il y a 737 médecins hommes et 729 médecins femmes actifs en Région bruxelloise. La répartition selon le sexe est donc parfaitement égale en 2017. Cependant, la répartition hommes-femmes diffère fortement entre les groupes d'âge. Ainsi, la part de femmes est considérablement supérieure parmi les médecins jusqu'à l'âge de 45 ans, alors que la part d'hommes est supérieure chez les médecins plus âgés (55 ans et plus). Il en résulte que l'âge moyen des médecins hommes est de 10 années plus élevé que l'âge des médecins femmes. Nous voyons donc une forte féminisation de la profession de médecin généraliste. "Nous ne connaissons pas avec précision le temps de travail " omnipraticien " de chaque médecin répertorié, ni les activités et/ou pratiques particulières exercées : nutrition, psychothérapie, homéopathie, ONE, médecine du sport, ... diminuant d'autant leurs heures consacrées à la médecine généraliste omnipraticienne. Ce qui aggrave encore le non-reflet des chiffres donnés de la réalité en médecine de proximité.Citons encore l'observatoire de la santé : " pour seulement garantir la préservation du nombre de médecins généralistes de 2017, Bruxelles aura besoin de 486 médecins généralistes supplémentaires d'ici 2027, et de 835 médecins généralistes supplémentaires d'ici 2037. "Si les générations plus jeunes à Bruxelles souhaitent effectivement aussi un meilleur équilibre entre travail et vie privée et qu'elles travaillent possiblement moins que les générations actuelles, ce nombre de médecins généralistes supplémentaires nécessaires sera sans aucun doute supérieur.Pour conclure:" Si un renforcement des soins de première ligne est l'ambition, en combinaison avec le vieillissement des médecins généralistes et la vulnérabilité grandissante d'une part importante de la population bruxelloise, nous pouvons nous attendre à ce que des efforts importants doivent être consentis afin de motiver les médecins généralistes à venir s'installer à Bruxelles. " (Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, précité) En effet à Bruxelles, " sur la base des chiffres belges par groupe d'âge et par facteurs socio-économiques de la population, 67 quartiers sont identifiés comme confrontés à une possible pénurie. "Si les quotas sont donc déterminés selon la fréquentation des écoles néerlandophones et francophones de Bruxelles, il est alors urgent de convaincre les médecins généralistes néerlandophones de venir s'installer à Bruxelles, sachant qu'ils s'engagent alors à peu parler le néerlandais, mais à parler un français de plus en plus enrichi et ouvert, au contact de nos 150 nationalités multiculturelles et multilingues. Il faudra qu'ils compensent la perte de médecins généralistes francophones, eux aussi de plus en plus multiculturels et multilingues, perte organisée par cette nouvelle politique de quotas. Malheureusement, nous ne voyons pas de tendance se dessiner au renforcement du nombre de généralistes néerlandophones à Bruxelles. Les chiffres de 2021 sont très semblables à ceux de 2017.Cette perte de médecins bruxellois ayant étudié en français devra être déduite du lissage imposé dans le numerus clausus, pour éviter une double peine. Le lissage est la réduction arbitraire de médecins sortant des universités francophones dans les années à venir [7]. C'est la sanction imposée aux francophones pour n'avoir pas respecté un numerus clausus calculé sur le cadastre des médecins. Ce cadastre était pourtant réputé obsolète. Il ne tenait compte ni des besoins réels de la population, modulés selon le nombre, le sexe, l'âge, les pathologies et le niveau social des habitants, ni du temps de travail que les médecins désirent réduire, ni de l'étendue des territoires avec leur densité de population. Il est donc indispensable d'évaluer le bien-fondé de ce lissage à l'aune des réalités sanitaires actuelles.Il faudra en effet que les Commissions de planification, fédérale comme communautaires, basent dorénavant leurs travaux sur les besoins réels de la population (toute la population, officielle et non officielle !) et en particulier de besoins non rencontrés ... et non pas sur une courbe historique de l'offre de médecins basée sur une " consommation " de soins constante... ni sur les besoins de main d'oeuvre bon marché des hôpitaux académiques.Enfin, et c'est capital (sans jeu de mot) pour Bruxelles, comment les deux Communautés française et néerlandophone feront-elles pour s'assurer de répondre aux besoins de Bruxelles puisque personne ne sait où les médecins vont s'installer au terme de leur stage ? Cela nécessitera sans aucun doute d'aborder la question " tabou " d'une planification pour l'installation.L'accès illimité au territoire pour les médecins ayant étudié en Europe hors Belgique est une discrimination vis à vis des étudiants issus des universités belges. La pénurie de généralistes et de certaines spécialités, organisée structurellement, est un appel d'air pour d'autres nationalités, pourtant tant redouté, particulièrement en Flandres, quand on parle de migration. Une politique d'installation effacerait cette discrimination.Et si les généralistes néerlandophones n'intègrent pas en suffisance le terrain bruxellois, nous revendiquerons alors la restitution de la répartition des quotas de médecins ayant étudié en français ou en néerlandais calculé selon le nombre d'habitants se déclarant parlant français ou néerlandais (selon la langue des fiches fiscales, par exemple ?).Bruxelles risque d'être victime d'un communautarisme irresponsable si les politiques choisissent la lourde responsabilité à ne pas revoir leur copie. Si des réponses adéquates à toutes ces questions ne sont pas données rapidement, d'autant plus dans le contexte actuel et futur de pandémie, nous redoutons l'explosion de la bombe sociale et sanitaire qu'est devenue la capitale de l'Europe.Au nom du GBO/Cartel,Docteur Anne Gillet, Présidente honoraire