Le journal du Médecin : Quel est l'impact de la perte de la biodiversité sur la santé ?

Dr Johan Michaux : En Europe, l'impact de la destruction des populations de renard et des petits carnivores en général est un des exemples les plus typiques. Car il y a un lien direct avec l'augmentation de la maladie de Lyme.

Les animaux réservoirs de la maladie de Lyme sont de petits rongeurs (mulots, campagnols). En l'absence de renards, ils peuvent se déplacer beaucoup plus facilement et risquent de contaminer d'autres rongeurs. Tous ces rongeurs se font piquer par des tiques qui peuvent contaminer l'homme à son tour. Les hivers plus doux associés au réchauffement climatique favorisent également la survie des tiques vectrices de la maladie mais aussi des petits rongeurs, ce qui ne fait qu'amplifier le phénomène.

On se rend compte également que la destruction des haies, des zones de bocages, des zones forestières, associées à la chasse des petits carnivores, a fortement diminué la population des prédateurs généralistes tels que les renards. Ce qui fait exploser les maladies dans certaines régions, dont la maladie de Lyme, mais pas seulement. Cela participe également à l'augmentation d'autres pathogènes, tels les hantavirus qui peuvent provoquer des syndromes hémorragiques très graves au niveau des reins notamment, ou au niveau du poumon.

Ces hantavirus, présents en Belgique, se propagent via de petits rongeurs, des campagnols roussâtres. Et si l'on perturbe l'habitat et le nombre de prédateurs de ces rongeurs, cela peut provoquer une explosion du nombre de rongeurs et par là, l'apparition d'un plus grand nombre d'humains touchés par ces maladies.

Les maladies infectieuses sont pourtant presque de l'ordre du souvenir dans les pays industrialisés.

C'est ce que l'on croit. On en parle moins qu'Ebola ou que le Covid-19, mais nous sommes déjà entourés de maladies émergentes. Heureusement, toutes ne connaissent pas le même embrasement que le nouveau coronavirus. Néanmoins, elles sont en constante augmentation.

Le chikungunya, le paludisme ou encore la dengue sont aux portes de l'Europe, et risquent de croître dans le futur à cause du réchauffement climatique. Celui-ci facilite en effet la survie et la dispersion de leurs vecteurs principaux, le moustique tigre et les moustiques du genre Anopheles. En Belgique, de nouveaux pathogènes pourraient également apparaître, via les moustiques, ou par les tiques, vectrices d'encéphalites virales notamment. Sans compter, encore une fois, la maladie de lyme : dans plusieurs régions de Wallonie, 25% des tiques sont porteuses de la bactérie responsable de cette maladie. Cette maladie de Lyme, c'est le monstre du Loch Ness et ses effets sur la santé sont encore largement méconnus et sous-estimés.

Dans l'émission Le jardin extraordinnaire du 24 mars 2020, vous mentionnez que trafic d'animaux serait à la base de l'éclosion du Covid-19.

Selon l'hypothèse actuelle, le pangolin a servi d'hôte intermédiaire à la maladie. Sur un des marchés de Wuhan, origine supposée de la pandémie, le trafic des animaux mène à mettre en contact des espèces qui devraient ne pas être rapprochées. Les pangolins vivent au sol, mangent des fourmis, et les chauves-souris en question sont une espèce insectivore vivant dans les forêts tropicales d'Asie du Sud Est. Les contacts naturels entre les deux espèces sont donc très faibles, s'ils existent. Nous étudions d'ailleurs actuellement ces risques de transferts naturels entre différents organismes, dont l'homme, mais ils sont nettement moindres que lors de la mise en contact artificielle de deux espèces ligotées vivantes sur un marché à Wuhan.

Il y a un autre souci : la déforestation qui réduit l'habitat des chauves-souris, véritables réservoirs de pathogènes. Qui dit déforestation dit moins d'arbres pour se reposer ou manger des fruits pour les espèces frugivores. Ainsi, de plus en plus fréquemment, on observe de grandes densités de chauves-souris dans les parcs des villes asiatiques où survivent quelques grands arbres. Ceci facilite le transfert de pathogènes entre ces chauves-souris et les populations humaines vivant à proximité.

En Asie du sud-est, le virus Nipah, maladie émergente extrêmement mortelle, est transmis par l'urine de ces chauves-souris (entre avril 2001 et mai 2018, environ 700 cas humains d'infection à virus Nipah ont été recensés, avec un taux de létalité compris entre 50 et 75 %, ndlr). Et les grands arbres se situent parfois au-dessus de marché, où les chauves-souris urinent. C'est une véritable bombe à retardement.

L'émergence d'un nouveau coronavirus est apparemment possible chaque année.

Il existe des centaines d'espèces de coronavirus déjà découvertes, dont la plupart sont bénignes, ne se transmettent pas à l'homme ou ne donnent que des rhumes. À titre d'exemple, la pipistrelle, la chauve-souris la plus commune en Belgique est porteuse de trois coronavirus du groupe des Alpha coronavirus. Ceux-ci ne se transmettent pas à l'homme. Le plus grand risque concerne la recombinaison d'autres coronavirus appartenant au groupe des Béta coronavirus. Ces recombinaisons peuvent potentiellement apparaitre à tout moment, particulièrement si l'homme favorise les contacts entre espèces sauvages.

Le mode de vie de nos sociétés amène à davantage de pandémies, de catastrophes naturelles.

C'est évident. Cette pandémie n'est que le début. Il y aura de plus en plus de maladies émergentes. Dès que l'on est dans un hotspot de biodiversité, si l'on déforeste et qu'on rentre au plus profond des zones naturelles, il y a un risque de rentrer en contact artificiellement avec des espèces qui vivent à la base loin de l'homme et qui constituent des réservoirs potentiels pour de nombreux pathogènes. De plus, les moyens de transport actuels facilitent la propagation des maladies émergente à une vitesse extrêmement rapide.

Quelles sont les solutions ? Beaucoup parlent d'un avant et d'un après Covid-19.

Ce que l'on peut espérer, de manière un peu utopiste, c'est une relation complètement différente par rapport à la biodiversité. Il faut en tout cas gérer de manière plus efficace et raisonnée la chasse des espèces sauvages. Il faut évidemment protéger nos forêts, limiter le réchauffement climatique afin d'éviter les effets " boule de neige ". Il y a 30 ans, le moustique tigre ne pouvait pas survivre dans nos régions. Enfin, il faut suivre et arrêter le trafic d'animaux sauvages. En chine, où l'État a interdit le commerce d'animaux sauvages, on retrouve déjà des chauves-souris sur les étals. Entre les paroles et les actes, il y a encore un monde.

Vous faites également face aux climatoseptiques, ce qui n'était pas le cas il y a une dizaine d'années. Y-a-t-il encore des raisons d'être optimiste ?

C'est sûr...Je suis de nature optimiste, mais là, il y a tellement de choses qui s'additionnent...Même dans les réserves naturelles, les espèces disparaissent ! On est en train de vivre un processus qui se voit à l'oeil nu. Même dans nos jardins, ce processus s'observe en temps réel.

La seule chose qui me rend optimiste, c'est l'espoir d'un changement profond de nos politiques. Les politiques néo-libérales, de mondialisation ont montré leurs limites. Le manque de masques, de médicaments a prouvé les limites du système. Il faut retourner vers des approches plus locales et une agriculture moins poussée aux pesticides.

Je n'ai pas de solutions miracles malheureusement, mais je trouve que ce qui est positif, ce que pour la première fois, on fait appel à la société scientifique et qu'on écoute son avis.

Enfin, on ne peut omettre que l'humain est une espèce problématique, envahissante.

Effectivement. Tout ce que l'on voit maintenant, les contacts augmentés avec les espèces sauvages, la déforestation, c'est directement lié à la démographie humaine. Un des espoirs serait à mettre en place de véritables plannings familiaux afin de gérer de manière efficace la démographie.

La biodiversité n'est pas un luxe. Elle se gère en bon père de famille. On le voit avec la pandémie actuelle : la nature s'autorégule. Bien gérer est une nécessité si l'on ne veut pas voir poindre d'autres pandémies et autres catastrophes naturelles à l'avenir. Il faut considérer la nature comme une amie et non comme une ennemie.

Le journal du Médecin : Quel est l'impact de la perte de la biodiversité sur la santé ?Dr Johan Michaux : En Europe, l'impact de la destruction des populations de renard et des petits carnivores en général est un des exemples les plus typiques. Car il y a un lien direct avec l'augmentation de la maladie de Lyme.Les animaux réservoirs de la maladie de Lyme sont de petits rongeurs (mulots, campagnols). En l'absence de renards, ils peuvent se déplacer beaucoup plus facilement et risquent de contaminer d'autres rongeurs. Tous ces rongeurs se font piquer par des tiques qui peuvent contaminer l'homme à son tour. Les hivers plus doux associés au réchauffement climatique favorisent également la survie des tiques vectrices de la maladie mais aussi des petits rongeurs, ce qui ne fait qu'amplifier le phénomène.On se rend compte également que la destruction des haies, des zones de bocages, des zones forestières, associées à la chasse des petits carnivores, a fortement diminué la population des prédateurs généralistes tels que les renards. Ce qui fait exploser les maladies dans certaines régions, dont la maladie de Lyme, mais pas seulement. Cela participe également à l'augmentation d'autres pathogènes, tels les hantavirus qui peuvent provoquer des syndromes hémorragiques très graves au niveau des reins notamment, ou au niveau du poumon.Ces hantavirus, présents en Belgique, se propagent via de petits rongeurs, des campagnols roussâtres. Et si l'on perturbe l'habitat et le nombre de prédateurs de ces rongeurs, cela peut provoquer une explosion du nombre de rongeurs et par là, l'apparition d'un plus grand nombre d'humains touchés par ces maladies.Les maladies infectieuses sont pourtant presque de l'ordre du souvenir dans les pays industrialisés.C'est ce que l'on croit. On en parle moins qu'Ebola ou que le Covid-19, mais nous sommes déjà entourés de maladies émergentes. Heureusement, toutes ne connaissent pas le même embrasement que le nouveau coronavirus. Néanmoins, elles sont en constante augmentation.Le chikungunya, le paludisme ou encore la dengue sont aux portes de l'Europe, et risquent de croître dans le futur à cause du réchauffement climatique. Celui-ci facilite en effet la survie et la dispersion de leurs vecteurs principaux, le moustique tigre et les moustiques du genre Anopheles. En Belgique, de nouveaux pathogènes pourraient également apparaître, via les moustiques, ou par les tiques, vectrices d'encéphalites virales notamment. Sans compter, encore une fois, la maladie de lyme : dans plusieurs régions de Wallonie, 25% des tiques sont porteuses de la bactérie responsable de cette maladie. Cette maladie de Lyme, c'est le monstre du Loch Ness et ses effets sur la santé sont encore largement méconnus et sous-estimés.Dans l'émission Le jardin extraordinnaire du 24 mars 2020, vous mentionnez que trafic d'animaux serait à la base de l'éclosion du Covid-19.Selon l'hypothèse actuelle, le pangolin a servi d'hôte intermédiaire à la maladie. Sur un des marchés de Wuhan, origine supposée de la pandémie, le trafic des animaux mène à mettre en contact des espèces qui devraient ne pas être rapprochées. Les pangolins vivent au sol, mangent des fourmis, et les chauves-souris en question sont une espèce insectivore vivant dans les forêts tropicales d'Asie du Sud Est. Les contacts naturels entre les deux espèces sont donc très faibles, s'ils existent. Nous étudions d'ailleurs actuellement ces risques de transferts naturels entre différents organismes, dont l'homme, mais ils sont nettement moindres que lors de la mise en contact artificielle de deux espèces ligotées vivantes sur un marché à Wuhan.Il y a un autre souci : la déforestation qui réduit l'habitat des chauves-souris, véritables réservoirs de pathogènes. Qui dit déforestation dit moins d'arbres pour se reposer ou manger des fruits pour les espèces frugivores. Ainsi, de plus en plus fréquemment, on observe de grandes densités de chauves-souris dans les parcs des villes asiatiques où survivent quelques grands arbres. Ceci facilite le transfert de pathogènes entre ces chauves-souris et les populations humaines vivant à proximité.En Asie du sud-est, le virus Nipah, maladie émergente extrêmement mortelle, est transmis par l'urine de ces chauves-souris (entre avril 2001 et mai 2018, environ 700 cas humains d'infection à virus Nipah ont été recensés, avec un taux de létalité compris entre 50 et 75 %, ndlr). Et les grands arbres se situent parfois au-dessus de marché, où les chauves-souris urinent. C'est une véritable bombe à retardement.L'émergence d'un nouveau coronavirus est apparemment possible chaque année.Il existe des centaines d'espèces de coronavirus déjà découvertes, dont la plupart sont bénignes, ne se transmettent pas à l'homme ou ne donnent que des rhumes. À titre d'exemple, la pipistrelle, la chauve-souris la plus commune en Belgique est porteuse de trois coronavirus du groupe des Alpha coronavirus. Ceux-ci ne se transmettent pas à l'homme. Le plus grand risque concerne la recombinaison d'autres coronavirus appartenant au groupe des Béta coronavirus. Ces recombinaisons peuvent potentiellement apparaitre à tout moment, particulièrement si l'homme favorise les contacts entre espèces sauvages.Le mode de vie de nos sociétés amène à davantage de pandémies, de catastrophes naturelles.C'est évident. Cette pandémie n'est que le début. Il y aura de plus en plus de maladies émergentes. Dès que l'on est dans un hotspot de biodiversité, si l'on déforeste et qu'on rentre au plus profond des zones naturelles, il y a un risque de rentrer en contact artificiellement avec des espèces qui vivent à la base loin de l'homme et qui constituent des réservoirs potentiels pour de nombreux pathogènes. De plus, les moyens de transport actuels facilitent la propagation des maladies émergente à une vitesse extrêmement rapide.Quelles sont les solutions ? Beaucoup parlent d'un avant et d'un après Covid-19.Ce que l'on peut espérer, de manière un peu utopiste, c'est une relation complètement différente par rapport à la biodiversité. Il faut en tout cas gérer de manière plus efficace et raisonnée la chasse des espèces sauvages. Il faut évidemment protéger nos forêts, limiter le réchauffement climatique afin d'éviter les effets " boule de neige ". Il y a 30 ans, le moustique tigre ne pouvait pas survivre dans nos régions. Enfin, il faut suivre et arrêter le trafic d'animaux sauvages. En chine, où l'État a interdit le commerce d'animaux sauvages, on retrouve déjà des chauves-souris sur les étals. Entre les paroles et les actes, il y a encore un monde.Vous faites également face aux climatoseptiques, ce qui n'était pas le cas il y a une dizaine d'années. Y-a-t-il encore des raisons d'être optimiste ?C'est sûr...Je suis de nature optimiste, mais là, il y a tellement de choses qui s'additionnent...Même dans les réserves naturelles, les espèces disparaissent ! On est en train de vivre un processus qui se voit à l'oeil nu. Même dans nos jardins, ce processus s'observe en temps réel.La seule chose qui me rend optimiste, c'est l'espoir d'un changement profond de nos politiques. Les politiques néo-libérales, de mondialisation ont montré leurs limites. Le manque de masques, de médicaments a prouvé les limites du système. Il faut retourner vers des approches plus locales et une agriculture moins poussée aux pesticides.Je n'ai pas de solutions miracles malheureusement, mais je trouve que ce qui est positif, ce que pour la première fois, on fait appel à la société scientifique et qu'on écoute son avis.Enfin, on ne peut omettre que l'humain est une espèce problématique, envahissante.Effectivement. Tout ce que l'on voit maintenant, les contacts augmentés avec les espèces sauvages, la déforestation, c'est directement lié à la démographie humaine. Un des espoirs serait à mettre en place de véritables plannings familiaux afin de gérer de manière efficace la démographie.La biodiversité n'est pas un luxe. Elle se gère en bon père de famille. On le voit avec la pandémie actuelle : la nature s'autorégule. Bien gérer est une nécessité si l'on ne veut pas voir poindre d'autres pandémies et autres catastrophes naturelles à l'avenir. Il faut considérer la nature comme une amie et non comme une ennemie.