Les ophtalmologues belges ont très souvent recours au test dit de " CCE " avant d'opérer une cataracte. Une approche qui coûte cher, or elle est a priori non étayée scientifiquement, selon le KCE.
L'opération de la cataracte est l'une des interventions chirurgicales les plus fréquemment réalisées, avec un impact positif indéniable sur la qualité de vie des patients. "Grâce aux progrès technologiques en ophtalmologie, la précision et les résultats de l'opération se sont fortement améliorés et les complications sont désormais peu fréquentes", constate d'emblée le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE).
Les patients sont soumis à un certain nombre d'examens préopératoires. On réalise notamment, chez la majorité d'entre eux, un examen de microscopie spéculaire en vue d'analyser le nombre et la morphologie des cellules de l'endothélium cornéen (test "CCE"). Les ophtalmologues utilisent ce test pour informer les patients de l'état de leur cornée avant l'opération. Le risque de décompensation cornéenne après chirurgie est en effet plus élevé chez les personnes qui présentent une maladie préexistante de l'endothélium cornéen.
L'utilisation de cet examen, remboursé depuis 1991, est en augmentation. Dans certains hôpitaux, il peut concerner jusqu'à 100 % des patients. Les coûts associés progressent en conséquence... Le KCE a donc été amené, pour l'assurance maladie, à évaluer les bénéfices cliniques et le rapport coût-efficacité de cette approche.
Davantage de tests en cliniques privées
Le KCE a d'abord dressé un état des lieux du recours au CCE entre 2011 et 2021 (données AIM).
L'honoraire officiel de cette prestation au cours de la période étudiée était de l'ordre d'une cinquantaine d'euros, dont plus de 80 % à charge de l'Inami. En 2024, l'honoraire s'éleve à 54,19 euros, le remboursement à 46,07 euros et le ticket modérateur (non BIM) à 8,12 euros.
Le nombre de tests a augmenté de 51 % en dix ans pour arriver à des dépenses de près de 5 millions d'euros en 2021 ("malgré une réduction de l'honoraire début 2020", souligne le KCE). La majorité des CCE ont été réalisés en centre d'ophtalmologie privé plutôt qu'en consultation à l'hôpital.
Parallèlement, le nombre d'opérations de la cataracte a aussi augmenté (+25 %). La majorité des opérations (86-93 %) sont réalisées en hôpital de jour. Environ 68 % des patients ayant subi au moins une opération de la cataracte ont bénéficié d'un examen CCE.
Pas d'EBM
Le KCE a ensuite procédé à une revue de la littérature: celle-ci n'a pas permis d'identifier des preuves solides que le test CCE influencerait la survenue de complications postopératoires au niveau de la cornée.
De même, "les directives cliniques internationales ne mentionnent souvent pas du tout le CCE parmi les examens préconisés avant l'intervention ou, lorsqu'elles en parlent, elles ne le recommandent qu'en présence d'une (suspicion de) pathologie cornéenne préexistante", note le KCE.
Enfin, des experts français, hollandais et anglais rapportent que chez eux, cet examen n'est pas utilisé en routine dans ce contexte spécifique. Interrogés sur leur pratique, les ophtalmologues belges justifient la démarche très courante en Belgique par la volonté de renforcer le dépistage des maladies de la cornée et de personnaliser l'approche chirurgicale.
Recommandations
Sur base des résultats de son étude, le KCE émet différentes recommandations.
A l'intention de l'Inami : limiter le remboursement du test aux patients qui présentent une maladie cornéenne préexistante (ou une autre fragilité cornéenne). On pourrait aussi passer à un remboursement forfaitaire pour la chirurgie de la cataracte, où serait inclus un montant pour le CCE chez certains patients. Les CCE hors indications, non facturés aux patients, pourraient faire l'objet de contrôles.
Par ailleurs, le KCE préconise aux ophtalmologues de (faire) réaliser des études pour déterminer la pertinence du CCE avant chirurgie - notamment une analyse comparative avec les pays voisins qui recourrent peu à cet examen -, et de développer des guidelines et un enseignement des pratiques cliniques evidence-based.
C.V.
L'opération de la cataracte est l'une des interventions chirurgicales les plus fréquemment réalisées, avec un impact positif indéniable sur la qualité de vie des patients. "Grâce aux progrès technologiques en ophtalmologie, la précision et les résultats de l'opération se sont fortement améliorés et les complications sont désormais peu fréquentes", constate d'emblée le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE).Les patients sont soumis à un certain nombre d'examens préopératoires. On réalise notamment, chez la majorité d'entre eux, un examen de microscopie spéculaire en vue d'analyser le nombre et la morphologie des cellules de l'endothélium cornéen (test "CCE"). Les ophtalmologues utilisent ce test pour informer les patients de l'état de leur cornée avant l'opération. Le risque de décompensation cornéenne après chirurgie est en effet plus élevé chez les personnes qui présentent une maladie préexistante de l'endothélium cornéen. L'utilisation de cet examen, remboursé depuis 1991, est en augmentation. Dans certains hôpitaux, il peut concerner jusqu'à 100 % des patients. Les coûts associés progressent en conséquence... Le KCE a donc été amené, pour l'assurance maladie, à évaluer les bénéfices cliniques et le rapport coût-efficacité de cette approche.Le KCE a d'abord dressé un état des lieux du recours au CCE entre 2011 et 2021 (données AIM). L'honoraire officiel de cette prestation au cours de la période étudiée était de l'ordre d'une cinquantaine d'euros, dont plus de 80 % à charge de l'Inami. En 2024, l'honoraire s'éleve à 54,19 euros, le remboursement à 46,07 euros et le ticket modérateur (non BIM) à 8,12 euros. Le nombre de tests a augmenté de 51 % en dix ans pour arriver à des dépenses de près de 5 millions d'euros en 2021 ("malgré une réduction de l'honoraire début 2020", souligne le KCE). La majorité des CCE ont été réalisés en centre d'ophtalmologie privé plutôt qu'en consultation à l'hôpital.Parallèlement, le nombre d'opérations de la cataracte a aussi augmenté (+25 %). La majorité des opérations (86-93 %) sont réalisées en hôpital de jour. Environ 68 % des patients ayant subi au moins une opération de la cataracte ont bénéficié d'un examen CCE.Le KCE a ensuite procédé à une revue de la littérature: celle-ci n'a pas permis d'identifier des preuves solides que le test CCE influencerait la survenue de complications postopératoires au niveau de la cornée. De même, "les directives cliniques internationales ne mentionnent souvent pas du tout le CCE parmi les examens préconisés avant l'intervention ou, lorsqu'elles en parlent, elles ne le recommandent qu'en présence d'une (suspicion de) pathologie cornéenne préexistante", note le KCE. Enfin, des experts français, hollandais et anglais rapportent que chez eux, cet examen n'est pas utilisé en routine dans ce contexte spécifique. Interrogés sur leur pratique, les ophtalmologues belges justifient la démarche très courante en Belgique par la volonté de renforcer le dépistage des maladies de la cornée et de personnaliser l'approche chirurgicale.Sur base des résultats de son étude, le KCE émet différentes recommandations.A l'intention de l'Inami : limiter le remboursement du test aux patients qui présentent une maladie cornéenne préexistante (ou une autre fragilité cornéenne). On pourrait aussi passer à un remboursement forfaitaire pour la chirurgie de la cataracte, où serait inclus un montant pour le CCE chez certains patients. Les CCE hors indications, non facturés aux patients, pourraient faire l'objet de contrôles.Par ailleurs, le KCE préconise aux ophtalmologues de (faire) réaliser des études pour déterminer la pertinence du CCE avant chirurgie - notamment une analyse comparative avec les pays voisins qui recourrent peu à cet examen -, et de développer des guidelines et un enseignement des pratiques cliniques evidence-based.C.V.