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Les épidémiologistes de Sciensano estiment, chaque année, durant la période qui correspond à la phase de vigilance du plan chaleur (du 15 mai au 30 septembre), combien de personnes mourront durant l'été. C'est ce que l'on appelle les décès attendus. " En gros, c'est une moyenne basée sur les cinq dernières années, en corrigeant les événements extrêmes ", résume Natalia Bustos Sierra, épidémiologiste au sein de Sciensano. " Pour chaque jour, nous avons un nombre de décès attendus. Ce qui permet d'arriver à un nombre de décès supplémentaires et à un pourcentage d'excès de mortalité. "" En été, l'important se situe au niveau journalier. Le taux de mortalité est très sensiblement lié à la chaleur, au pic d'ozone. Si l'on dépasse la borne supérieure de l'intervalle de prédiction, on a un signal significatif qui nous permet alors d'alerter les autorités. "Lors des précédents étés caniculaires, le nombre de décès supplémentaires a toujours dépassé la barre des 2.000, soit plus de 6% d'excès de mortalité par rapport à la moyenne. Avec un été si chaud, sur une si longue période, on aurait pu s'attendre à voir de nouveaux records. Les scientifiques s'attendaient d'ailleurs à observer de nombreux décès supplémentaires.Pourtant, il n'en sera vraisemblablement rien. " Il faudra attendre la fin du mois d'octobre pour avoir la confirmation de la tendance, mais on peut déjà dire qu'il y a beaucoup moins de décès qu'attendu, même si l'on observe une surmortalité ", explique l'épidémiologiste.La surmortalité est d'ailleurs moindre que l'an dernier, une année pourtant sans longue période de chaleur. " À titre de comparaison, l'an dernier, une brève phase d'alerte a été déclenchée. Le 22 juin 2017 par exemple, on a enregistré 370 décès alors que le maximum actuel de cette année est de 329 décès enregistrés le 4 août. Il est néanmoins très difficile de comparer les années, puisque les périodes de chaleur n'apparaissent pas au même moment, et les températures sont différentes. "" Ce ne sont que des hypothèses, mais peut-être que la longue période de chaleur et la sensibilisation préalable ont amené une forme d'adaptation de la population ", suggère Natalia Bustos Sierra. " Il y a également eu une grande couverture des médias par rapport à la sensibilisation."Autre raison avancée : les récentes modifications du plan chaleur. " Depuis 2017, la phase d'avertissement du plan chaleur a un nouveau seuil, ce qui permet aux autorités d'avoir deux jours d'avance pour lancer la chaîne de prévention. "Enfin, une épidémie assez intense a frappé la Belgique en février-mars. " Il y a également eu une surmortalité chez les personnes âgées. Peut-être les personnes vulnérables sont-elles parties plus tôt ? Ce ne sont, encore une fois, que des hypothèses. " La grippe, dont le pic se situe en février-mars, n'a pourtant pas atteint plus de personnes en 2018 que les trois dernières années.Lorsque l'on regarde les chiffres de plus près, on constate tout de même que la chaleur a fait des dégâts. Simplement, elle en a fait moins que prévu.Durant la première période (mauve clair sur l'infographie), 3.206 décès étaient attendus alors qu'en réalité, ce sont 3.408 décès qui ont été enregistrés sur 12 jours, soit 202 décès supplémentaires (ce qui représente une faible surmortalité de 6,3%)Durant la deuxième période (mauve foncé sur l'infographie), 5.491 décès étaient attendus, et ce sont en réalité 6.193 décès qui ont été enregistrés sur 21 jours, soit 702 décès supplémentaires (ce qui représente une surmortalité modérée de 12,7%)." Sur l'ensemble du deuxième épisode, on observe clairement une augmentation du nombre de décès après les pics d'ozone et les fortes chaleurs ", commente Natalia Bustos Sierra. " Les températures records des 26 et 27 juillet (plus de 36°C) ont provoqué une surmortalité.Pour l'ensemble de la population, on a dénombré 327 décès, dont 66 décès supplémentaires. Une surmortalité de 20%, surtout observée chez les personnes de 85 ans et plus. La semaine du 3 août a ensuite vu l'apparition d'une concentration assez élevée en ozone (plus de 180µg/m³). Une surmortalité significative a été enregistrée le lendemain parmi l'ensemble de la population. "Des différences régionales existent, notamment à cause de la concentration d'ozone qui diffère. " La Région de Bruxelles compte moins d'ozone que les Régions ", clarifie Natalia Bustos Sierra. " L'ozone et les concentrations de dioxydes d'azote sont liés. C'est une relation complexe, mais le NO2 participe à la destruction de l'ozone. Paradoxalement, la pollution joue donc un rôle d'adjuvant dans la destruction de l'ozone. De plus, en zone rurale, les forêts de pins secrètent du terpène, ce qui favorise la production d'ozone. Au plus vous serez en zone rurale, moins polluée, au plus vous aurez d'ozone. Anvers et Bruxelles auront toujours plus d'ozone que les autres régions. "Si les chiffres semblent moins lourds, Sciensano insiste : le risque de décès augmente avec un pic de chaleur ou un pic d'ozone, surtout pour les personnes âgées de 65 ans et plus. " D'où l'importance de la sensibilisation. Finalement, il suffit de bien s'hydrater, de rester dans un endroit frais s'il fait chaud, et d'éviter d'aller faire du sport. Pareil lors des pics d'ozone : éviter le sport et rester à l'intérieur où les concentrations d'ozone sont deux fois moindres. Les gestes sont simples, il suffit d'adapter son comportement."Néanmoins, beaucoup de personnes ne sont pas conscientes des conséquences d'un pic d'ozone. "Ce qu'il faut notamment savoir, c'est que la chaleur et la concentration d'ozone sont fortement corrélées. Le risque concernant la température se situe aux heures les plus chaudes : midi, début d'après-midi. Par contre, l'ozone s'accumule et le pic se situera en fin d'après-midi, entre 17 et 20 heures, alors que les températures sont plus fraîches. C'est le deuxième risque de la journée auquel la population n'est pas forcément attentive. "Résultat : lors des fortes chaleurs, mieux vaut profiter de la matinée pour vaquer à ses occupations plutôt que de prendre un risque lié à la forte chaleur ou au pic d'ozone éventuel. Laurent Zanella