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Dans son mot d'introduction, le généraliste Jo Lisaerde, médecin coordinateur et conseiller au WZC De Wingerd de Louvain, également professeur de soins palliatifs à l'ACH Leuven, a rappelé que l'anhédonie (ou lassitude de la vie), touchait surtout les seniors, mais aussi des personnes de tous âges.Le Pr Herman Nys a quant à lui abordé l'aspect juridique de la chose. Pour satisfaire aux conditions de l'euthanasie, il faut une demande écrite ou une demande préalable du patient. Il doit en outre s'agir d'une "situation médicale sans issue de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable."L'anhédonie répond-elle à ces critères? Dans l'état actuel de la science médicale, il semblerait que la réponse soit non, explique le Pr Nys. "Ce qui ne signifie pas que l'euthanasie en cas d'anhédonie est inenvisageable. Cette fatigue de vie est généralement considérée comme une souffrance psychique. Si cette souffrance constitue le résultat d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, l'euthanasie peut être une option, puisque toutes les autres conditions juridiques sont remplies. Mais il ne s'agit donc pas d'une euthanasie pour cause d'anhédonie", précise-t-il. Herman Nys conclut que l'anhédonie n'étant pas une affection incurable, elle ne peut constituer un fondement juridique suffisant pour pratiquer l'euthanasie. Cette option n'est donc envisageable juridiquement que si l'anhédonie est requalifiée en souffrance psychique résultant d'une ou plusieurs affections graves et incurables.Le Dr Chris Gastmans, professeur d'éthique médicale et directeur du Centrum voor Biomedische Ethiek en Recht de l'KULeuven a, pour sa part, émis quelques réflexions sur l'anhédonie. Il déplore surtout le peu de recherches effectuées en la matière, n'oubliant toutefois pas de mentionner le travail d'Els van Wijngaarden, professeur à l'Universiteit voor Humanistiek d'Utrecht. Dans le cadre de sa thèse, cette dernière a interrogé 25 seniors estimant qu'ils étaient arrivés "au bout du chemin". Ses recherches ont montré que les personnes lasses de la vie présentaient une série de caractéristiques: il s'agissait souvent de personnes fragiles, socialement engagées et ressentant une solitude existentielle. Elle éprouvaient en outre un sentiment de vide et ne se sentaient plus écoutées ou même regardées.Ces cas ne sont toutefois pas exempts d'ambiguïté. Certaines personnes sont fatiguées de la vie, mais prennent toujours soin de leur corps et de leur santé. "C'est justement cette ambiguïté qui rend le problème épineux. Par ailleurs, il semblerait que le choix de la mort ne résulte souvent pas d'une décision rationnelle et cognitive, mais prend plutôt la forme d'une détermination extérieure guidée par un doute intérieure." Selon Chris Gastmans, il faut donner la préférence à une approche existentielle plutôt que clinique, dans le but de soulager ce type de souffrance. "Mais attention, le généraliste n'a pas réponse à tout. Les soins aux personnes âgées relèvent de la responsabilité de tous. De l'individu aux autorités."Le docteur Jo Lisaerde a ensuite abordé la manière dont le généraliste devait encadrer le patient fatigué de la vie. "Celui-ci attend souvent une réponse médicale qui n'existe pas. Des études indiquent que la plupart des plus de 75 ans se sentent bien, même quand leur santé ou leurs conditions de vie se détériorent. Mais il y existe aussi des personnes âgées qui "souffrent de la vie". Cette notion est toute subjective. Il est temps de définir et d'évaluer les facteurs de risque physiques, psychiques et socio-économiques afin de permettre la réversibilité du problème, par le biais d'options thérapeutiques. Nous devons apprendre à creuser davantage le sujet quand un patient nous annonce qu'il préférerait ne pas se réveiller le lendemain. Un accompagnement par étape pourrait s'avérer utile."La prévention négligée"Qu'en est-il de la haute prévalence du suicide chez les personnes âgées?", s'est interrogé le modérateur Luc Van de Ven, psychologue clinicien en psychiatrie gériatrique à l'UPCKU Leuven."Cette prévalence est un fait établi, mais c'est le manque d'action face à cette constatation qui pose question. Rien n'a été entrepris pour éviter le suicide chez les personnes âgées, contrairement aux campagnes préventives chez les jeunes. Le suicide chez les personnes âgées n'est pas considéré comme problématique et ne constitue certainement pas une priorité", déplore le Prof Gastmans.Selon le Herman Nys, la responsabilité de la famille est la grande absente des débats. Il se réfère ainsi aux Pays-Bas, où un dialogue concret a lieu entre les centres de résidence et de soins et les famille des pensionnaires, afin de définir les actions en cas de problème.A l'issue des différents exposés, les médecins ont à nouveau été interrogés quant à la recevabilité d'une demande d'euthanasie pour anhédonie. 64% avaient répondu par l'affirmative avant le débat, contre 40% après."Les conférences et le débat ont permis aux médecins de réaliser qu'il ne fallait pas toujours souscrire tête baissée à l'histoire du patient", explique le Dr Johan Vliers, président de la commission des soins aux personnes âgées du MCH. " Ils se sentent maintenant soutenus par l'éthique et la réalité sociale cachée derrière l'anhédonie. Le débat a encouragé à la réflexion sur (le droit à) l'euthanasie et sur la pression sociale qui entoure cette solution. Le message est clair : cherchez d'abord les causes de cette lassitude de vie."