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L'augmentation des infections causées par des bactéries multirésistantes constitue un problème de santé publique. Si certaines parties du monde comme l'Afrique du nord ou les pays de l'ex-Union soviétique sont plus particulièrement touchées, le professeur Dimitri Van der Linden, pédiatre infectiologue aux cliniques universitaires Saint-Luc, remarque que les centres hospitaliers occidentaux en souffrent plus sévèrement ces dernières années. "La phagothérapie a été découverte au début du XXe siècle et a continué à être utilisée en ex-Union soviétique", précise le professeur Van der Linden. "En Géorgie par exemple, la phagothérapie fait entièrement partie de l'arsenal thérapeutique quotidien et un tourisme médical vers ce pays a vu le jour pour soigner notamment des plaies intraitables. Lors de l'essor des antibiotiques, la phagothérapie est tombée en désuétude dans nos pays. Cependant, ces dernières années, on observe un très faible développement de nouveaux antibiotiques et d'un autre côté des bactéries de plus en plus difficiles à traiter, avec fort heureusement dans de rares cas, une quasi-absence de possibilité thérapeutique. On se retrouve donc dans une impasse thérapeutique. Sans alternative, l'avenir est sombre et l'on pourrait risquer revenir à l'ère pré-antibiotique où l'on mourrait de simples pathologies infectieuses", ajoute-t-il. Les bactériophages sont des virus qui n'infectent que les bactéries. Ceux pourvus d'une action lytique pénètrent dans les bactéries et se servent de leur machinerie interne pour se reproduire jusqu'à éclatement de la cellule bactérienne. Pour Wael Rezig, un enfant de 15 mois souffrant, après une greffe, d'abcès au foie causés par la bactérie multirésistante Pseudomonas aeruginosa, la phagothérapie représentait le traitement de la dernière chance. L'hôpital militaire Reine Astrid dispose d'un laboratoire permettant d'isoler des phages prélevés dans la nature et de les conditionner sous forme stérile afin de pouvoir les administrer chez des patients au cas par cas. En collaboration avec leurs services, les cliniques universitaires Saint-Luc ont mis au point un traitement combinant des bactériophages administrés par voie intraveineuse et dans les parties du foie malade avec des antibiotiques, et ce afin de prendre en étau les bactéries jusqu'à la réalisation d'une nouvelle greffe. "J'étais un peu inquiète car je n'avais jamais entendu parler de ce traitement, mais on n'avait plus d'alternatives", raconte Khadidja Rezig, la mère de Wael, à l'agence Belga. "Après 15 jours avec les bactériophages, sa température a commencé à baisser. Il n'a eu aucun effet secondaire". L'attente pour une nouvelle greffe a été longue. Le petit Wael a été maintenu sous phagothérapie intraveineuse pendant 85 jours, de novembre à février, ce qui représente la plus longue durée jamais répertoriée chez l'enfant. Des phages ont encore été placés dans la cavité abdominale durant la greffe du nouveau foie afin d'éliminer les dernières bactéries survivantes. L'enfant se porte bien et poursuit aujourd'hui sa convalescence. La réussite de ce traitement constitue un premier pas dans l'usage de la phagothérapie en synergie avec des antibiotiques en cas d'infection par une bactérie multirésistante. En collaboration avec l'hôpital militaire Reine Astrid, les cliniques universitaires Saint-Luc peuvent dès lors proposer à titre exceptionnel des administrations de bactériophages sur mesure à certains patients. Reste à adapter le cadre en vigueur pour rendre le recours à cette pratique plus flexible et pour réaliser des essais cliniques.