...

Sur son corps, 1.700 numéros écrits, qui renvoient à des légendes. 139 numéros d'ordre détaillent la façon de le (dé)monter, opération réalisée à l'aide d'une manicule. De minuscules mains dessinées renseignent plus avant sur la manipulation des divers organes et parties qui le constituent. Une notice Ikéa avant la lettre... Le grand écorché exposé au musée de Bruxelles, modèle anatomique complet, date de 1882 et porte, sur la cuisse gauche, la signature de son auteur, Louis Thomas Jérôme Auzoux, médecin normand né en 1778 qui introduisit dès après 1820 des moulages didactiques ayant pour particularité d'être démontables, et reproductibles en série. La "matrice" du modèle du grand écorché date pour sa part de 1830 et a été exécutée à partir du cadavre d'un homme en pleine santé, décédé d'une mort violente.A l'époque, alors que la dissection sur cadavres reste difficile au vu des conditions précaires de conservation des corps, des risques de contaminations diverses lors des autopsies, les modèles du Dr Auzoux - baptisés "clastiques", du grec klao, je romps - ouvrent une nouvelle dimension pour les modèles anatomiques. Grâce à la mise au point d'une pâte à la fois souple et solide et qui lui permettra de fabriquer des pièces anatomiques résistant au montage-démontage, ses modèles supplantent rapidement les cires anatomiques utilisées alors pour l'enseignement de la médecine, jugées trop fragiles, coûteuses et difficilement manipulables. Le carton-pierre moulé sous presse permet la démocratisation des prix des modèles et après l'ouverture par le Dr Auzoux d'une fabrique dans son village natal de Saint-Aubin-d'Ecrosville en 1828, la production ira croissant.L'homme en kitLe grand écorché a longtemps été exposé dans le hall d'entrée du musée de la médecine, sous le puits de lumière. La poussière, la lumière, la proximité des visiteurs ainsi que les variations de température n'ont pas épargné cette pièce ancienne et fragile. Après un premier nettoyage et des retouches en 2006, le grand écorché subira une nouvelle phase de restauration qui rassemblera plusieurs professionnels experts en les différents matériaux (papier mâché, structure en métal, couche picturale composée de pigments et de colle de poisson) qui le composent. Cette campagne, débutée en mars 2015, visait à redonner une continuité visuelle à l'ensemble, comme l'ont expliqué Marion Gouriveau, Anne-Sophie Hanse et Laura Morel lors d'un colloque consacré au grand écorché*.Afin d'acquérir une meilleure connaissance des matériaux utilisés et de réaliser une restauration la plus pertinente possible, le grand écorché a subi divers examens d'imagerie médicale qui ont permis de mieux se rendre compte de l'état de conservation des pièces métalliques, par exemple, et de préciser des choix de restauration. De plus en plus fréquemment utilisée pour l'examen, la datation, la restauration d'oeuvres d'art, l'imagerie médicale complète l'aspect pluridisciplinaire de la restauration. Ainsi, le modèle a bénéficié d'une investigation approfondie de son "anatomie" interne, grâce à un CT scan à double énergie qui a permis d'analyser la masse atomique des matériaux, de réduire les artefacts métalliques et d'obtenir des coupes en deux dimensions qui ont ensuite été restituées en trois dimensions, ce qui permet un rendu de volume plutôt esthétique, dont les images sont projetées dans l'enclave dédiée au grand écorché.De l'objet pédagogique à l'objet de collection, le grand écorché, plus que centenaire, bénéficie aujourd'hui du regain d'intérêt que connaissent les modèles anatomiques, considérés comme de véritables oeuvres d'art. Il est maintenant exposé aux côtés d'autres modèles anatomiques, et de ses organes, et face aux images créées grâce aux logiciels d'imagerie médicale, ce qui permet de le situer dans l'histoire de l'enseignement de cette discipline.