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Le Journal du Médecin : Les mains sont un élément qui revient souvent dans votre film ?Nicolas Philibert : Le film commence d'ailleurs par un plan sur les mains. C'est dire toute l'importance de ces " outils ", de ces gestes, de ce que les mains peuvent apporter : toute l'attention qu'elles supposent, qu'elles exigent. Il ne s'agit pas seulement de gestes techniques, mais également de réconfort : poser la main sur l'épaule d'un patient, ce n'est pas anodin.Le film est aussi un hommage aux professeurs, que l'on voit très en empathie et encourageants...Oui et dans la troisième partie du film, les enseignants ne sont plus sur leur estrade, mais à la même hauteur que leurs élèves. Il y a dès lors un rapport horizontal entre futurs et anciens. Car ces professeurs ont tous été infirmiers. En France actuellement - car il y a une réforme en cours -, tous les formateurs et formatrices sont des gens de terrain.La profession craint d'ailleurs que cela ne disparaisse avec la réforme. Les études en soins infirmiers étant en train d'être " universitarisées ", la crainte de beaucoup est que l'enseignement revienne dès lors à des universitaires pur jus, qui ne seront pas des gens de terrain.Le film renvoie une image à la fois d'implication et de bonne humeur des étudiants infirmiers, qui paraissent très concernés...Ils sont conscients de s'engager dans une profession qui sera mal payée, difficile, assortie d'horaires pénibles : tôt, tard la nuit... Dans les grandes villes, c'est aussi synonyme de longs trajets. Les étudiants savent également qu'ils vont être confrontés aux pressions économiques qui pèsent sur l'hôpital : au manque de personnel, d'effectifs, de matériel dans les maisons de retraite.Et en même temps, il y a chez eux ce désir de se lancer dans ce métier. Ils ont une forme de conviction à défaut de la foi : ils ont envie de se rendre utiles. Cela tourne parfois de l'autopersuasion, ou à des moments de découragements durant le stage, où les étudiants se font parfois rudoyer, voire méprisés par les infirmiers de l'équipe... Certains reviennent en larmes. D'autres craquent, car en première année, il leur est parfois demandé d'effectuer des soins qu'ils n'ont pas encore intégrés. Mais ils font preuve de cran face à ce qui est quelquefois du harcèlement.Ces candidats sont parfois humiliés durant le stage, pas forcément par des médecins, mais par des collègues infirmiers...Ou par des patients qui sont en souffrance et sont parfois agressifs, les infirmiers ne passent pas assez de temps qu'ils le souhaiteraient auprès d'eux : plus les conditions de travail sont difficiles, et plus c'est tendu.L'un des professeurs leur assène qu'il ne faut pas que le rendement s'impose face à la qualité du soin...C'est ce vers quoi nous allons hélas : il est aujourd'hui demandé de produire du soin. Il faut être efficace : quelqu'un qui traîne, qui n'est pas sûr de lui, peut se faire vite malmener et certains stages peuvent virer au cauchemar.L'an dernier en France, il y a eu des mouvements de grèves dans certains services de soins hospitaliers, et des maisons de retraite. Le personnel s'est mobilisé parce que les conditions de travail deviennent épouvantables dans certains cas. Il y a même des suicides.Ces mouvements sociaux ne se font pas tellement pour des revendications salariales, mais simplement dans le but de pouvoir travailler dignement.L'infirmier est un peu le petit soldat de la médecine ?Voilà. À qui l'on confie parfois le sale boulot d'ailleurs : c'est à lui ou elle d'annoncer au patient les mauvaises nouvelles. Quelquefois, les médecins se défilent...Le film présente un versant émouvant et pudique à la fois, notamment lorsque ce garçon finit par avouer qu'il ne se remet pas d'avoir vu mourir quelqu'un, son professeur ayant fini par le faire accoucher de cet aveu...Voilà des jeunes gens de 18 ou 20 ans, qui sont parfois, dès le premier stage après trois mois d'études, confrontés à la maladie, la souffrance, la finitude et la mort. Cela ne va pas de soi. Il faut du courage : dans certains services, cela peut survenir de façon récurrente au cours d'un stage. Comment trouver la juste distance, pour être à la fois avec tout en se préservant ?J'ai fait le choix de montrer l'apprentissage afin d'illustrer la difficulté de certains gestes, l'étendue des compétences requises, des protocoles à respecter exigeant une attention extrême. Par ailleurs, cela me permet de filmer des émotions et du désir. Ce qui m'intéresse c'est de montrer la vie dans sa complexité et pas simplement de réaliser un pamphlet contre la privatisation des soins, de focaliser sur l'aspect humain des choses : l'importance de la parole, de l'écoute, des gestes et des regards, de l'attention portée à l'autre. Au fond, c'est un film sur l'altérité...