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L'annonce du handicap concerne 15% de la population. Il y a les handicaps de la petite enfance et puis tous ceux liés aux accidents de la vie consécutifs aux traumatismes ou à des maladies graves comme le cancer et les accidents vasculaires cérébraux, première cause de handicap. "C'est dire que tout médecin s'y trouve régulièrement confronté", explique le Dr Grimmiaux. "La première annonce étant suivie de réannonce en cas de réactivation émotionnelle quand il est sous le regard des autres et quand la maladie évolue."Une mauvaise nouvelle restera toujours une mauvaise nouvelle, mais améliorer les conditions de l'annonce peut aider à mieux la vivre. "Pour ce faire, il est important que médecins et infirmières soient autant formés à un savoir être qu'à un savoir-faire. C'est un des objectifs de la plateforme que je préside (1)."On pourrait définir la mauvaise nouvelle comme ce qu'un médecin n'a pas envie de dire à un patient qui n'a pas envie de l'entendre. D'où le questionnement éthique fondamental: "Le devoir de loyauté m'encourage en tant que médecin à dire ce que par pitié, j'aurais comme médecin tendance à taire."Lorsqu'on annonce à une personne qu'elle a un cancer du sein, il y a un "avant" et un "après". Sa vie bascule. Pour pouvoir en sortir, elle devra passer du pourquoi culpabilisant au "pour quoi" (choix de vie).L'annonce de la mauvaise nouvelle, si elle est brutale et imprévisible, entrainera un état de choc avec sidération dans 80% des cas. "C'est comme si le cerveau se mettait en mode veille pour ne plus souffrir. La personne n'entend plus pour ne pas être en contact avec ses émotions. C'est le trou noir, le tsunami si bien décrit par le papa de Pierre à qui le médecin annonce que son enfant est porteur d'un syndrome de Down non diagnostiqué pendant la grossesse. 'Je me suis retrouvé sur un ring de boxe. Le médecin avait des gants ; il cognait fort ; J'étais en sueur et en sang, KO debout.'"Cette mauvaise nouvelle s'accompagne d'une tempête émotionnelle : tristesse, colère, peur, sentiment de culpabilité qui va souvent entraîner un état dépressif lié aux pertes multiples vécues par le patient ou ses proches, essentiellement une perte d'identité.La souffrance risque de l'isoler, le couper du monde. "Il en sortira le jour où le handicap ou la maladie grave ne prendra plus toute la place, où sa douleur sera pacifiée, et pour cela il a besoin du soutien de ses proches et de l'entourage médical." Mais certains entreront en résilience, ils vont pouvoir rebondir, s'adapter à cette situation nouvelle en découvrant de nouveaux potentiels, comme ces personnes qui s'adonnent au handisport: "C'est la résilience, chère à Boris Cyrulnik, qu'il définit comme 'l'art de naviguer dans les torrents'."Face à l'annonce d'une mauvaise nouvelle, le patient va élaborer des mécanismes de protection souvent transitoires, qui sont comme de amortisseurs indispensables pour se ménager un temps de latence nécessaire pour affronter le réel. "Les deux principaux sont l'agressivité, souvent dirigée contre les soignants considérés comme oiseaux de mauvaise augure et le déni. Le déni est tout sauf un déni: le choc de la mauvaise nouvelle est tel que le patient, qui ne l'a que trop bien intégrée, est incapable d'y faire face. Il faut respecter ce déni, prendre patience, au risque de voir la personne angoissée basculer vers des mécanismes de défense plus régressifs."Lorsque l'annonce n'est pas claire, le risque est grand de voir la personne se réfugier sur Internet. "Elle pourra y trouver une certaine solidarité avec les patients souffrant des mêmes maux mais aussi des informations différentes que celles reçues du médecin, avec la menace d'une rupture de confiance." Finalement, les besoins du patient sont des besoins d'ordre relationnel: besoin d'une information claire, adaptée à ses besoins, à la vérité qu'il est capable d'entendre. Besoin d'une écoute attentive. "Si je ne choisis pas d'écouter, j'entends. Ecouter cela me coûte, c'est lâcher prise, faire le cadeau de ma présence à l'autre. Accorder du crédit à sa souffrance, lui permettre d'exister. Besoin d'être reconnu, en tant qu'homme et pas limité, stigmatisé par sa maladie ou son handicap. C'est le fameux empowerment, où le patient sera concerné dans le choix des actes diagnostiques et thérapeutiques." Enfin, le patient a besoin d'être accompagné dans une attitude d'empathie et de compassion."Annoncer une mauvaise nouvelle est difficile pour un médecin car il est davantage formé comme docteur (celui qui sait et soigne) que comme médecin (medicare : prendre soin), celui qui accompagne la souffrance. Comme le dit le psychiatre Christophe André.: 'Si l'on soigne sans accompagner on n'a fait que la moitié du chemin'."C'est d'abord à lui-même que le médecin aura à annoncer la mauvaise nouvelle. "Il devra donc être attentif à ce que ses peurs (peur de ne pas être à la hauteur, de faire mal), ses représentations (banalisation d'une alopécie transitoire, par exemple), que ses convictions, différentes de celles du patient, n'interfèrent pas dans l'annonce. "Dans l'annonce, il y a le poids des mots. Ses phrases assassines, du genre : le temps finira par arranger les choses, ou : il n'y a plus rien à faire. "Il faut veiller à avoir un langage clair, éviter le jargon, décoder ce que le patient vit derrière ses questions. Attention à l'importance du non- verbal: de l'attitude, du regard qui doivent exprimer de la bienveillance. Retirer ses lunettes est signe de mauvaise nouvelle. Apprenons à regarder nos patients. 'Les yeux c'est la porte du coeur' (Bobin)."Enfin, une place importante sera réservée à la gestion émotionnelle de la détresse du patient. "C'est à ce prix qu'il se sentira moins seul et qu'il nous ressentira à ses côtés, non comme des maîtres de la vie, mais ses veilleurs."