Une étude des Mutualités libres révèle une consommation élevée de médicaments chez les adolescents belges, mais note quand même une légère baisse ces dix dernières années. Les antibiotiques, les anti-inflammatoires et les psychotropes sont les plus utilisés, malgré une baisse significative des premiers. Des recommandations appellent à informer, prévenir, et privilégier des approches non médicamenteuses, tout en ciblant une sensibilisation auprès des médecins. Explications avec Güngör Karakaya, expert scientifique aux Mutualités libres et Claire Huyghebaert, experte médicaments aux Mutualités libres et pharmacienne.
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Une analyse originale des habitudes médicamenteuses chez les adolescentsGüngör Karakaya : " L'étude que nous avons menée s'est penchée sur l'utilisation des médicaments chez les adolescents belges âgés de 12 à 18 ans sur une période de dix ans, de 2013 à 2022 (203.797 personnes au total). Contrairement à d'autres travaux existants, notre analyse s'est focalisée exclusivement sur les médicaments délivrés par les pharmacies publiques et remboursés par l'assurance maladie (sous prescription donc). Ainsi, les médicaments non remboursés et les contraceptifs ont été exclus, faute de données administratives disponibles à la mutualité. "Le panel étudié est représentatif, couvrant environ 22 % des jeunes belges (les affiliés aux Mutualités libres). L'objectif : identifier les médicaments les plus couramment utilisés par cette tranche d'âge et évaluer l'évolution de leur consommation. Car, si la Belgique est un pays où la consommation de médicaments est globalement élevée, les adolescents ne semblent pas échapper à cette tendance.La Belgique, 2e plus consommatrice dans l'UELa Belgique est reconnue comme l'un des pays européens ayant la proportion d'utilisateurs de médicaments la plus élevée, dépassant largement la moyenne du continent. Les jeunes âgés de 15 à 19 ans ne font pas exception. " Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la proportion d'utilisateurs de médicaments chez les adolescents belges est 25 % supérieure à la moyenne européenne. Seule la Croatie nous dépasse. Notre étude précédente, réalisée il y a quelques années, avait déjà révélé une tendance à la baisse dans l'utilisation des médicaments chez les 12-18 ans. Toutefois, les niveaux restent inquiétants. Les médicaments, quels qu'ils soient, ne sont pas anodins. Ils comportent des effets secondaires potentiellement graves et doivent donc être utilisés de manière appropriée. "Pour G. Karakaya, un bilan de santé publique s'impose pour comprendre cette consommation et agir en conséquence.Une baisse encourageante, mais des niveaux encore alarmants" Sur les dix dernières années, notre étude montre une diminution globale de la consommation de médicaments chez les adolescents, passant à environ 50 % d'utilisateurs en 2022, soit une baisse de 10,2 % par rapport à 2013. Cette baisse est observée dans toutes les catégories : hommes, femmes, et régions. Cependant, la Wallonie continue de présenter des taux d'utilisation plus élevés que la Flandre et Bruxelles, avec respectivement 52,6 %, 48,8 %, et 44,4 % d'adolescents consommateurs de médicaments. "On observe que les jeunes femmes/adolescentes consomment généralement plus de médicaments que les jeunes hommes, bien que l'écart semble se réduire progressivement. Cette surconsommation est-elle un indicateur de problèmes de santé spécifiques ou simplement le reflet d'une médicalisation excessive ? " La question reste ouverte, et notre étude souligne la nécessité d'investigations plus poussées pour y répondre. "Les médicaments les plus utilisés : un trio attendu ?" Les résultats de notre étude confirment que les antibiotiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les psychotropes sont les médicaments les plus consommés par les adolescents belges. Mais en ce qui concerne les antibiotiques, leur usage a diminué de manière significative, passant de 30 % en 2013 à 23,3 % en 2022, soit une baisse d'environ 25 %. Cette diminution est un signe encourageant, mais reste à nuancer par l'importance toujours élevée de leur consommation. "Les AINS connaissent également une baisse notable, bien que leur usage soit difficile à quantifier précisément, car certains d'entre eux sont en vente libre et donc non pris en compte dans les données de l'organisme assureur apolitique. Enfin, les psychotropes, bien que moins utilisés, connaissent une augmentation préoccupante de 1 à 1,6%. " L'utilisation des antidépresseurs, en particulier, a augmenté de 60 % depuis 2017, avec une prévalence beaucoup plus marquée chez les jeunes femmes. Ce constat souligne la nécessité de réfléchir à des mesures adaptées pour encadrer la prescription et l'usage de ces médicaments chez les jeunes. "RecommandationsClaire Huyghebaert : " Face à ces constats, notre étude propose une série de recommandations pour encourager une utilisation plus appropriée des médicaments chez les adolescents. D'abord, il est essentiel que les prestataires de soins et les pharmaciens jouent un rôle actif dans l'information des jeunes et de leurs parents, en expliquant les bénéfices et les risques liés à chaque médicament. La prévention de l'usage inapproprié des antibiotiques doit rester une priorité. Pour cela, il convient de poursuivre et d'amplifier les campagnes de sensibilisation contre l'antibiorésistance, et d'encourager les médecins à éviter les prescriptions non justifiées. "De plus, il est crucial pour le troisième organisme assureur du pays de favoriser les approches non médicamenteuses, notamment dans le domaine de la santé mentale. " La psychoéducation et les soins psychologiques devraient être davantage promus et rendus accessibles. Les pharmaciens doivent aussi renforcer leur rôle de conseillers lors de la délivrance des médicaments en vente libre, notamment pour prévenir l'automédication prolongée. Enfin, la prévention doit être érigée en priorité, en sensibilisant les adolescents à l'importance d'un mode de vie sain et équilibré. Ces recommandations sont indispensables pour réduire la consommation de médicaments et limiter les risques associés. "Message aux médecins : informer, éduquer, et prévenirEn tant que principaux prescripteurs, les médecins ont une responsabilité majeure dans l'information et la sensibilisation des adolescents et de leurs parents à l'usage des médicaments, estiment les ML. " Ils doivent être conscients de leur rôle dans la lutte contre l'antibiorésistance en évitant les prescriptions inutiles. Enfin, il leur appartient de promouvoir activement la prévention et de consacrer du temps à l'éducation des patients. La consultation ne doit pas nécessairement déboucher sur une prescription. Il s'agit d'un enjeu de santé publique crucial pour lequel chaque praticien doit s'impliquer pleinement. Les jeunes d'aujourd'hui seront les adultes de demain ; il est de notre devoir de leur offrir les meilleures chances pour une vie en bonne santé. "