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Que l'épargne ne rapporte plus grand-chose est une triste évidence. Mais quand un professionnel des placements propose l'investissement comme alternative salutaire, la plupart des " petits épargnants ", comme on dit, s'interrogent, car les deux termes sont à leurs yeux équivalents. Erreur ! S'il n'existe pas de définition officiellement péremptoire, on peut schématiser en établissant que l'épargne désigne un placement très sûr, généralement même garanti, de sorte qu'il ne présente aucun risque de perte, ni à court ni à long termes. Un investissement ne bénéficie en principe pas d'une telle garantie, il présente donc un certain risque, mais il offre normalement un profit proportionnel à ce risque.Naguère appelé carnet d'épargne, le carnet de dépôt est l'archétype de l'épargne, aussi appelée épargne de précaution : une somme mise en réserve en cas de coup dur. Il n'est pas seul : c'est vrai aussi pour l'assurance-vie de branche 21, au capital garanti. Et dont le rendement est également devenu famélique : aujourd'hui, de nombreux contrats affichent même un " taux garanti " de... 0 %. On pourrait encore assimiler les emprunts d'État à de l'épargne, même si cela se discute.Les investissements, c'est en quelque sorte tout le reste, c'est-à-dire les véhicules de placement qui présentent un risque. Les actions et l'immobilier d'abord, mais également les oeuvres d'art, les métaux précieux, les voitures de collection, etc. L'épargne a normalement pour vertu de maintenir le pouvoir d'achat, en offrant un rendement qui compense l'inflation, voire un peu au-delà, tandis que l'investissement permet de s'enrichir davantage. La plupart des épargnants ne font pas vraiment la différence, se contentant de refuser tout risque. Maintenant que l'épargne appauvrit carrément son détenteur, le moment est venu d'y réfléchir. Car les placements sans risque, du moins en euro, continueront d'afficher des rendements indigents pendant de longues années encore, indiquent deux études réalisées par des gestionnaires d'actifs.Robeco a tout récemment publié des prévisions à cinq ans. Cette maison basée à Rotterdam est connue de longue date en Belgique : son action, cotée à Bruxelles dès 1960, ainsi que ses fonds Rorento et Rolinco, également cotés, furent durant plusieurs décennies parmi les principaux fonds négociés en Belgique. On se souvient avec moins de bonheur que Robeco Bank Belgium fut, en octobre 2007, vendue au groupe islandais Kaupthing, rapidement failli. Un lobbying très actif permit toutefois aux épargnants belges de retrouver leurs billes, intérêts compris ! Ces déboires furent sans impact sur Robeco, alors filiale de la banque néerlandaise Rabobank et passé en 2013 dans le giron du groupe japonais ORIX. Après cette parenthèse historique, venons-en à l'étude. Son message est le suivant : " Une récession dans les cinq prochaines années est inévitable et, pour de nombreux actifs, cela se traduira par des rendements inférieurs aux moyennes historiques. " Cette récession ne sera cependant pas aussi grave que celle entraînée par la crise financière mondiale de 2007-2008, précise Robeco.Le gestionnaire souffle donc le chaud et le froid... ou plutôt le froid et le tiède. Mais qu'en est-il des returns que l'investisseur peut attendre durant les années 2020 à 2024 ? Pour rappel, le return est ce qu'un placement rapporte au total, c'est-à-dire addition faite, d'une part, du rendement procuré par les coupons, dividendes ou encore loyers et, d'autre part, de la hausse ou baisse de valeur de ce placement. Pour les obligations en euro, la cause est entendue : sans intérêt ! Et sans jeu de mots. Les obligations émises par les États bénéficiant du rating AAA, soit de la meilleure notation, " rapporteront " en moyenne -1,75 % par an. Il s'agit concrètement des obligations émises par des pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas, qu'aucun particulier ne songerait évidemment à acheter aujourd'hui, avec leur rendement négatif. Les obligations d'entreprises, peutêtre ? Elles sont, comme alternative, devenues fort populaires ces dernières années, avec pour résultat que celles de bonne qualité (qualifiées d'investment grade) ne rapportent plus grand-chose : Robeco s'attend à un return annuel d'un fort maigre 0,25 %. Quant aux obligations dites à haut rendement, ce fameux high yield, il ne vaudra guère le détour, avec une moyenne pour le moins chiche de 0,75 %. Tout cela à comparer à une inflation de 1,6 % par an.Il en va tout autrement en dollar, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, avec +2,50 % de return annuel attendu pour les obligations d'État AAA, 2,75 % pour les autres émetteurs investment grade, ou encore 3,75 % pour le high yield. Le constat est sans appel ! D'autant que Robeco a fait le calcul pour un investissement " couvert ", c'est-à-dire assorti d'une protection contre une baisse du dollar face à l'euro. Il faut cependant savoir que la plupart des fonds exprimés en euro mais investis au moins partiellement en dollar ne bénéficient pas de cette assurance, dont le coût rognerait trop le rendement. Leurs gestionnaires rassurent cependant : le dollar peut connaître de très fortes fluctuations face à l'euro, c'est vrai, mais on n'imagine en aucun cas une chute durable, à l'instar de celles affichées par le rouble ou la livre turque !Si l'on tire un trait sur les obligations, que reste-t-il aux investisseurs qui veulent investir en euro ? Les actions, bien entendu ! C'est le grand retour de TINA, célèbre acronyme de There Is No Alternative. Sous entendu : pas d'alternative aux actions. Les returns attendus en euro sont cette fois, sinon princiers, du moins largement positifs : 3,25 % par an pour les actions des marchés développés, tout comme pour l'immobilier coté. On se situe dans les deux cas à 4,50 % en dollar.Les actions des marchés émergents présentent des perspectives supérieures : 3,75 % en euro et 5 % en dollar. Cet attrait supérieur vaut aussi pour les obligations émergentes : 2,75 % en euro et 4 % en dollar. Mais la devise n'est cette fois pas couverte. Il existe donc un risque monétaire non négligeable.Attention quand même : les stratégistes de Robeco prévoyant une récession vers 2022, les actions pourraient - ou devraient même- terminer la période sur une note plus faible. En d'autres termes, les returns attendus seraient plus élevés que la moyenne annoncée ici durant les premières années et plus faibles ensuite.Le gestionnaire britannique Schroders s'est, lui, fendu de prévisions à dix ans. Cet horizon lui permet d'être moins pessimiste que Robeco quant à la rémunération d'un placement obligataire en euro. Elle ne serait toutefois que symboliquement positive, à 0,2 % par an en moyenne, pour les obligations d'État, les émissions d'entreprises de qualité arrivant à 1,1 %. Rendements plus élevés en dollar, avec respectivement 1,9 et 2,9 %, et a fortiori pour les obligations de pays émergents exprimées en devises locales, avec 5,7 %. Pour la vénérable maison britannique aussi, ce sont les actions qui arrivent en tête des returns attendus : 4,1 % en euro, 6 % en dollar et pas moins de 9 % en devises des pays émergents.Toutes ces prévisions ne sauraient évidemment être prises pour argent comptant. Elles relèvent de projections faites sur base des éléments connus aujourd'hui et susceptibles de s'avérer caduques en cas de modifications inattendues de l'environnement économique et financier. Le principe de base demeure toutefois pertinent : il est vraiment temps de faire la différence entre épargne et investissement !