Le danger est celui de la perte de sens. Cela s'observe très bien sur le terrain actuellement, tant chez les patients que dans le corpus soignant. En effet, les patients se décrivent autant en quête de bienveillance, d'écoute et de présence que de savoir-faire technologique et scientifique. Quant aux soignants, on ne compte plus les articles ou les documentaires évoquant leur détresse.

Une étude récente du CIMACS menée auprès de 1.159 candidats spécialistes montre que 63% de ces jeunes médecins considèrent avoir déjà été un danger pour le patient et 45.25% considèrent avoir déjà été en souffrance physique ou psychique à cause de leur assistanat. Ils sont 56% à incriminer leur rythme de travail comme impact négatif en terme d'efficacité professionnelle, 74% en matière de vie familiale et 80% en ce qui concerne la vie sociale. En outre, 70% pensent que leur capacité empathique est altérée. Par ailleurs, le burn - out (80% de signes chez les travailleurs en cancérologie, par exemple) semble le nouveau fléau pour des soignants se sentant impuissants face d'une part à la pression de rentabilité et d'autre part à la charge de travail. Cet état d'effondrement les amène à l'antipode de leur vocation initiale : celle du prendre soin.

Mal-être

Ce grand mal-être est palpable au quotidien dans les institutions médicales : abandons professionnels, incapacités de travail, soignants déshabités, se plaignant sans cesse ou cyniques car vidés de la substance originelle de leur idéal altruiste. Un exemple éloquent : la consommation de produits addictifs triple entre le début et la fin de la spécialisation. Perdre des soignants en pleine capacité d'exercer leur métier, après avoir investi dans leur formation, a-t-il un quelconque sens pour une société qui se doit d'épargner les ressources et de créer des solutions durables ? Comment et par qui souhaitons-nous être soigné dans l'avenir ? De quel projet de société sommes-nous porteurs ?

Depuis la nuit des temps et dans toutes les cultures, les soignants ont occupé une place essentielle et respectée. Quelles sont donc les causes de ce profond mal-être ? On pourrait en citer plusieurs. Cependant, la place du financier et l'usage du pouvoir semblent au coeur de la problématique.

En effet, notre médecine occidentale s'inscrit dans un système de consommation. Une course folle dans un délire consumériste. " Trop est tout juste assez pour moi " disait Jean Cocteau. On consomme du soin, du médicament, des examens techniques, de plus en plus coûteux pour des bénéfices humains parfois incertains. On oublie qu'innovation n'est pas synonyme de progrès. Pour alimenter l'ogre, il convient de générer de l'argent et de contrôler les prescripteurs. De ce fait, les directions hospitalières sont aux mains de gestionnaires et les contraintes administratives abrutissent les soignants. Non seulement les soignants sont écartés des décisions qui les concernent mais en plus, aucun projet novateur n'est plus validé s'il ne représente d'abord un intérêt financier.

EBM

La médecine est devenue EBM (Evidence based medicine). C'est louable mais c'est oublier que l'EBM à l'origine se voulait une aide à la décision en alliant les données scientifiques au patient dans sa singularité. De plus, la qualité des preuves apportées paraît parfois bien mince. En bref, l'humanité est devenue très accessoire. Pourtant, paradoxalement, l'hôpital reste le dernier lieu d'accueil inconditionnel de la société.

En fait, cette crise est bien plus spirituelle, osons le mot, que financière. En effet, la finance devrait être au service de l'acte sacré du soin. Or, c'est tout l'inverse qui se produit. " L'argent est un excellent serviteur mais un très mauvais maître " disait ma grand-mère. Cette course folle s'apparente à un processus de cancérisation. Les soignants alimentent le système en se laissant asservir. Vidés par le besoin ambiant de performance et de rentabilité, à l'antipode de leur vocation initiale profondément éthique et humaniste, ils abandonnent, cassés comme des pantins désarticulés ou bien ils se fondent dans le moule proposé et deviennent ternes, délavés, cyniques et tristes. Le confort financier anesthésiant toute velléité de liberté ou de créativité. Cette dernière étant d'ailleurs le remède à ce sentiment d'impuissance généralisé.

Abus de pouvoir

Un autre point crucial à prendre en considération est le rapport au pouvoir dans le soin. C'est un aspect présent à la fois dans la relation thérapeutique avec le patient mais aussi entre soignants. Dès les études, en effet, le ton est donné : il règne une atmosphère de compétition, de dépassement des limites. D'ailleurs, ce sont les seules études où réussir n'est pas suffisant. En outre, la sélection s'effectue sur le seul critère des sciences pures et dures en ignorant complètement l'intelligence émotionnelle, le savoir-être. Ensuite, il faudra apprendre à évoluer au sein d'une structure historiquement très hiérarchisée. Ainsi, très tôt, le jeune soignant apprend à marcher sur ses besoins et ses limites, jusqu'à ne plus pouvoir les identifier. A cela s'ajoute le sentiment de n'être jamais assez bon ou assez performant. Cela a pour conséquence que très peu de soignants se sentent détendus et légitimes dans l'exercice de leur profession.

La finance devrait être au service de l'acte sacré du soin.

Durant la spécialisation, le système se durcit encore : dépassement d'horaires, gardes répétées, vexations, examens, abus de pouvoir de certains présumés " supérieurs " hiérarchiques. Depuis quelques années, plusieurs études démontrent la souffrance des candidats spécialistes et la législation change progressivement. C'est honorable et nécessaire. Cependant, cela ne prend absolument pas en considération que la violence faite aux jeunes soignants n'est que le reflet de celle qui règne pour les médecins déjà en place. Bien souvent, ces derniers sont bien moins protégés que les jeunes en formation, ce qui ajoute de l'incompréhension mutuelle à la situation.

Un autre aspect du pouvoir est celui qui s'exerce dans la relation thérapeutique. Tout soignant doit un jour regarder le " sauveur " qui est en lui. Ce besoin de sauver l'autre s'enracine dans une peur de la mort et de la maladie qui génère un besoin de comprendre, de contrôler les mécanismes de ce qui est indomptable : le flux de la Vie. Pourrait-on se prendre à rêver à un apprentissage basé sur la Présence à Soi et à l'autre comme réponse créative à apporter ?

Côté sacré de l'Art de guérir

L'opportunité, face à ce constat, est celle de pouvoir se réinventer, de redevenir acteurs et créateurs de Vie et de sens pour les patients. Cela commence par honorer le Vivant qui pulse en nous. Cela implique que le thérapeute se redresse et occupe une posture juste. Comment le soignant pourrait-il amener de la guérison chez le malade alors qu'il est lui-même souffrant dans un système qui ne s'occupe pas de santé mais bien de maladie ?

L'urgence est de revenir au côté Sacré de l'art de guérir, à l'essence du prendre soin ; autrement dit, à l'Amour. L'essence du soin est la prise de conscience que nous avons accès à l'Amour en tout lieu et à chaque instant. Pour s'en convaincre, il suffit d'avoir senti un jour l'intimité et l'extrême force d'Amour qui règne dans une chambre de mourant. Lorsqu'on a senti cette force majeure, notre regard est transformé, notre responsabilité est accrue car c'est alors que l'homme moderne, coupé de son essence, dans sa course folle, nous parait profondément malade. " Où cours-tu ", nous disait Christiane Singer ; que fais-tu de ta Vie ? La profonde tristesse des soignants d'aujourd'hui ne vient-elle pas de cette trahison profonde de l'Essence même de la Vie, qui contacte la Joie ?

Le soignant est précieux

Cela peut paraître désuet à l'heure où l'intelligence artificielle supplantera bientôt l'être humain dans la pose de diagnostic et le choix du traitement. Cependant, à ce stade, l'intelligence artificielle ne peut rivaliser avec l'être humain lorsqu'il est intuitif (du latin intuitionem : regarder dans et voir), c'est-à-dire au carrefour de la raison et la perception. Oui, intelligence artificielle et ouverture de coeur vont devoir apprendre à coexister car de tout temps dans l'histoire de l'Humanité, la qualité de présence du soignant a été guérisseuse. Cela épargne des prescriptions médicamenteuses et des actes techniques coûteux.

L'intelligence artificielle ne peut rivaliser avec l'être humain lorsqu'il est intuitif.

Une autre urgence est celle d'avoir un projet de civilisation, une vision pour demain. La fuite en avant de notre société reflète la nôtre face à nous-mêmes. Il est important dans ce contexte de mettre l'accent sur l'initiation à l'Art de guérir.

J'invite donc les soignants à défendre la préciosité de leur vocation, à entamer un mouvement de redressement. Il s'agit d'une conversion, dans le sens premier du terme : un retournement. Il ne s'agit plus de ployer sous le poids du système, de le fuir ou de le blâmer. Il s'agit de laisser briller sa lumière, de porter ses valeurs, de ne plus autoriser le manque de respect profond de cette société pour la Vie. Il s'agit d'assumer sa responsabilité : c'est-à-dire son habilité à apporter une réponse. A coeur vaillant, rien d'impossible.

Le danger est celui de la perte de sens. Cela s'observe très bien sur le terrain actuellement, tant chez les patients que dans le corpus soignant. En effet, les patients se décrivent autant en quête de bienveillance, d'écoute et de présence que de savoir-faire technologique et scientifique. Quant aux soignants, on ne compte plus les articles ou les documentaires évoquant leur détresse. Une étude récente du CIMACS menée auprès de 1.159 candidats spécialistes montre que 63% de ces jeunes médecins considèrent avoir déjà été un danger pour le patient et 45.25% considèrent avoir déjà été en souffrance physique ou psychique à cause de leur assistanat. Ils sont 56% à incriminer leur rythme de travail comme impact négatif en terme d'efficacité professionnelle, 74% en matière de vie familiale et 80% en ce qui concerne la vie sociale. En outre, 70% pensent que leur capacité empathique est altérée. Par ailleurs, le burn - out (80% de signes chez les travailleurs en cancérologie, par exemple) semble le nouveau fléau pour des soignants se sentant impuissants face d'une part à la pression de rentabilité et d'autre part à la charge de travail. Cet état d'effondrement les amène à l'antipode de leur vocation initiale : celle du prendre soin. Ce grand mal-être est palpable au quotidien dans les institutions médicales : abandons professionnels, incapacités de travail, soignants déshabités, se plaignant sans cesse ou cyniques car vidés de la substance originelle de leur idéal altruiste. Un exemple éloquent : la consommation de produits addictifs triple entre le début et la fin de la spécialisation. Perdre des soignants en pleine capacité d'exercer leur métier, après avoir investi dans leur formation, a-t-il un quelconque sens pour une société qui se doit d'épargner les ressources et de créer des solutions durables ? Comment et par qui souhaitons-nous être soigné dans l'avenir ? De quel projet de société sommes-nous porteurs ? Depuis la nuit des temps et dans toutes les cultures, les soignants ont occupé une place essentielle et respectée. Quelles sont donc les causes de ce profond mal-être ? On pourrait en citer plusieurs. Cependant, la place du financier et l'usage du pouvoir semblent au coeur de la problématique. En effet, notre médecine occidentale s'inscrit dans un système de consommation. Une course folle dans un délire consumériste. " Trop est tout juste assez pour moi " disait Jean Cocteau. On consomme du soin, du médicament, des examens techniques, de plus en plus coûteux pour des bénéfices humains parfois incertains. On oublie qu'innovation n'est pas synonyme de progrès. Pour alimenter l'ogre, il convient de générer de l'argent et de contrôler les prescripteurs. De ce fait, les directions hospitalières sont aux mains de gestionnaires et les contraintes administratives abrutissent les soignants. Non seulement les soignants sont écartés des décisions qui les concernent mais en plus, aucun projet novateur n'est plus validé s'il ne représente d'abord un intérêt financier. La médecine est devenue EBM (Evidence based medicine). C'est louable mais c'est oublier que l'EBM à l'origine se voulait une aide à la décision en alliant les données scientifiques au patient dans sa singularité. De plus, la qualité des preuves apportées paraît parfois bien mince. En bref, l'humanité est devenue très accessoire. Pourtant, paradoxalement, l'hôpital reste le dernier lieu d'accueil inconditionnel de la société. En fait, cette crise est bien plus spirituelle, osons le mot, que financière. En effet, la finance devrait être au service de l'acte sacré du soin. Or, c'est tout l'inverse qui se produit. " L'argent est un excellent serviteur mais un très mauvais maître " disait ma grand-mère. Cette course folle s'apparente à un processus de cancérisation. Les soignants alimentent le système en se laissant asservir. Vidés par le besoin ambiant de performance et de rentabilité, à l'antipode de leur vocation initiale profondément éthique et humaniste, ils abandonnent, cassés comme des pantins désarticulés ou bien ils se fondent dans le moule proposé et deviennent ternes, délavés, cyniques et tristes. Le confort financier anesthésiant toute velléité de liberté ou de créativité. Cette dernière étant d'ailleurs le remède à ce sentiment d'impuissance généralisé.Un autre point crucial à prendre en considération est le rapport au pouvoir dans le soin. C'est un aspect présent à la fois dans la relation thérapeutique avec le patient mais aussi entre soignants. Dès les études, en effet, le ton est donné : il règne une atmosphère de compétition, de dépassement des limites. D'ailleurs, ce sont les seules études où réussir n'est pas suffisant. En outre, la sélection s'effectue sur le seul critère des sciences pures et dures en ignorant complètement l'intelligence émotionnelle, le savoir-être. Ensuite, il faudra apprendre à évoluer au sein d'une structure historiquement très hiérarchisée. Ainsi, très tôt, le jeune soignant apprend à marcher sur ses besoins et ses limites, jusqu'à ne plus pouvoir les identifier. A cela s'ajoute le sentiment de n'être jamais assez bon ou assez performant. Cela a pour conséquence que très peu de soignants se sentent détendus et légitimes dans l'exercice de leur profession. Durant la spécialisation, le système se durcit encore : dépassement d'horaires, gardes répétées, vexations, examens, abus de pouvoir de certains présumés " supérieurs " hiérarchiques. Depuis quelques années, plusieurs études démontrent la souffrance des candidats spécialistes et la législation change progressivement. C'est honorable et nécessaire. Cependant, cela ne prend absolument pas en considération que la violence faite aux jeunes soignants n'est que le reflet de celle qui règne pour les médecins déjà en place. Bien souvent, ces derniers sont bien moins protégés que les jeunes en formation, ce qui ajoute de l'incompréhension mutuelle à la situation. Un autre aspect du pouvoir est celui qui s'exerce dans la relation thérapeutique. Tout soignant doit un jour regarder le " sauveur " qui est en lui. Ce besoin de sauver l'autre s'enracine dans une peur de la mort et de la maladie qui génère un besoin de comprendre, de contrôler les mécanismes de ce qui est indomptable : le flux de la Vie. Pourrait-on se prendre à rêver à un apprentissage basé sur la Présence à Soi et à l'autre comme réponse créative à apporter ? L'opportunité, face à ce constat, est celle de pouvoir se réinventer, de redevenir acteurs et créateurs de Vie et de sens pour les patients. Cela commence par honorer le Vivant qui pulse en nous. Cela implique que le thérapeute se redresse et occupe une posture juste. Comment le soignant pourrait-il amener de la guérison chez le malade alors qu'il est lui-même souffrant dans un système qui ne s'occupe pas de santé mais bien de maladie ?L'urgence est de revenir au côté Sacré de l'art de guérir, à l'essence du prendre soin ; autrement dit, à l'Amour. L'essence du soin est la prise de conscience que nous avons accès à l'Amour en tout lieu et à chaque instant. Pour s'en convaincre, il suffit d'avoir senti un jour l'intimité et l'extrême force d'Amour qui règne dans une chambre de mourant. Lorsqu'on a senti cette force majeure, notre regard est transformé, notre responsabilité est accrue car c'est alors que l'homme moderne, coupé de son essence, dans sa course folle, nous parait profondément malade. " Où cours-tu ", nous disait Christiane Singer ; que fais-tu de ta Vie ? La profonde tristesse des soignants d'aujourd'hui ne vient-elle pas de cette trahison profonde de l'Essence même de la Vie, qui contacte la Joie ? Cela peut paraître désuet à l'heure où l'intelligence artificielle supplantera bientôt l'être humain dans la pose de diagnostic et le choix du traitement. Cependant, à ce stade, l'intelligence artificielle ne peut rivaliser avec l'être humain lorsqu'il est intuitif (du latin intuitionem : regarder dans et voir), c'est-à-dire au carrefour de la raison et la perception. Oui, intelligence artificielle et ouverture de coeur vont devoir apprendre à coexister car de tout temps dans l'histoire de l'Humanité, la qualité de présence du soignant a été guérisseuse. Cela épargne des prescriptions médicamenteuses et des actes techniques coûteux. Une autre urgence est celle d'avoir un projet de civilisation, une vision pour demain. La fuite en avant de notre société reflète la nôtre face à nous-mêmes. Il est important dans ce contexte de mettre l'accent sur l'initiation à l'Art de guérir. J'invite donc les soignants à défendre la préciosité de leur vocation, à entamer un mouvement de redressement. Il s'agit d'une conversion, dans le sens premier du terme : un retournement. Il ne s'agit plus de ployer sous le poids du système, de le fuir ou de le blâmer. Il s'agit de laisser briller sa lumière, de porter ses valeurs, de ne plus autoriser le manque de respect profond de cette société pour la Vie. Il s'agit d'assumer sa responsabilité : c'est-à-dire son habilité à apporter une réponse. A coeur vaillant, rien d'impossible.