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C'est un patient pour le moins insolite qui s'est présenté au centre médical de la Tokyo Medical and Dental University pour une consultation d'ordre psychique. Atteint de dépression depuis plusieurs années, l'individu, un Japonais de 51 ans se plaignait d'un état de fatigue chronique et d'une perte d'appétit.Au cours de la consultation, le médecin palpe le ventre de son patient et constate que son abdomen est contracté et douloureux au niveau du flanc gauche, ce qui témoigne d'une irritation péritonéale. Les radiographies du thorax et de l'abdomen révèlent la présence de très nombreux corps étrangers opaques de forme circulaire et regroupés en une énorme masse.Le patient est rapidement transféré au bloc opératoire pour une opération en urgence. Les chirurgiens procèdent d'emblée à une laparotomie et c'est ainsi qu'ils découvrent un trou de cinq millimètres dans la paroi antérieure de l'estomac. Ce trou laisse entrevoir un gros tas de pièces de monnaie stockées dans l'estomac et un second amas coincé dans l'oesophage. La perforation est donc probablement due à l'érosion de la paroi gastrique du fait de la pression exercée par les pièces et/ou de la distension massive de l'estomac. Elle met en communication l'estomac avec la cavité du péritoine, ce qui provoque l'intense douleur abdominale rapportée.Une incision est pratiquée le long de la grande courbure de l'estomac, ce qui permet aux chirurgiens de retirer les pièces à la main. L'estomac est ensuite suturé. Un patch de péritoine est utilisé pour renforcer la paroi gastrique. Une endoscopie oesophagienne est enfin réalisée, ce qui permet de retirer les pièces bloquées dans l'oesophage.Au total, les médecins, qui étaient sans doute loin d'imaginer ce que cet individu transportait dans son ventre, ont extrait 1.894 pièces. Dans le détail : 140 pièces de 1 yen, 99 pièces de 5 yen, 1.642 pièces de 10 yen, 8 pièces de 50 yen et 5 pièces de 100 yen. Soit un pactole d'environ 135 euros.Le patient est donc vite tiré d'affaire et, surtout, il se trouve soulagé de 8,076 kg d'espèces sonnantes et trébuchantes. Un sacré poids en moins sur l'estomac.Peu après l'opération, l'homme passe ensuite une évaluation psychiatrique au terme de laquelle on lui diagnostique une schizophrénie. Deux semaines après l'opération, il est finalement interné dans un établissement spécialisé.Mais comment est-il possible qu'une personne puisse avoir autant de pièces dans le corps et surtout qu'elle l'ignore ?En réalité, il s'avère qu'elle souffre de la maladie de pica, un nom issu du latin " pica ", qui signifie " pie ", cet oiseau connu pour picorer tout ce qu'il trouve.Méconnu et rare, ce trouble du comportement alimentaire est caractérisé par l'ingestion compulsive et excessive d'objets ou de substances non comestibles, plus ou moins répugnantes ou potentiellement nuisibles pour la santé, comme de la terre, de l'argile, du sable, du bois, du charbon, des pierres, des métaux, du papier, du plastique, de la craie, du savon, de la cendre de cigarette, etc., Tout y passe, si bien que leur consommation peut entraîner des problèmes abdominaux, mais aussi une malnutrition, des dommages dentaires, voire des complications graves, comme une obstruction intestinale, une perforation avec péritonite, une obstruction des voies respiratoires ou une intoxication aux métaux lourds.Principalement observée chez des patients psychiatriques, des enfants, des jeunes adolescents, et des femmes enceintes, la maladie de pica est souvent associée à un autre trouble mental ou du comportement, comme l'autisme, mais aussi à une importante carence en minéraux. Elle est aussi parfois liée à des convictions religieuses, des traditions ou des croyances. Il n'existe aucun traitement médical, et le plus souvent la pathologie disparaît naturellement avec le temps. Si elle perdure, une psychothérapie est le plus souvent recommandée." Tous les médecins doivent être conscients de la possibilité d'ingestion d'un corps étranger lorsqu'ils voient des patients, en particulier ceux qui présentent des antécédents psychiatriques et des troubles gastro-intestinaux ", soulignent les auteurs de l'article scientifique sur le cas japonais.D'une manière générale, il est cependant très rare de voir des malades de pica ingérer des pièces de monnaie. Jusqu'alors, seuls six autres cas similaires avaient été documentés dans la littérature médicale depuis 1975. Il s'agissait pour la plupart de personnes âgées d'une cinquantaine d'années et souffrant de schizophrénie. Mais le patient japonais décroche le record du plus grand nombre de pièces avalées, le précédent étant de 600 pièces, en majorité des pennies, récupérées en 2008 dans le ventre d'une Américaine de 57 ans.Le nouveau cas de pica est également atypique dans la mesure où une intoxication au zinc n'a pas été observée malgré l'énorme quantité de pièces ingurgitées. Il est vrai que la majorité de ces pièces étaient des pièces de 10 yen qui ne contiennent que 3% de zinc. C'est d'ailleurs probablement ce qui a retardé le diagnostic.Pour l'anecdote, signalons encore que l'histoire ne dit pas si le patient japonais, véritable tirelire ambulante, a été autorisé à récupérer son pécule...Acute Medicine & Surgery, avril 2018, doi : 10.1002/ams2.318