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La médecine générale n'existait tout simplement pas au Vietnam avant le XXIe siècle. " Quand j'ai commencé mes études, le concept de médecine de famille était nouveau. Il n'y avait pas beaucoup de monde connaissant ce modèle ", confie Liem Than Vo, professeur de médecine de famille à l'Université Pham Ngoc Thach (UPTN) de Hô-Chi-Minh-Ville (HCMV) et ancien doctorant de l'ULiège.Pour mieux comprendre la médecine générale au Vietnam, il est donc intéressant de se pencher sur le système de santé du pays. On peut disséquer ce système pour le séparer en trois pans : une première ligne, une seconde ligne, et la pratique privée/publique." Le première ligne de soins au Vietnam se compose de postes de soins primaires (PSP), de polycliniques, de cabinets de médecins spécialistes pratiquant de manière privée en solo, de pharmacies, ou encore de cabinets et de services de médecine traditionnelle", détaille le professeur de l'UPTN.Les PSP font la part belle aux programmes verticaux, souvent préventifs, notamment soutenus par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) tels les programmes de lutte contre le virus du sida et la tuberculose. Le médecin, souvent assisté d'autres professions médicales, y fait peu de curatif, et s'il existe, il est de faible qualité. Ces soins sont gratuits pour la population générale." Les PSP ne représentent évidemment qu'une partie de l'offre de soins de la première ligne ", complète le Pr Liem Than Vo. " Il faut dire que ces postes n'obtiennent pas encore le soutien de la population, qui considère que les PSP sont pour les patients qui n'ont pas les moyens d'aller à l'hôpital. Les PSP sont moins bien équipés, disposent de moins d'expertise, moins de médicaments. C'est pour cette raison que les patients préfèrent se diriger vers l'hôpital, les polycliniques ou cabinets privés, ou encore directement aller en pharmacie pour aller chercher des médicaments, puisque la plus part du temps, ils sont en vente libre, sans ordonnance. "Et si les postes de soins primaires n'ont pas la confiance de la population, ils n'ont pas non plus celle de l'État. " Les PSP endossent principalement trois rôles : un curatif, un préventif, et un rôle de santé publique. Pourtant, aujourd'hui, les PSP ne sont considérés que pour ces deux derniers rôles. Cela se manifeste à travers différentes décisions gouvernementales qui ne donnent pas de responsabilités ni de ressources aux PSP pour s'occuper du curatif. "Au Vietnam, une médecine générale de première ligne structurée et efficace est donc encore, aujourd'hui, quasi absente.Ce constat conduit à l'encombrement des services hospitaliers, en particulier des services d'urgence. " Par exemple, dans une ville comme Ho Chi Minh, de plus de neuf millions d'habitants, l'absence de centres médicaux de première ligne conduit à des situations inextricables où l'on peut quotidiennement observer des files de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes attendant des soins pendant des heures dans les services d'urgence hospitaliers. "1Ainsi, même si les soins dispensés en hôpitaux sont jugés meilleurs qu'au sein de la première ligne, un premier problème apparaît : le déséquilibre de l'offre de soins curatifs en première ligne par rapport à la seconde. " Bien que le système de soins de santé soit très structuré, sa gestion pose problème", indique le Pr Liem Than Vo. "Le réseau de postes de soins primaires par exemple est très répandu avec plus de 11.800 postes couvrant 99,8% du territoire, mais il ne s'occupe que d'environ 15% de l'offre de soins médicaux en tout et reçoit beaucoup moins d'investissement par rapport aux hôpitaux qui sont surchargé par des patients qui n'ont généralement que des problèmes bénins. "Ce problème systémique est renforcé par le fait qu'au Vietnam, la plupart des médecins sont fonctionnaires. " Plus de 90% des professionnels de la santé sont fonctionnaires de l'État ", explique l'ancien doctorant de l'ULiège. " Ils perçoivent directement leur salaire de l'État. Mais comme ce salaire est maigre, la majorité a également une ou plusieurs activités privées, en médecine ou ailleurs, en dehors des heures officielles, c'est-à-dire le soir ou les week-ends. "Ce système privé, à l'acte, le plus souvent en solo et non couvert par les assurances-santé privées ou publiques pose évidemment la question de l'équité de l'accès aux soins.À ces problèmes s'ajoutent de nombreux défis, notamment en termes de formation. C'est d'autant plus vrai que la médecine de famille est un concept relativement récent. " La formation universitaire en médecine ne donne qu'une image erronée de la pratique: les stages se font à l'hôpital, les cours sont donnés par les spécialistes hospitaliers, les facultés médicales sont dans les villes où la technologie ne correspond pas à la réalité du terrain de toutes les régions du pays ", regrette le professeur de médecine de famille. Néanmoins, il y a un renforcement de la formation dans ce domaine, avec des formations initiales (instaurée en 2012) et des formations continues ouvertes à tous les praticiens. Les universités sont actives sur ce volet de formation.D'autres défis rejoignent les préoccupations belges, tel que l'informatisation de la profession, qui est décidément un défi international. On citera également la gestion des pathologies chroniques à domicile." Les défis sont nombreux, mais il faut être ambitieux ", conclut, optimiste, le Pr Liem Than Vo. " Mon principal défi est de lutter contre la bureaucratisation du système qui se retrouve à tous les niveaux de l'administration au Vietnam. Chaque nouveauté, chaque avantage, même s'il est avéré ailleurs, sera très difficilement adopté chez nous. C'est pour cette raison que je suis relativement esseulé au sein de mon université pour développer les matières de la médecine familiale. La reconnaissance, au même titre que les investissements, manquent à l'appel. "" Personnellement, je gagne ma vie par grâce à des activités complémentaires, même si la majorité de mon temps est consacré à la faculté. Si je peux encore être satisfait de mes conditions, ce n'est pas le cas de mes confrères qui sont peu nombreux à pouvoir jouir d'une telle situation. "Laurent ZanellaSources1. " Au Vietnam, l'ULg stimule la médecine familiale ", www.uliege.be, 11 octobre 2013, consulté le 11 juillet 2018.2. Santé conjuguée, n°83, juin 20183. Module La médecine générale, ici et ailleurs, 21 avril 2018. Cours préparatoire à la spécialisation en médecine générale dispensé par Jean-Luc Belche, département de médecine générale de l'Université de Liège.