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Ce réarrangement est connu sous le nom de chromosome Philadelphie (Phi). La conséquence moléculaire de cette translocation est la génération d'un oncogène de fusion BCR: ABL1, qui est traduit en une oncoprotéine BCR: ABL1. Celle-ci, qui agit comme une tyrosine kinase, devient le moteur de cette affection. Cette protéine de fusion est également présente dans 25% des leucémies lymphoïdes aiguës de type B (B-ALL) chez les adultes et jusqu'à 5% chez les enfants souffrant de B-LLA. Les inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI) se lient à cette oncoprotéine, constituant ainsi la base du traitement oral parfaitement ciblé, depuis de nombreuses années. La CML est à la fois le premier et un des meilleurs exemples d'affection maligne susceptible d'être traitée de manière ciblée par une thérapie moléculaire orale! ? Vaincre la résistance aux inhibiteurs de kinases: le paradigme de la CML1 Le premier TKI sélectif approuvé pour un usage clinique fut le mésylate d'imatinib, un inhibiteur d'ABL1, dès 2001! La liste des inhibiteurs de protéine kinase (PKI) des cellules cancéreuses ne cesse de s'allonger: 71 molécules sont déjà homologuées par la FDA. Le principal obstacle au succès, qu'il faut vaincre à chaque fois, est l'apparition d'une résistance aux médicaments. Les populations de cellules malignes sont clonalement très hétérogènes et elles suivent une évolution darwinienne sous thérapie ciblée, avec l'émergence de clones résistants qui peuvent rapidement devenir dominants. L'expérience avec la CML fournit un exemple paradigmatique de la manière dont cette résistance aux PKI se développe, mais peut néanmoins être contournée. La résistance au traitement ciblé peut être primaire (réponse insuffisante) ou acquise (perte de réponse). La résistance aux TKI est due soit à des mécanismes dépendants de BCR: ABL1 ("on target"), soit à d'autres mécanismes, indépendants. Les premiers mécanismes résultent de modifications directes de la cible thérapeutique, avec des changements qualitatifs ou quantitatifs: mutations ponctuelles du domaine kinase (KD) ou surexpression de BCR: ABL1. Le remplacement de la thréonine par de l'isoleucine en position 315 (T315I), découvert en premier lieu, est longtemps resté le plus problématique. Les mutations au niveau d'un résidu de porte d'entrée sont le leitmotiv de la résistance aux thérapies anticancéreuses ciblées. Les changements conformationnels diminuent l'affinité de liaison des PKI, à des degrés différents selon le type de mutation et la molécule concernée. Certaines mutations perturbent plutôt (ou parfois aussi) la cinétique de dissociation que l'affinité de liaison. Chez les patients souffrant de CML soumis à un traitement lourd et prolongé, les mutations KD apparaissent dans 70% des cas résistants, mais moins de 30% en 1re ligne. La surexpression avec une amplification d'oncogènes est souvent mise en évidence dans la pathogenèse du cancer, entraînant une résistance aux traitements. À nouveau, la CML est un modèle bien étudié. La surexpression de BCR: ABL1 comble l'inhibition de l'imatinib et/ou favorise la progression vers une crise blastique en raison d'une plus grande instabilité génétique et d'une diminution de la dépendance de la maladie à cet oncogène. Il en résulte un degré plus faible (exploitable sur le plan thérapeutique) "d'addiction oncogénique"! On a observé que le ratio de ces mutations KD ou des amplifications géniques chez les patients souffrant d'une CML résistante est d'environ 1 sur 3. Cependant, les mécanismes de résistance indépendants de BCR: ABL1 sont clairement plus fréquents que les précédents, étant donné que jusqu'à 70% des patients obtenant une réponse thérapeutique insuffisante ne présentent aucun de ces deux premiers mécanismes. Dès lors, il faut toujours penser en premier lieu au comportement de "non-adhérence", un phénomène fortement sous-estimé! Les mécanismes indépendants des oncogènes relèvent de ces 3 catégories, même s'ils se chevauchent parfois: l'activation de la "voie en aval" ou d'une voie parallèle (phénomène de bypass), la résistance pharmacocinétique et la résistance des cellules souches (SC). Parmi les différentes "voies" intracellulaires, 3 sont fortement impliquées dans la croissance des cellules malignes: les voies RAS, JAK2 et PI3K. Des changements dans ces voies et dans leurs activateurs en amont influencent la sensibilité aux molécules thérapeutiques. Dans la CML, on a notamment établi le rôle d'une activation modifiée des composantes des voies intracellulaires via AKT et ERK, d'une augmentation de Bcl-2 ou de Bcl-xL, d'une diminution de Bim ou de Bad et également de surexpressions de kinases de la famille Src ou d'Aurora A, qui débouchent toutes sur une résistance indépendante de BCR: ABL1. Les membres de la famille JAK sont des agents pathogènes clés dans l'induction et l'évolution de la CML. En particulier, JAK2 est une molécule de signalisation en aval dominante dans la CML, également via PI3K. Dans certains modèles, l'association d'un inhibiteur de JAK et d'un inhibiteur de BCR: ABL1 induit l'apoptose des cellules de CML résistantes à l'imatinib. L'activation de la voie PI3K augmente la résistance à l'imatinib via divers mécanismes, dont la modulation de protéines clés du contrôle du cycle cellulaire, les FOXO. La kinase LYN de la famille Src est essentielle à l'activité de BCR: ABL1 et elle est plus fortement exprimée et activée dans des échantillons prélevés chez des patients résistants à l'imatinib.Enfin, on a également constaté que la kinase Aurora A et la voie qu'elle implique sont anormales, non seulement dans la prolifération leucémique et la survie cellulaire, mais aussi dans d'autres affections malignes. La résistance pharmacologique due à une modification des mécanismes d'influx et d'efflux des médicaments contre leurs cellules cibles malignes est également implémentée dans cette problématique de résistance. De ce fait, l'efflux accéléré du médicament par l'intermédiaire de membres anormaux de la famille des transporteurs ABC, tels que MDR1, PgP et BCRP peut avoir un effet néfaste. Un autre transporteur membranaire, hOCT1, est également mis en cause en cas d'expression et/ou d'activation réduites, en raison d'une diminution de l'absorption de l'imatinib dans les cellules, et ceci a déjà été corrélé avec une réponse clinique moindre. Enfin, comme cela a été démontré dans presque tous les cancers, une transformation oncogène au niveau des SC peut induire l'apparition de résistances. Ces SC cancéreuses représentent le réservoir résiduel et menaçant pour les rechutes. La persistance de cellules souches leucémiques (LSC) a été documentée dans la CML jusqu'à des années après une interruption fructueuse des TKI, avec des rechutes tardives en conséquence. Comme les cellules souches hématopoïétiques (HSC) normales, ces SC de CML se protègent, notamment via la régulation du transport des médicaments, surtout via des mécanismes indépendants de BCR: ABL1, mais aussi via leurs caractéristiques cellulaires intrinsèques et des facteurs micro-environnementaux. Les voies de signalisation intracellulaires impliquées et les passionnants effets de la niche de cellules ne seront pas abordés plus en détail ici. Heureusement, pour vaincre tous ces mécanismes de résistance, plusieurs stratégies sont en plein développement: des TKI de 3e génération plus puissants et/ou plus sélectifs, des TKI allostériques, leur combinaison, des combinaisons létales synthétiques et des combinaisons d'inhibiteurs d'ABL1 avec des molécules ciblant les LSC. Par exemple le radotinib, l'olverembatinib, le flumatinib, le vodobatinib (3e génération), l'asciminib (allostérique) combiné ou non avec les TKI plus anciens, et la combinaison de pioglitazone ou de ruxolitinib avec les TKI existants. Des études cliniques sont en cours pour tous ces nouveaux agents et leurs combinaisons. Un bon monitoring de la réponse via des tests moléculaires avec une identification précoce et une prise en charge rapide de la résistance aux TKI est donc devenu essentiel! Un tel monitoring a depuis longtemps prouvé sa valeur: il figure dans toutes les recommandations disponibles, comme celles du NCCN et de l'ELN. Plus récemment, la méthodologie NGS a également été introduite ici, avec une évaluation plus précise des mutations et une identification plus précoce des sous-clones résistants émergents, ce qui laisse entrevoir la possibilité de traitements efficaces et précoces. La CML est donc également un des meilleurs paradigmes pour la médecine de précision. ? L'olverembatinib (HQP1351), un TKI efficace et bien toléré pour les patients avec une CML avec mutation T315I: résultats d'une étude multicentrique, ouverte, de phase I/II2 La mutation BCR: ABL1 par substitution T315I entraîne une résistance à la plupart des TKI. Depuis longtemps, le ponatinib constitue l'alternative thérapeutique, mais l'olverembatinib est un nouvel TKI oral puissant, également doté d'une activité clinique contre cette mutation de résistance. Il a fait l'objet d'une étude de phase I, qui a notamment permis de déterminer une dose maximale tolérée, puis une dose recommandée, en vue d'un suivi ultérieur. L'étude de phase II a porté sur 165 patients à haut risque, 127 souffrant de CML-CP et 38 de CML-AP. Dans le groupe CP, l'incidence cumulative à 3 ans de réponse cytologique majeure (MCyR), de réponse cytogénétique complète (CCyR) et de réponse moléculaire majeure (MMR-MR 4.0 et MR 4.5) atteignait respectivement 79,0, 69,0, 56,0, 44,0 et 39,0%! Dans le groupe AP, ces chiffres sont tous plus bas mais atteignent quand même 47,4, 17,4, 44,7, 39,3 et 32,1%. Le taux de réponse le plus élevé concernait les patients présentant la mutation T315I, y compris selon les statistiques de l'analyse multivariée. Les effets indésirables (AE) les plus fréquents liés au traitement étaient: hyperpigmentation, hypertriglycéridémie, protéinurie et parfois thrombopénie sévère. ? Décryptage du rôle des isoformes HSP90 A et B pour vaincre la résistance3 Ainsi, la résistance aux TKI n'est malheureusement pas exceptionnelle. Dans la quête d'autres options thérapeutiques, on a examiné la contribution de la protéine de choc thermique 90 (HSP90) qui joue un rôle crucial dans la stabilisation des oncoprotéines et le maintien de l'homéostasie des cellules cancéreuses. L'inhibition de HSP90 semble donc être un domaine de recherche légitime pour aider à combattre la résistance aux TKI en cas de CML. HSP90 est présente dans le cytosol, essentiellement en 2 isoformes, A et B. L'inhibition pharmacologiquement ciblée de ces 2 isoformes peut aider à inventorier les conséquences (potentiellement thérapeutiques). À cet égard, 2 modèles ont été développés, avec un knock-out transitoire ou stable de HSP90 dans des cellules et lignées cellulaires BCR: ABL1. En établissant le profil global du transcriptome et du protéome et via le HTDS, on a essayé de détecter les conséquences d'une telle perte induite de HSP90. Les cellules traitées ont été analysées tant ex vivo qu'après leur transplantation dans des souris NSG. L'efficacité de la transplantation s'est avérée très réduite comparativement à celle observée dans des cellules leucémiques non manipulées. On a également constaté qu'il était possible de contourner une éventuelle résistance à l'inhibition de HSP90 avec certains inhibiteurs d'autres classes, surtout les inhibiteurs de CDK7. Ainsi, la poursuite du développement d'inhibiteurs de HSP90 ainsi que de leur combinaison avec des inhibiteurs de CDK7 pourrait s'avérer utile dans les recherches futures concernant la prise en charge de la CML Ph+ résistante aux TKI. ? Arrêt des TKI en cas de CML: critères d'éligibilité et éléments prédictifs du succès 4 L'arrêt véritable d'un traitement par TKI est à la fois sûr et réalisable chez les patients souffrant d'une CML présentant une réponse moléculaire profonde et stable: on parle de TFR (treatment-free remission). Cependant, le succès de cette étape repose sur une sélection appropriée et un monitoring précis. Actuellement, les facteurs cliniques et biologiques associés à la TFR n'offrent pas encore une précision suffisante dans la stratification du risque de rechute ultérieure. Heureusement, un certain nombre d'études (15! ) ont permis de clarifier plusieurs critères permettant d'envisager l'interruption du traitement par TKI avant la TFR et d'en prédire le succès. L'étude STIM, la 1re étude prospective, a montré qu'après l'interruption de l'imatinib chez les 100 patients inclus, la survie sans rechute (RFS) est restée stable, soit 38%, jusqu'à 5 ans plus tard! Il a été validé qu'une rechute se produisait le plus souvent dans les 6 mois, observation confirmée dans la plupart des autres études. La sélection des cas reposait sur le maintien répété pendant 2 ans d'une MR 5.0 (diminution des transcrits Phi d'au moins 5 logs par RT-qPCR). Toute PCR positive pour BCR: ABL1 était considérée comme une rechute. L'étude analogue TWISTER a confirmé ceci, avec 40% de patients ne présentant plus de maladie mesurable détectable (non-MRD) à long terme. D'autres chercheurs ont décidé qu'une MR4.0 démontrée pendant au moins 12-24 mois permettait d'envisager une interruption planifiée du traitement. Par la suite, une rechute a plutôt été définie comme la perte d'une MMR (définie comme < 0,1%), comme l'a démontré l'étude A-STIM avec une TFR de 61% à 36 mois et avec 20% de patients qui n'ont pas perdu leur MMR, même s'ils n'ont pu garder de MR complète. Ces résultats ont été confirmés dans des études ultérieures menées par d'autres groupes. L'interruption des TKI de 2e génération (TKI-2G) a également été étudiée en détail dans le monde entier, chez un grand nombre de patients souffrant de CML. Les études publiées englobent: EURO-SKI (n=758) (imatinib, nilotinib, dasatinib), STOP-2G-TKi (n=169) (nilotinib, dasatinib), ENEST-freedom (n=190) (nilotinib) et ses études de suivi, encore en cours, et DADI (n=63) (dasatinib) et ses propres successeurs. Ainsi, l'étude DASFREE (n=84) (dasatinib) montre que la TFR à 2 ans atteint 51% après le traitement de 1re ligne, mais aussi - étonnamment - 42% après l'interruption du traitement de 2e ligne chez les patients qui ont présenté une intolérance, voire une résistance au traitement de 1re ligne! Les données sur l'interruption du ponatinib ou du bosutinib sont encore quelque peu limitées. Cependant, on peut admettre que, quel que soit le TKI, la probabilité de TFR semble aussi élevée pour les patients, pour autant qu'ils aient une MR profonde durable (DMR) depuis plus de 2 ans. Plutôt qu'un arrêt complet, on peut réduire la dose chez les patients qui n'ont pas obtenu une TFR prolongée, pour autant qu'ils conservent une bonne réponse à cette dose plus faible, avec moins d'AE. La désescalade et l'arrêt des TKI ont été étudiés dans le cadre de l'étude DESTINY, avec une diminution de moitié de la dose après 12 mois, suivie d'un arrêt du traitement, ce qui a donné une RFS à 2 ans de 72%.Pour confirmer cette observation, on a mis sur pied l'étude DANTE (toujours en cours), dans laquelle la dose de nilotinib passe de 600 mg à 300 mg, avant un arrêt du médicament, chez les patients conservant une DMR. La perte de la MMR paraît rare dans la phase où la posologie est réduite. La réduction en plusieurs étapes fait également l'objet d'une étude en cours (l'étude HALF). L'autre question ouverte concerne le succès d'une 2e interruption après l'échec d'une 1re TFR. Le protocole RE-STIM a donné lieu à une TFR de 35% chez les patients (n=70) qui avaient retrouvé une MR5.0. L'étude TRAD examine l'interruption du dasatinib après un traitement préalable par imatinib: la "réinterruption" après au moins 12 mois de MR4.0 donne une TFR de 21% à 6 mois. Il va de soi qu'il est important de définir les conditions pour l'interruption d'un TKI. Bien que les études ne soient pas parfaitement comparables, il existe un consensus sur la nécessité d'un traitement suffisamment long, mais aussi sur la profondeur et la durée de la DMR. Un traitement de 5 ans (imatinib) ou 4 ans (TKI-2G) est maintenant recommandé par l'ELN. En ce qui concerne la DMR, une MR4 pendant 2 ans est d'application, et une MR4.5 constitue le critère optimal. D'autres variables sont, entre autres, l'absence des critères de la phase d'accélération, la présence d'une intolérance plutôt que d'une résistance, le score de Sokal (belge, historique! ) et l'âge adulte. Il n'est pas surprenant que jusqu'à 19% des patients ayant une bonne qualité de vie sous TKI se sentent plus en sécurité sans interruptiondu traitement! Le suivi après une interruption est essentiel et on recommande d'effectuer une RT-qPCR tous les 6 mois, ou de manière un peu plus espacée (jusqu'à 12? ), et ce, sans date limite. En cas de perte de la MMR, le traitement doit être repris dans les 4 semaines, avec le même TKI et à la même dose que précédemment. La MMR devrait être récupérée dans les 3-4 mois! Dans le cas contraire, un bilan complémentaire est nécessaire (analyse des mutations, évaluation de l'adhérence...). Une interruption du traitement est associée à une meilleure qualité de vie, ce qui constitue un objectif important dans le traitement de la CML. Cependant, jusqu'à 30% de ces patients présentent un syndrome de sevrage (withdrawal syndrome, WS) essentiellement caractérisé par des arthralgies et des raideurs articulaires qui surviennent typiquement après 1 mois, mais durent souvent longtemps (des mois). Les douleurs musculosquelettiques sont raisonnablement corrélées avec les antécédents et la durée du traitement ainsi qu'avec l'effet du traitement: davantage en cas de MMR prolongée. Les symptômes du WS disparaissent souvent spontanément, la plupart du temps sans traitement actif. Par ailleurs, mais ceci est rarement décrit, on peut observer une progression soudaine de la CML après une tentative de TFR: un clone de CML plus résistant, préexistant, devient véritablement manifeste. Les éléments prédisant la réussite de l'interruption des TKI peuvent être résumés en 2 rubriques: clinique et moléculaire/biologique. Parmi les facteurs cliniques, la plupart se sont avérés significativement prédictifs dans plusieurs études ; notamment: durée totale du traitement, durée de la DMR, profondeur de la réponse, absence de réponse suboptimale, score de Sokal faible, âge plus avancé et sexe masculin, durée du traitement préalable par interféron, le cas échéant, apparition de WS et émergence lente d'une rechute moléculaire après une 1re tentative d'interruption. Les facteurs biologiques associés à un meilleur résultat sont également nombreux: sous-type de transcrit e14a2, augmentation du nombre de types cellulaires lors de l'interruption (NK, NK CD56dim) ou diminution du nombre de types de cellules circulantes (CD26+, CD86+, CD93+), entre autres. Ces facteurs biologiques méritent d'être étudiés plus en détail afin de continuer à améliorer le traitement de la CML. Les facteurs en corrélation avec la rechute et qui aident à prédire l'évolution après l'interruption sont encore à l'étude. D'un point de vue éthique, il ne semble pas très responsable d'exposer les nombreux patients dont la maladie est bien contrôlée par TKI à des traitements risqués, juste pour contrôler (guérir? ) les CML-SC elles-mêmes. Cependant, une longue TFR stable ressemble déjà beaucoup à une guérison "opérationnelle"! ? Revue de sécurité à long terme des TKI en cas de CML - À quoi faut-il prêter attention lorsqu'une rémission sans traitement n'est pas une option? 5 Le choix initial des TKI (4 compétitifs de l'ATP et 1 allostérique, l'asciminib) dépend clairement de divers facteurs, comme les comorbidités, les médicaments, les facteurs de risque de CML, les possibilités de remboursement et le schéma d'administration habituel (qui influence également l'adhérence thérapeutique). Lors d'un changement de traitement ou d'une ligne de traitement ultérieure, la réponse et les attentes concernant les AE possibles restent importantes. Bien que la TFR soit hautement souhaitable, la majorité des patients souffrant de CML auront besoin de TKI pendant une très longue période. La sécurité à long terme et la prise en charge des AE spécifiques doivent donc être pris en considération. L'expérience existante acquise avec les TKI donne un aperçu clair de la sécurité sur une durée significativement longue. Avec l'imatinib à long terme (> 10 ans), que ce soit après l'interféron ou non, on a noté davantage d'effets cardiaques (ischémie coronaire, fibrillation auriculaire, infarctus), et de nouvelles tumeurs (bénignes et malignes) ont été décrites, mais celles-ci ne sont pas inhabituelles dans la population "normale" comparable. L'incidence liée aux TKI et le lien de cause à effet sont donc difficiles à établir. Des épanchements pleuraux sont survenus chez 28% des patients traités par dasatinib, selon l'analyse à 5 ans de l'étude DASISION. Parmi les autres AE importants, citons une tendance aux hémorragies, même sans thrombopénie, et l'hypertension pulmonaire. Après au moins 10 ans de suivi dans l'étude ENESTnd, on a constaté que le nilotinib induisait des effets cardiovasculaires chez 16,5% (600 mg) ou 23,5% (800 mg) des patients, avec une tendance similaire à l'hyperglycémie et au diabète. Même après 10 ans, le bosutinib a montré un profil constant, avec une incidence élevée de diarrhée (86%), de nausées (46%) et de thrombopénie (42%). Comparativement à la prise prolongée d'imatinib, le bosutinib induit davantage d'AE digestifs, mais moins d'oedèmes périphériques, de crampes musculaires ou de neutropénie (e. a. selon les résultats à 5 ans de l'étude BELA). Dans l'étude PACE avec le ponatinib (en cas de CML lourdement prétraitée ou de LLA), les résultats finaux à 5 ans ont montré une incidence cumulative allant jusqu'à 31% d'événements occlusifs artériels (AOE). Pour l'asciminib, les données concernant la sécurité à long terme sont encore insuffisantes, mais les AOE constituent également une préoccupation potentielle. On a encore trop peu de données au sujet du radotinib (étude RERISE en Corée du Sud). Au début du traitement par TKI, des adaptations posologiques ou un changement de molécule peuvent être envisagés face aux différents AE les plus fréquents. D'après les rapports de suivi plus long, les profils d'AE restent généralement cohérents, mais ces études prennent souvent fin au bout de 5 ans de suivi, de sorte que les AE ultérieurs peuvent être ignorés. Les principales études randomisées fournissent également des données au sujet des résultats rapportés par les patients (PRO), des intolérances croisées et du changement utile de TKI. De manière générale, la HRQoL s'améliore (souvent initialement et parallèlement à une réponse favorable) ou reste du moins préservée pendant le traitement par TKI. Globalement, en cas de traitements de 1re ligne avec des TKI de 2e génération (comparativement au bras imatinib), il faut changer de molécule dans environ 40% des cas, en raison d'une efficacité insuffisante ou d'AE. Les adaptations posologiques sont également fréquentes, mais leur notification était moins clairement chiffrable. L'intolérance croisée était définie différemment selon les études, parfois comme une nouvelle interruption due au même effet indésirable, parfois comme la réapparition d'AE de grade III au moins. Ces intolérances croisées ne touchent apparemment pas plus d'un tiers des patients, ce qui permet des choix et des adaptations personnalisés. Elles se produisent principalement dans la sphère hématologique, en raison de l'effet myélosuppresseur plutôt global, mais non marqué, des TKI, alors que les autres sont plutôt des conséquences de différences dans les effets "off target". Cependant, avec un bon suivi et une prise en charge adéquate, il apparaît également que bon nombre de patients tolèrent raisonnablement bien l'autre TKI, même si l'effet indésirable initial est également décrit avec le nouveau médicament. En pratique courante, nous disposons de plusieurs registres à long terme et d'analyses observationnelles en dehors des protocoles d'étude, e. a. l'étude observationnelle SIMPLICITY, le registre EUTOS, en plus de publications à propos de registres tenus aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède, aux États-Unis, en France et en Italie. Les interruptions de TKI, les réductions de dose ou les changements de molécule sont fréquents, le plus souvent motivés par des AE et bien évidemment aussi par un effet insuffisant contre la CML. Les intolérances sont les principales raisons d'interruption (jusqu'à 30% des cas) ou de réduction (dans un tiers des cas de façon permanente) de la dose (également environ un tiers des cas). Les changements de molécule sont également fréquents, par exemple en raison d'une efficacité insuffisante dans 20% des cas (EUTOS).Avec le ponatinib, il est apparu qu'une réduction de la dose était souvent possible sans perte significative de l'effet. Il n'est pas facile de comparer les différents registres et analyses, pour des raisons méthodologiques et aussi en raison du manque d'études causales sur certains AE. Le choix des TKI administrés en 1re ligne et au-delà repose sur les éléments liés au patient déjà énumérés ci-dessus, auxquels on ajoute les caractéristiques actuelles de leur CML (score de risque, type de mutation) et bien évidemment la disponibilité des médicaments. L'imatinib peut encore avoir une place chez les patients âgés présentant des comorbidités cardiovasculaires, étant donné que les AOE sont moins probables chez eux. Les TKI de 2e génération constituent le meilleur choix pour la plupart d'entre eux. Il faut prêter attention aux comorbidités cardiaques (mais aussi vasculaires) et aux facteurs de risque, de même qu'aux antécédents pulmonaires et aux troubles métaboliques, tous pondérés différemment pour chaque TKI spécifique. Une hépatopathie préexistante constitue surtout un problème pour le bosutinib, mais une néphropathie n'est pas une contre-indication majeure pour les TKI. Les traitements concomitants doivent également être pris en compte avant de débuter un TKI spécifique et il faut assurer un suivi ciblé, conformément aux notices correspondantes. Le traitement instauré, il convient de surveiller les AE de toutes sortes et, bien sûr, les éléments relatifs à la compliance thérapeutique. La fatigue reste toujours une plainte sous-estimée. Une réduction posologique, l'interruption du traitement ou le passage à un autre TKI nécessitent des connaissances et une expérience suffisantes! Des études portant sur l'adaptation des doses, telles que DESTINY (escalade du dasatinib), ENESTpath et -swift (dose moindre de nilotinib) et BYOND (escalade du bosutinib) mettent en évidence ces aspects. Des schémas posologiques plus faibles sont utilisés dans des études en cours telles que BODO (bosutinib), DasaHIT et OPTIC IA (ponatinib), toutes utiles pour déterminer une posologie ciblée sur la réponse. On dispose de nombreuses données sur d'autres AE tels que les effets dermatologiques, digestifs, pulmonaires, musculaires, hématologiques et hépatiques, ainsi que sur les anomalies biochimiques, qui peuvent servir de guide, y compris en ce qui concerne la prise en charge. Comme exemple, citons l'administration de corticoïdes par voie orale en cas de pneumopathie plus grave, liée au dasatinib. Des études ciblées sur la TFR, l'adaptation des doses et le suivi à long terme des AE plus rares ou spécifiques sont à venir. L'intégration de toutes ces données pour une sélection et une mise en oeuvre optimales d'un traitement adapté à chaque patient souffrant de CML reste un objectif passionnant! ? Illustrations récentes issues de la recherche sur la prise en charge thérapeutique modulée Lors de l'EHA226, la 1re et actuellement unique étude prospective a comparé non seulement la DMR, mais aussi la TFR en fonction du choix de traitement: TKI de 2e génération vs Ima, suivi de ce TKI en cas de réponse suboptimale. Malgré le changement précoce, le nilotinib donne plus de DMR et on s'attend à ce que cela se traduise par un taux plus élevé de TFR. Dans un autre exposé présenté à l'EHA227, on a conclu que le "re-challenge" avec le dasatinib restaure effectivement une DMR dans la plupart des cas (MR4) mais qu'après le retraitement de 12 mois, la probabilité de TFR2 n'est pas encore significativement augmentée. Relisez également les articles relatifs à la CML dans les précédents numéros du BohN! Must read: A clinician perspective on the treatment of CML in the chronic phase (V. Garcia-Guttierez et al. - Journal of Hematology and Oncology 2022)La CML représente environ 10% des leucémies liées à la grossesse. Même en ce qui concerne la chimiothérapie pour AML pendant la grossesse, il existe de bonnes options (bibliographie disponible), mais il va de soi qu'ici, il est question des risques tératogènes des TKI. Chez les patientes enceintes souffrant d'une CML, il est capital de développer et de suivre une prise en charge personnalisée! Des rapports de cas et une revue de la littérature illustrent la mise en balance des avantages et des inconvénients des TKI et des traitements alternatifs tels que l'interféron-alpha (IFN-a). Les risques tératogènes potentiels de l'imatinib et des TKI-2G sont connus, et ces données sont pertinentes: jusqu'à 12% des cas de CML surviennent avant l'âge de 30 ans et l'âge médian au moment du diagnostic se situe entre 30 et 40 ans, soit dans la période de fertilité des femmes. Il n'existe toujours pas de recommandations standardisées, mais des avis d'experts ont été récemment actualisés et publiés. Les scénarios englobent un diagnostic de CML pendant la grossesse, une nouvelle grossesse pendant un traitement par TKI et une grossesse planifiée en cas de TFR. Un suivi strict après un diagnostic de CML chez une femme enceinte n'est une option que si le traitement peut être différé, en fonction du stade de la maladie et de la biologie moléculaire, de la numération sanguine et de l'âge gestationnel. Néanmoins, il existe un risque accru de thrombose en cas de thrombocytose et d'hyperleucocytose. Au moins 5 séries de cas ont déjà été publiées, avec entre 6 et 265 cas documentés. Des naissances normales ont eu lieu dans 19 (dasatinib) à 48% (exposition à l'imatinib pendant l'organogenèse) des cas, contre des malformations foetales dans moins de 10%, des fausses couches spontanées dans 10 à 17% et des avortements électifs dans 44 à 17% ; malheureusement, l'issue finale n'était souvent pas mentionnée dans ces articles (20 à 40% d'issue"inconnue")! L'interruption du dasatinib en cas de grossesse non planifiée peut malgré tout entraîner des malformations graves chez le bébé, selon une étude de cas spécifique. Le nilotinib n'est pas non plus sans danger, même s'il est interrompu, mais les rapports de cas ne sont pas concluants et sont évidemment peu nombreux. L'effet tératogène des TKI est un phénomène "off-target", puisque de multiples récepteurs des tyrosines kinases sont touchés. La littérature disponible suggère que les enfants nés d'hommes traités par imatinib au moment de la conception ne seraient pas exposés à un risque accru. L'administration de TKI pendant les 2e et 3e trimestres gestationnels semble plus sûre, mais l'expérience est encore insuffisante pour envisager une utilisation en routine. Le dasatinib peut notamment provoquer un hydrops foetal, de sorte qu'il doit être arrêté immédiatement, quel que soit le stade de la grossesse. Cependant, avec un monitoring foetal attentif et approprié, il est possible d'envisager l'instauration d'imatinib ou de nilotinib au cours du dernier trimestre, puisqu'ils ne traversent apparemment pas la barrière placentaire, si la CML impose ce traitement. L'interféron alpha (IFN-a), traitement avant les TKI, est la meilleure alternative, car plus sûre (de préférence sous forme pégylée, qui induit moins d'AE si la CML doit être traitée pendant une grossesse. En effet, l'IFN-a ne traverse pas la barrière placentaire! Plusieurs séries de cas ont également été publiées à ce sujet, mais avec un faible nombre de patientes: jusqu'à 48. On dispose également de publications concernant des femmes obtenant une TFR qui envisagent une grossesse. Si elles perdent leur MMR et ne sont pas encore enceintes, le traitement par TKI doit être repris, conformément aux recommandations connues: de préférence avec un produit plus puissant, dans l'espoir de récupérer la MMR et d'obtenir une nouvelle TFR. Il est toutefois déconseillé de concevoir un enfant sous TKI et, en cas de survenue d'une grossesse, il est préférable de s'abstenir de TKI pendant toute la durée de la grossesse, en gardant l'IFN-a en réserve. Pour l'IFN-a, les nouveaux critères moléculaires peuvent être utiles, comme les polymorphismes de STAT3 comme déterminant d'une plus grande résistance à l'action de l'IFN. Une leucaphérèse et l'hydroxyurée sont respectivement des traitements inefficaces (effet de courte durée) ou dangereux en début de grossesse. En fin de grossesse, l'imatinib et le nilotinib sont les agents efficaces à envisager, voire à privilégier, comme le suggère la littérature. Il est nécessaire d'avoir une compréhension et une connaissance adéquates des traitements ciblés sur la CML et de leurs risques potentiels pendant la grossesse. Une équipe pluridisciplinaire doit accompagner la patiente enceinte souffrant d'une CML, en vue d'une prise en charge empirique appropriée et d'une information détaillée, tant pour la patiente que pour ses proches.