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"Nous savons peu de choses, mais qu'il faille nous tenir au difficile, c'est là une certitude nous quitter. " Ces mots résonnent singulièrement en 2017, une époque qui, après une dérégulation incompréhensible du nombre de sites de radiothérapie, entend remettre de l'ordre dans l'anarchie de l'offre (6 services de radiothérapie à Bruxelles, 4 sites à Anvers, 3 à Liège...).Tous, nous retenons notre souffle et espérons que les choses se feront dans l'ordre et l'intelligence. Mais elles doivent se faire, il n'y a pas à discuter.Fermer des services ou des sites, donc. Mais combien, et lesquels? Et, au fond, avons-nous besoin de radiothérapie? Une patiente et minutieuse étude de la littérature montre que l'utilisation de radiations ionisantes dans le traitement du cancer reste un pilier incontournable. En cette époque de thérapies ciblées, l'irradiation reste indispensable, et ce pour plusieurs raisons qu'il est bon de rappeler.Tout d'abord les radiations sont ciblées également, et de mieux en mieux, avec une focalisation des faisceaux fiable et reproductible dans de petits volumes, grâce à une imagerie embarquée de qualité. La majorité des accélérateurs linéaires sont maintenant équipés d'un scanner intégré, permettant une imagerie de repositionnement quotidienne, gage d'une excellente précision. Avec un bénéfice direct, à savoir une bien meilleure tolérance au traitement puisque les tissus sains sont nettement moins irradiés.Ensuite, et c'est la différence fondamentale avec les médicaments, les radiations sont gouvernées par des lois physiques immuables. Les rayons circulent en ligne droite et rien ne les arrête. On peut atteindre n'importe quelle partie du corps, indépendamment des oedèmes, des interventions, de la vascularisation et de la pharmacodynamique, toutes caractéristiques tellement importantes avec les traitements médicamenteux. Les irradiations sont donc parfaitement calibrées et reproductibles.Enfin, l'action des radiations sur le tissu vivant est relativement homogène. Nul besoin de récepteurs particuliers ni de voies de signalisation exotiques pour développer leur action. Si l'on y regarde de près, c'est à la fois un inconvénient et une qualité. En résumé, les radiations sont fréquemment complémentaires dans une approche multimodale.Au plan technique, chaque décade apporte son lot de nouveautés. Deux domaines brûlants sont en passe de trouver une solution. L'imagerie embarquée, le scanner, manquent parfois de précision par manque de contraste au niveau des tissus mous. De nouveaux appareils couplés à des IRM intégrées apportent une solution brillante à cette question. D'autre part, une frontière importante en radiothérapie est celle des mouvements respiratoires. Les cibles thoraciques ou dans l'abdomen supérieur sont difficiles à cerner au plus près à cause de leur mobilité. Cela limite le champ d'application de la radiothérapie pour des tumeurs par ailleurs tout à fait radiosensibles. Plusieurs approches sont actuellement en recherche et développement, dont on voit qu'elles permettent d'explorer ce domaine compliqué. La décade à venir verra l'avènement de solutions remarquables, qui vont probablement élargir les indications à de nouveaux cancers (foie, poumon entre autre).Pourquoi le jeune radiothérapeute doit-il alors " se tenir au difficile "? La radiothérapie est mal-aimée des hôpitaux car elle est mal remboursée, et bien peu sont les services qui équilibrent leurs comptes. À titre d'exemple, un traitement complexe remboursé autour de 5000 ? en Belgique, l'est à hauteur de 11.590 ? en France, de 10.640 ? aux Pays Bas et la même chose au Luxembourg. Au Maroc, ce traitement est remboursé à hauteur de 3600 ?. Rapportés au PIB, ces remboursements montrent à quel point la Belgique est indigente. Nonobstant ce financement insuffisant, l'INAMI n'aime pas la radiothérapie et la soupçonne en permanence de surconsommer et de coûter trop cher. Le paysage est donc hostile au niveau des autorités de santé.C'est aussi avec beaucoup de réticence que l'INAMI et le ministère de la Santé ont accepté la construction d'un centre de protonthérapie KUL-UCL à Leuven. Les indications reconnues sont très, très restrictives. Rien de comparable avec la situation des pays voisins, Pays-Bas, France et Allemagne pour ne citer que les plus proches. Ironie du sort, la compagnie IBA, leader mondial en ce domaine est belge... Nul n'est prophète en son pays.Les directions hospitalières, en raison du financement insuffisant rechignent à moderniser les équipements. La charge de travail des médecins radiothérapeutes est excessive en Belgique. 50% des médecins sont surchargés selon les normes européennes, et traitent plus de 250 cas/an (benchmarking 200-250 cas par an au maximum).Enfin, une vaste étude européenne a cherché à comprendre la structure des recrutements dans les pays de l'Union (plus quelques outsiders de l'OCDE). En connaissant l'incidence du cancer dans un pays, ainsi que le stade et le grade (si nécessaire) des cas enregistrés dans les registres, il est possible de prédire le nombre de traitements recommandés par l'EBM. Pour la Belgique, il semble que seuls 80% des patients chez lesquels un traitement de radiothérapie est indiqué sont effectivement irradiés. Plusieurs milliers d'indications échappent, pour des raisons mal comprises.En ce qui concerne le nombre d'accélérateurs en Belgique, il suit les besoins sans excès (8,5 accélérateurs par million d'habitant). Mais les accélérateurs sont mal répartis. Certains sont saturés et d'autres sont sous-utilisés. Il y a matière à programmation, notamment dans les grandes villes comme Liège, Bruxelles, Anvers, Gand ou Charleroi. C'est un chantier délicat dans un contexte de sous-utilisation de la radiothérapie car la fermeture de centres risque d'aggraver la situation, si elle n'est pas accompagnée de mouvements de concentration de la pratique oncologique.Dans un registre plus positif, et malgré ces vents contraires, la radiothérapie belge est remarquablement homogène comme l'ont montrés les audits de qualité réalisés par le Collège de Radiothérapie. Une authentique culture de la qualité se retrouve partout, culture reconnue et admirée de nos voisins. Les Français, en particulier, s'intéressent aux activités d'audit en Belgique et vont vraisemblablement adopter un système similaire (avec l'aide des Belges, un comble! ).Pour le jeune radiothérapeute, il faut non seulement comprendre l'oncologie, comprendre le patient, être subtil et empathique, mais aussi comprendre le chirurgien qui opère et savoir l'écouter, connaître l'anatomie comme un radiologue, maîtriser les interactions radiations-médicaments, dominer la physique des radiations et savoir converser avec un ingénieur. C'est un pays riche et varié, un grand espace de création aussi car toutes les questions n'ont pas encore de réponses.Pr Pierre Scalliet est chef du service de radiothérapie, Cliniques Universitaires Saint-Luc, UCL et président du comité scientifique du BON. (Les intertitres ont été ajoutés par la rédaction)