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L'homme est-il programmé pour éjaculer vite ? C'est en tout cas ce qu'avancent nombre d'auteurs. Selon eux, telle serait la norme biologique héritée des primates. Ainsi, le chimpanzé et le bonobo éjaculent respectivement en moins de 10 et de 15 secondes. Le gorille, lui, est plus endurant, puisqu'il ne délivre son sperme qu'après 30 secondes à 4 minutes. Mais la règle générale est que les mammifères éjaculent rapidement - le chat, par exemple, ne " tient " que 5 secondes -, et ce très probablement pour des raisons tenant à la sélection naturelle, un coït de courte durée étant considéré par les éthologistes comme un atout pour la survie des espèces. " En effet, concentré sur son excitation sexuelle, l'animal voit son champ de conscience se restreindre et, de ce fait, perd sa prudence envers ses prédateurs et ses rivaux ", dit le sexologue Pascal de Sutter, professeur à la faculté de psychologie de l'UCL.Dans ce contexte d'une sexualité menée tambour battant, le plaisir de la femelle n'est pas pris en considération. Il en va différemment chez l'être humain, dont la sexualité a acquis une autre dimension que sa seule visée reproductrice. C'est à partir du moment où l'homme a commencé à se soucier du plaisir de sa partenaire et ambitionné de l'amener à l'orgasme qu'a éclot la question de l'éjaculation précoce. Toutes les cultures ne sont cependant pas concernées par le phénomène. Dans certains pays où l'on pratique l'infibulation ou l'excision du clitoris, l'éjaculation prématurée est une " bénédiction " pour les femmes en raison des douleurs auxquelles les exposent, durant les rapports sexuels, les mutilations subies. " En outre, dans ces cultures, la tradition veut qu'un homme viril soit celui qui a de nombreuses éjaculations avec beaucoup de femmes et non celui qui est capable de faire durer longtemps le coït ", précise Pascal de Sutter.Selon les enquêtes épidémiologiques, 15 à 30% des hommes souffriraient d'éjaculation précoce dans nos pays. Ce qui en fait le trouble sexuel masculin le plus répandu. Où la discorde entre scientifiques s'allume, c'est quand il s'agit de caractériser précisément le phénomène. Pour l'International Society for Sexual Medicine, il y a éjaculation précoce lorsque le délai entre l'intromission pénienne et l'éjaculation est inférieur à une minute. C'est aussi le critère temporel retenu par le DSM-V de la Société américaine de psychiatrie dans sa définition des éjaculations précoces primaires, c'est-à-dire qui touchent des sujets ayant toujours souffert d'un délai éjaculatoire bref et insatisfaisant.Maître de conférence au département des sciences de la santé publique de l'ULg et ancien président de la Société des sexologues universitaires de Belgique, Philippe Kempeneers indique que, pour les éjaculations précoces secondaires, qui caractérisent des hommes dont le délai éjaculatoire était précédemment normal, un comité d'experts a proposé de prendre en considération la limite maximale de 3 minutes.Mais faut-il nécessairement jouer du chronomètre ? Non, considèrent de nombreux sexologues, qui estiment au contraire que la clé de voûte de l'éjaculation précoce n'est pas un critère chronométrique, mais la subjectivité des sujets. Autrement dit, il n'y aurait précocité que si l'éjaculation survient avant le moment souhaité par les partenaires sexuels. " Au nom de quoi taxerait-on quelqu'un d'éjaculation précoce si le couple est satisfait avec un coït qui ne dure qu'une minute ? ", commente le professeur de Sutter. Évidemment, il faut raison garder : lorsque la femme accède difficilement à l'orgasme, on ne pourra parler d'éjaculation précoce si elle se déclare insatisfaite après une dizaine de minutes de pénétration...Selon la plupart des sexologues, la durée chiffrée du coït ne doit donc pas être appréhendée comme l'élément cardinal de la définition de l'éjaculation précoce. Néanmoins, il est un chiffre auquel beaucoup d'entre eux accordent une réelle valeur : 4 minutes. Pourquoi ? " Parce que ce cap franchi, le sujet est en principe capable de se contrôler parfaitement, explique Pascal de Sutter. Les hommes qui peuvent effectuer des mouvements de va-et-vient dans un vagin au-delà de 4 minutes ont compris comment maîtriser la montée de leur excitation et, par là même, retarder le réflexe éjaculatoire,qui est en soi incontrôlable. S'ils le désirent, ils sont alors à même de prolonger la pénétration beaucoup plus longtemps. "La quatrième édition du DSM ne se référait à aucun repère temporel dans sa définition de l'éjaculation précoce primaire. Peut-être était-ce mieux. Quant au DSM-V, il a ajouté ce critère (une minute pour les éjaculations précoces primaires) aux trois conditions déjà énoncées par son devancier : l'éjaculation doit survenir de manière persistante ou répétée lors de stimulations sexuelles minimes avant, pendant ou juste après l'intromission, et avant que le sujet ne le désire ; elle doit engendrer une souffrance marquée ou des difficultés interpersonnelles ; elle ne doit pas être due exclusivement aux effets directs d'une substance. En effet, le réflexe éjaculatoire peut être favorisé par des problèmes médicaux ou pharmacologiques.En réalité, toutes les définitions de l'éjaculation précoce se fondent sur trois critères fondamentaux : la détresse du sujet ou du couple, la brièveté de la pénétration et le sentiment qu'éprouve l'homme de manquer de contrôle sur le timing de son éjaculation. C'est la manière d'opérationnaliser ces critères, particulièrement le deuxième, qui diffère d'un auteur à l'autre. " Nonobstant, dans la pratique, le diagnostic est assez facile à poser et est d'ailleurs souvent de l'ordre de l'autodiagnostic - il est rare qu'un individu qui consulte pour ce problème soit complètement dans l'erreur ", souligne Philippe Kempeneers.L'éjaculation précoce a-t-elle des causes biologiques ? Les recherches entreprises depuis des lustres pour en débusquer ont toujours abouti dans un cul-de-sac. Et pour cause ! Il semble naturel, rappelons-le, d'éjaculer vite... " On ne peut parler d'une dysfonction biologique, mais d'une dysfonction sexuelle par rapport aux attentes que nous dicte la culture en vigueur dans nos sociétés ", insiste Pascal de Sutter.En pratique, l'éjaculation précoce primaire est fondamentalement le fruit d'un mauvais apprentissage des aptitudes sexuelles censées nous permettre de répondre aux attentes. Dans le cas des éjaculations précoces secondaires, très minoritaires, il n'est cependant pas rare que des facteurs médicaux et pharmacologiques soient impliqués. Tantôt des difficultés génito-urinaires, telle une prostatite, constituent une cause possible. Tantôt l'origine est un traumatisme physique (lésion de la moelle, intervention chirurgicale dans la région pelvienne...) ou une affection neurologique comme l'épilepsie ou la sclérose en plaques. Tantôt encore il faut incriminer le sevrage de certaines substances dont, par exemple, l'héroïne et les antipsychotiques de la famille des phénothiazines.Des problèmes érectiles peuvent également induire l'éjaculation précoce secondaire. Le paradoxe n'est qu'apparent. " Pour accroître leur érection, les hommes en difficulté essaient de s'exciter davantage ; en général, ils n'arrivent à une érection significative qu'à un stade proche de l'éjaculation, rapporte Pascal de Sutter. De surcroît, la peur de perdre l'érection, une fois qu'elle est présente, peut pousser à précipiter les choses. " Le sexologue de l'UCL fait remarquer que pour ces personnes, la prise d'un médicament destiné à favoriser l'érection est de nature à leur rendre confiance, à diminuer leur stress et, par là même, à retarder leur éjaculation. Car, de fait, une corrélation existe entre le stress et l'anxiété, d'une part, et l'éjaculation précoce, primaire ou secondaire, d'autre part.À suivre