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La goutte est causée par le dépôt de cristaux d'acide urique à l'intérieur ou autour d'une articulation, entraînant une intense réaction inflammatoire. Ces cristaux se forment en cas d'élévation prolongée de l'acide urique sérique (hyperuricémie). La cause peut résider dans une production accrue d'acide urique ou dans une excrétion rénale réduite. Dans 50 % des cas, les crises - qui sont très douloureuses - surviennent dans l'articulation de la base du gros orteil (podagre), mais elles peuvent aussi toucher le genou, la partie antérieure du pied, la cheville, le poignet ou les doigts. En l'absence de traitement, une crise dure entre 3 et 7 jours avant guérison complète. ParadoxeLa prévalence et l'incidence de la goutte ont augmenté dans toute l'Europe occidentale ces 20 dernières années, et elles continuent à croître. La maladie atteint toutes les tranches d'âge, mais c'est après 40 ans qu'elle est la plus présente, sa fréquence s'amplifiant avec l'âge. Environ 1 personne sur 40 développera tôt ou tard une arthrite goutteuse.1 "Le problème est que 25 % des patients tout au plus sont traités. Et parmi ceux-ci, 40 % à peine continuent le traitement après un an, alors que la goutte est la seule forme d'arthrite que nous pouvons guérir complètement. Il est extrêmement curieux que le traitement soit souvent administré erronément, car il n'a en réalité rien de compliqué", s'étonne Jan Lenaerts, rhumatologue à l'UZ Leuven et au Reuma-Instituut de Hasselt.Facteurs de risque"Si la goutte était autrefois considérée comme une "maladie de riches", c'est en fait tout l'inverse. La maladie touche principalement les catégories socioéconomiques défavorisées, où on consomme beaucoup de viande rouge et d'aliments riches en graisses, et où l'obésité est plus courante.1" D'un point de vue thérapeutique, il est donc aussi important de formuler des conseils en matière de mode de vie, de poids et de régime alimentaire.2 L'alcool inhibe l'élimination de l'acide urique dans les urines. Les bières fortes ont un effet doublement négatif à cause des purines présentes dans les levures, qui forment la base de l'acide urique. Les sodas aggravent également notablement le risque de goutte, tandis que les produits à base de lait écrémé ont un effet protecteur.Avant d'entamer un traitement spécifique, il est de plus toujours indiqué d'identifier les importantes comorbidités associées et les facteurs de risque cardiovasculaire que sont le syndrome métabolique (hypertension, hyperlipidémie, hyperglycémie, obésité), l'insuffisance rénale chronique, le tabagisme et les pathologies cardiovasculaires.3Traitement aiguPour les crises aiguës, le choix comporte la colchicine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les stéroïdes. "Par le passé, on donnait tous les jours 1 mg de colchicine toutes les heures jusqu'à l'apparition d'une diarrhée. Les patients souffraient donc d'importants effets indésirables, qui pouvaient en outre s'accompagner de gros problèmes au niveau des reins et des muscles."Les nouvelles recommandations 2016 de l'EULAR (Ligue européenne de Rhumatologie) préconisent l'administration immédiate de 1 mg de colchicine, puis de 0,5 mg une heure plus tard, et ce, pendant 3 à 7 jours jusqu'à résolution de la crise.3Un AINS peut être prescrit (en complément) en cas de poussée trop intense ou d'intolérance à la colchicine. Des stéroïdes peuvent aussi être pris par voie orale si les AINS sont contre-indiqués (p. ex. en cas de limitation chronique de la fonction rénale). "Les médecins commettent l'erreur de prescrire une dose trop faible de prednisone ; la dose nécessaire est de 30 à 35 mg/jour pendant 3 à 5 jours." En outre, il est conseillé d'adopter une stratégie dite "pill-in-the-pocket ", c'est-à-dire d'avoir toujours ce qu'il faut à disposition, pour que le médicament puisse être pris dans les 12 heures qui suivent une crise aiguë.3 Sinon, la crise durera beaucoup plus longtemps.Traitement chroniquePour le traitement d'entretien durant la phase intercritique, on dispose de deux hypo-uricémiants : l'allopurinol et, plus récent, le fébuxostat, deux inhibiteurs de la xanthine oxydase qui réduisent la production d'acide urique. L'allopurinol est remboursé dans tous les cas, mais le fébuxostat est soumis à des critères de remboursement spécifiques en catégorie Bf. Notons que les recommandations américaines (American College of Rheumatology) placent les deux molécules sur un pied d'égalité, tandis que les recommandations européennes donnent la priorité à l'allopurinol. Le fébuxostat est préconisé lorsque l'allopurinol est contre-indiqué et il est 10 fois plus cher que l'allopurinol. Actuellement, le traitement peut être instauré dès la première crise (contre ≥ 2 crises/an par le passé)."Le débat entre médecins est vif pour ce qui concerne la possibilité de démarrer l'allopurinol pendant la phase aiguë, car la substance peut déclencher une crise. Mais c'est justement ce qui me fait penser qu'il est préférable de le prendre en phase aiguë car par la suite, il existe un risque de déclencher de nouvelles crises, ce qui crée un effet boule de neige."D'après les nouvelles recommandations, l'allopurinol doit être instauré à faible dose. Auparavant, on administrait d'emblée 300 mg/jour alors qu'aujourd'hui, on doit commencer avec 100 mg/jour, puis augmenter la posologie de 100 mg par mois. " Une dose initiale de 300 mg entraîne une baisse trop rapide du taux sérique d'acide urique, ce qui provoque des crises. Par ailleurs, après 3 mois de traitement, la plupart des médecins ne font souvent plus d'analyses de laboratoire pour contrôler l'acide urique1 et ne savent donc pas si la valeur cible de < 6 mg/dl est atteinte."L'ancienne dose maximale de 300 mg/jour a en outre été relevée à 600-800 mg/jour lorsque la valeur cible n'est pas atteinte au bout de 3 mois (50 % des cas). Cette dose ne suffit pas encore chez 5 à 10 % des patients, qui peuvent alors passer au fébuxostat. Le remboursement est également accordé en cas d'intolérance ou de contre-indication à l'allopurinol. Pour le reste, on préconise aussi un traitement prophylactique en vue d'éviter les crises : pendant les 6 premiers mois, l'allopurinol doit être associé à une faible dose de colchicine (0,5 à 1 mg). La posologie de l'allopurinol doit être adaptée si le patient souffre d'insuffisance rénale chronique (30 ml/min > clairance de la créatinine < 60 ml/min). En effet, l'allopurinol est principalement excrété par voie rénale, tandis que le fébuxostat est métabolisé par le foie. Enfin, citons aussi des uricosuriques (probénécide et benzbromarone), qui stimulent l'excrétion urinaire de l'acide urique. Ces produits ne sont pas disponibles en Belgique, mais ils peuvent constituer une alternative chez les patients qui ont une fonction rénale normale.Hyperuricémie asymptomatiqueL'hyperuricémie asymptomatique est fréquente (20 %) et peut, selon les recommandations actuelles, être traitée par la prise d'hypo-uricémiants lorsque la concentration sérique d'acide urique est > 8 mg/dl, dans le but d'éviter les crises de goutte. La présence de pathologies cardiovasculaires, d'un diabète, d'un syndrome métabolique ou d'une insuffisance rénale chronique renforcent l'argumentation en faveur de ce traitement, car l'abaissement de l'acide urique réduirait le risque de comorbidité.Références :1. Kuo C-F et al. Ann Rheum Dis 2015, 74: 661-667.2. Lenaerts J en Westhovens R. Tijdschr voor Geneeskunde 2012, 68: 1054-1058.3. Richette P et al. Ann Rheum Dis 2017, 76: 29-42.Nouveaux médicaments (mais hors de notre portée)Il existe aussi, pour le traitement aigu, des médicaments très onéreux qui agissent sur l'interleukine-1 (inhibiteurs de l'IL-1) : l'anakinra et le canakinumab. Le canakinumab peut être prescrit en présence de contre-indications à la colchicine, aux AINS et aux stéroïdes. Le médicament est très efficace, mais il coûte pas moins de 11.660 € et n'est pas remboursé. Par conséquent, il n'est en réalité pas utilisé. L'anakinra est un rien moins cher et peut aussi être administré dans l'arthrite goutteuse, mais il reste hors de prix et n'est pas remboursé. Lorsque le traitement par certains hypo-uricémiants s'avère insuffisant, la pégloticase peut constituer une solution, plus spécifiquement pour la goutte tophacée sévère. Il s'agit d'un médicament très cher, approuvé à la fois aux États-Unis et en Europe, mais non remboursé. De plus, il peut entraîner une dangereuse réaction allergique dans certains cas.