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Né à Auxerre en 1833, Paul Bert pense d'abord entreprendre une carrière d'ingénieur: il entre à Polytechnique, mais ne finalise pas; il décroche plutôt un doctorat en droit en 1857 puis au hasard d'une rencontre avec le zoologiste Pierre-Louis Gratiolet, il prend conscience que c'est dans le domaine de la biologie que se trouve sa vraie voie. Un nom domine à l'époque, qui donne à cette orientation une réelle dimension expérimentale: Claude Bernard1. Bert en devient le proche collaborateur en même temps qu'il entreprend des études de médecine; Il soutient en 1864 sa thèse de doctorat consacrée aux greffes animales. Puis c'est à la physiologie respiratoire qu'il voue l'essentiel de sa recherche ensuite, ce qui lui permet de soutenir une thèse en sciences, cette fois, deux ans plus tard.Ce sésame permet à ce surdoué - par ailleurs bel homme - d'être remarqué et dès la même année - nous sommes en 1866 - il est nommé professeur de physiologie à l'Université de Lyon. Agé de 33 ans, il est le plus jeune professeur de France.Trois ans plus tard, il est nommé à la Sorbonne. Il succède ensuite à Claude Bernard, décédé en 1865, au Collège de France. La suppléance de Paul Flourens2 au Muséum d'histoire naturelle lui ouvre plus largement les portes de la recherche fondamentale et clinique qu'il ne quittera jamais, en dépit des " nombreuses vies " qu'il aura encore ensuite.Actif dans de nombreux domaines, Paul Bert a un regard permanent sur l'éducation nationale qu'il entend réformer pour la rendre gratuite, non confessionnelle et accessible à tous, filles comprises. Afin de faire connaître ses idées - partagées par Jules Ferry et Marcellin Berthelot, notamment - et leur donner une chance d'aboutir, il postule à un poste de député de l'Yonne et est élu en 1972. Neuf ans plus tard, il est nommé ministre de l'instruction publique et des cultes dans le gouvernement Gambetta. La troisième république alors en cours est celle qui installe définitivement l'idée de la République en France. Et pour Bert, république rime résolument avec laïque, jusqu'à l'acharnement. Ce fils de janséniste devient en effet un anticlérical convaincu: " Ni Dieu, ni maître, à bas la calotte et vive la Sociale! " devient son slogan. Le scientifique positiviste bien de son époque qu'il est, revendique surtout une séparation de la religion et de la science. Tant pis pour le désenchantement; la science a ses propres lois et n'a que faire des " grands mystères " que d'aucuns aimeraient voir d'essence divine. Toute sa vie durant - et même au-delà - Bert aura droit aux foudres cléricales mais n'en aura cure.Touche-à-tout, l'homme oscille d'une vie à l'autre: chercheur, clinicien, politique, voyageur, il mène tout de front. Parmi ses apports scientifiques déterminants, on retient bien entendu ses travaux en anesthésiologie mais surtout en physiologie de la respiration. C'est à lui que l'on doit les avancées déterminantes en matière de plongée sous-marine et des risques d'une surpression en oxygène sur le système nerveux central; cela reste l'effet Paul Bert. Il met en oeuvre à des fins expérimentales un premier grand caisson étanche pour étudier sur l'homme les effets d'un excès ou d'un manque d'oxygène. Le tout est synthétisé en 1878 dans un ouvrage qui fait date: " la Pression barométrique ".Bert publie beaucoup, ouvrages et articles. Et... sur tout. Ses thèmes de prédilection sont favorisés, bien entendu (greffe animale, anesthésiologie, physiologie générale et respiratoire, etc.) mais on trouve aussi, de façon plus surprenante, des études sur les vertébrés sauvages de l'Yonne ou sur les mouvements de la sensitive, Mimosa pudica, pour ne citer que ces exemples. Prendre connaissance de sa bibliographie offre de vraies surprises!Le scientifique et homme politique respecté qu'il est mène Paul Bert à émettre des avis qui, à l'aune d'une relecture contemporaine, le font passer pour un raciste viscéral. Ce qu'il écrit ne laisse en effet guère de doute à ce sujet, même s'il est nécessaire de resituer ces propos dans le contexte de l'époque: " Les Nègres ont la peau noire, les cheveux frisés comme de la laine, les mâchoires en avant, le nez épaté; ils sont bien moins intelligents que les Chinois, et surtout que les Blancs (...). Il faut bien voir que les Blancs étant plus intelligents, plus travailleurs, plus courageux que les autres, ont envahi le monde entier et menacent de détruire ou de subjuguer toutes les races inférieures. Et il y a de ces hommes qui sont vraiment inférieurs. Ainsi l'Australie est peuplée par des hommes de petite taille, à peau noirâtre, à cheveux noirs et droits, à tête très petite, qui vivent en petits groupes, n'ont ni culture ni animaux domestiques (sauf une espèce de chien), et sont fort peu intelligents. "Des propos que ne dénieraient pas quelques mentors extrémistes d'aujourd'hui.Le plus surprenant, est que Bert ait accepté de prendre une charge politique dans une des colonies françaises; il est en effet nommé résident supérieur en Annam-Tonkin, dans l'Indochine de l'époque. On dit que cette expérience lui permet de réviser quelque peu sa perception raciale. Il a 53 ans. Ce qui est sûr, c'est que cette expérience lui est fatale: il meut du choléra à Hanoï le 11 novembre 1886.La France lui fait des funérailles nationales au grand dam des catholiques offusqués. Et aujourd'hui, le nom de l'illustre physiologiste et politicien novateur est associé à des lieux publics, mais aussi, logiquement, à de nombreuses institutions d'enseignement. Y compris à ceux qui acceptent des jeunes de toutes origines et de toutes couleurs de peau... Le nom de Bert est indissolublement lié à sa ville d'origine, Auxerre. Ce chef-lieu du nord de la Bourgogne - où le chablis coule à flot - offre une escale agréable à quelques heures de voiture de la Belgique. La nationale 151 qui traverse la ville dans un axe nord-sud passe sur le pont dédié à Paul Bert et qui porte sa statue, dont le socle est orné de bas-reliefs évoquant des évènements de la vie multiple du personnage. C'est également - est-ce un hasard? - du pied de cette statue que la ville et l'Yonne offrent leur meilleur visage. Outre la gastronomie locale qui n'est plus à évoquer, ce sont des bâtiments religieux (abbaye, cathédrale et églises) qui marquent le plus la topographie de la ville. En guise de pied de nez posthume à Bert l'anticlérical?Notes bibliographiques1. médecin lyonnais, Claude Bernard (1813-1878) est généralement considéré comme le père de la médecine expérimentale. Son nom reste associé au syndrome de Claude Bernard-Horner, cette atteinte du système nerveux sympathique qui affecte la région oculaire2. Paul Flourens (1794-1867), est un médecin qui a essentiellement laissé des travaux en matière d'anesthésie. Il est également considéré comme un précurseur en matière de neuroscience expérimentale