Des araignées aux reptiles, les espèces venimeuses ne manquent pas. Si pour tout un chacun le venin est un mot qui fait peur car il est associé à la mort, pour les chercheurs en revanche, il est une source prometteuse de nouveaux médicaments, notamment pour calmer la douleur.

Personne n'a envie de se faire mordre par un serpent ou d'être piqué par une araignée ou un scorpion. Ce genre de bestiole peut faire très mal et, si elle est venimeuse, dans certains cas on peut craindre pour sa vie.

On comprend donc que ces animaux-là puissent avoir très mauvaise réputation. Et pourtant, sans aller jusqu'à parler du grand amour, il est possible qu'à l'avenir cette réputation évolue dans un sens nettement plus positif. En effet, leurs venins intéressent de plus en plus les scientifiques. Ces fluides redoutables représentent désormais un eldorado pour la recherche et le traitement de la douleur en milieu hospitalier ou en soins palliatifs.

Explorer cette source naturelle de nouveaux traitements apporte un grand espoir d'accélérer le développement d'une nouvelle classe d'antalgiques qui pourraient soulager les gens souffrant de douleurs chroniques et que les options de traitement actuelles ne parviennent pas à calmer.

Un venin exceptionnel

Parmi les nombreux venins actuellement décortiqués avec des outils de biochimie et de bio-informatique dans des laboratoires, celui du serpent corail bleu (calliophis bivirgatus) pourrait avoir des vertus jusque-là insoupçonnées.

Aussi remarquable de par ses couleurs contrastées (rayures bleu électrique, tête et queue rouges) qu'il est dangereux, à juste titre surnommé " tueur des tueurs ", ce serpent possède un venin exceptionnel dont le mode d'action est différent de celui d'autres espèces et contre lequel il n'existe aucun antidote. Il ne tue pas immédiatement mais agit tout d'abord sur tous les nerfs en provoquant un choc massif, déclenchant des spasmes musculaires chez sa victime, puis la paralysie et enfin une mort douloureuse.

Malgré sa petite taille, le serpent corail bleu, qu'on retrouve principalement en Asie du Sud-est, est aussi un prédateur redoutable qui n'hésite pas à s'attaquer à des proies très dangereuses, dont un grand nombre de reptiles de son espèce, notamment le cobra, pourtant bien plus imposant. Sa rapidité lui permet de mordre facilement et d'injecter une dose importante de poison.

De plus, ce serpent particulier, qui heureusement évite en général l'Homme, dispose aussi de glandes venimeuses démesurées. Elles s'étendent sur presque un quart de la longueur de son corps.

Calliotoxine

Des chercheurs australiens, chinois et américains ont voulu comprendre d'où venait la puissance du venin du serpent corail bleu. C'est ainsi qu'ils ont découvert que son venin contient une toxine, la calliotoxine, qui est à l'origine de l'effet catatonique sur les nerfs de ses proies. Cette toxine agit en bloquant les canaux de sodium, des récepteurs situés dans le cerveau et qui sont au coeur de la transmission de la douleur chez l'être humain1.

Cette découverte ouvre une nouvelle voie de recherche pharmacologique. Etant donné que la calliotoxine peut stopper la transmission de la douleur, les scientifiques pensent qu'en récupérant et en purifiant cette substance toxique, il serait possible d'en détourner les effets pour élaborer un nouveau type de traitement capable de soulager la douleur de patients humains. L'antalgique serait alors aussi puissant que la morphine, mais sans ses effets secondaires indésirables.

Mambalgines

Prometteuse, cette piste du venin de serpent utilisé comme antidouleur a déjà été explorée par des chercheurs français de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Après avoir passé au crible des dizaines de venins d'animaux différents, ces derniers se sont penchés sur le Mamba noir, qui vit en Afrique et qui est, lui aussi, extrêmement dangereux puisqu'une seule de ses morsures peut provoquer la mort d'un homme en une quinzaine de minutes.

Les experts de l'Inserm ont découvert dans son venin deux toxines capables d'inhiber les récepteurs impliqués dans la sensation douloureuse2. Ils ont baptisé ces toxines les " mambalgines " et ils sont actuellement en train de travailler à la synthèse de dérivés, aussi efficaces que la morphine et non toxiques. Ils espèrent que des essais cliniques vont bientôt permettre d'évaluer leur efficacité et leur innocuité chez l'Homme.

Ces travaux montrent aussi que la nature est décidément un réservoir inépuisable de biodiversité et de molécules à potentiel thérapeutique. Plusieurs de ces molécules ont déjà été trouvées par les laboratoires mais il faudra encore de nombreuses années de recherches avant le développement de nouveaux traitements contre la douleur, susceptibles d'évincer la morphine...

Sources :

1. Toxins, 18 octobre 2016, doi : 10.3390/toxins8100303,

2. Nature, 3 octobre 2012, doi : 10.1038/nature11494

Il n'y a pas que les serpents...

Les scientifiques, le plus souvent des Australiens, ont en effet découvert dans le venin d'autres espèces, guères plus sympathiques, des molécules capables de bloquer la transmission des signaux douloureux et qui pourraient être à l'origine des antalgiques de demain.

L'an dernier, une équipe de l'Université du Queensland s'est penchée sur le venin de 205 espèces d'arachnides (araignées, scorpions, acariens,...). Parmi les échantillons analysés, 82 d'entre eux contenaient des molécules capables d'agir sur le canal Nav1.7. Or, de précédentes études ont montré qu'une mutation génétique affectant ce fameux canal rend insensible à la douleur. On peut donc supposer que le blocage de cette voie pourrait potentiellement éteindre la douleur chez les personnes dont les circuits de la douleur sont normaux1.

Finalement, les chercheurs ont réussi à isoler sept composés dont un très prometteur, décelé dans le venin d'une tarentule (Haplopelma doriae). Plus puissant que les autres, ce composé est très stable au niveau thermique, biologique et chimique, un avantage de taille pour devenir un parfait médicament antidouleur.

Le Conus episcopatus, un escargot marin, est un autre candidat. Les cônes marins sont des mollusques gastéropodes dont le venin très puissant permet de paralyser une proie en quelques fractions de seconde. Leur venin contient par ailleurs des centaines de peptides qui sont des petites protéines appelées conotoxines. Et, chez les humains, certaines de ces conotoxines semblent avoir des effets analgésiques et même anti-cancer2.

Citons encore le mille-pattes du Vietnam ou Scolopendra subspinipes mutilans. Ce myriapode d'environ 20 cm muni d'une tête rouge secrète une substance venimeuse dont il se sert notamment pour paralyser le système nerveux de ses proies. Mais cette substance contient aussi le peptide Ssm6a capable d'inhiber le canal Nav1.7. Et donc, ce peptide pourrait lui aussi conduire un jour à l'élaboration d'un antidouleur aussi puissant, voire plus, que la morphine3.

Reste à démontrer que toutes ces toxines et d'autres sont efficaces chez l'Homme et qu'elles apportent un avantage thérapeutique majeur par rapport aux médicaments existants. Un beau défi...

L. R.

Sources :

1. British Journal of Pharmacology, 4 mars 2015, doi : 10.1111/bph.13081,

2. PNAS, 21 juillet 2015, doi : 10.1073/pnas.1501334112,

3. PNAS, 22 octobre 2013, doi : 10.1073/pnas.1306285110)

Des araignées aux reptiles, les espèces venimeuses ne manquent pas. Si pour tout un chacun le venin est un mot qui fait peur car il est associé à la mort, pour les chercheurs en revanche, il est une source prometteuse de nouveaux médicaments, notamment pour calmer la douleur.Personne n'a envie de se faire mordre par un serpent ou d'être piqué par une araignée ou un scorpion. Ce genre de bestiole peut faire très mal et, si elle est venimeuse, dans certains cas on peut craindre pour sa vie.On comprend donc que ces animaux-là puissent avoir très mauvaise réputation. Et pourtant, sans aller jusqu'à parler du grand amour, il est possible qu'à l'avenir cette réputation évolue dans un sens nettement plus positif. En effet, leurs venins intéressent de plus en plus les scientifiques. Ces fluides redoutables représentent désormais un eldorado pour la recherche et le traitement de la douleur en milieu hospitalier ou en soins palliatifs.Explorer cette source naturelle de nouveaux traitements apporte un grand espoir d'accélérer le développement d'une nouvelle classe d'antalgiques qui pourraient soulager les gens souffrant de douleurs chroniques et que les options de traitement actuelles ne parviennent pas à calmer.Parmi les nombreux venins actuellement décortiqués avec des outils de biochimie et de bio-informatique dans des laboratoires, celui du serpent corail bleu (calliophis bivirgatus) pourrait avoir des vertus jusque-là insoupçonnées.Aussi remarquable de par ses couleurs contrastées (rayures bleu électrique, tête et queue rouges) qu'il est dangereux, à juste titre surnommé " tueur des tueurs ", ce serpent possède un venin exceptionnel dont le mode d'action est différent de celui d'autres espèces et contre lequel il n'existe aucun antidote. Il ne tue pas immédiatement mais agit tout d'abord sur tous les nerfs en provoquant un choc massif, déclenchant des spasmes musculaires chez sa victime, puis la paralysie et enfin une mort douloureuse.Malgré sa petite taille, le serpent corail bleu, qu'on retrouve principalement en Asie du Sud-est, est aussi un prédateur redoutable qui n'hésite pas à s'attaquer à des proies très dangereuses, dont un grand nombre de reptiles de son espèce, notamment le cobra, pourtant bien plus imposant. Sa rapidité lui permet de mordre facilement et d'injecter une dose importante de poison.De plus, ce serpent particulier, qui heureusement évite en général l'Homme, dispose aussi de glandes venimeuses démesurées. Elles s'étendent sur presque un quart de la longueur de son corps.Des chercheurs australiens, chinois et américains ont voulu comprendre d'où venait la puissance du venin du serpent corail bleu. C'est ainsi qu'ils ont découvert que son venin contient une toxine, la calliotoxine, qui est à l'origine de l'effet catatonique sur les nerfs de ses proies. Cette toxine agit en bloquant les canaux de sodium, des récepteurs situés dans le cerveau et qui sont au coeur de la transmission de la douleur chez l'être humain1.Cette découverte ouvre une nouvelle voie de recherche pharmacologique. Etant donné que la calliotoxine peut stopper la transmission de la douleur, les scientifiques pensent qu'en récupérant et en purifiant cette substance toxique, il serait possible d'en détourner les effets pour élaborer un nouveau type de traitement capable de soulager la douleur de patients humains. L'antalgique serait alors aussi puissant que la morphine, mais sans ses effets secondaires indésirables.Prometteuse, cette piste du venin de serpent utilisé comme antidouleur a déjà été explorée par des chercheurs français de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Après avoir passé au crible des dizaines de venins d'animaux différents, ces derniers se sont penchés sur le Mamba noir, qui vit en Afrique et qui est, lui aussi, extrêmement dangereux puisqu'une seule de ses morsures peut provoquer la mort d'un homme en une quinzaine de minutes.Les experts de l'Inserm ont découvert dans son venin deux toxines capables d'inhiber les récepteurs impliqués dans la sensation douloureuse2. Ils ont baptisé ces toxines les " mambalgines " et ils sont actuellement en train de travailler à la synthèse de dérivés, aussi efficaces que la morphine et non toxiques. Ils espèrent que des essais cliniques vont bientôt permettre d'évaluer leur efficacité et leur innocuité chez l'Homme.Ces travaux montrent aussi que la nature est décidément un réservoir inépuisable de biodiversité et de molécules à potentiel thérapeutique. Plusieurs de ces molécules ont déjà été trouvées par les laboratoires mais il faudra encore de nombreuses années de recherches avant le développement de nouveaux traitements contre la douleur, susceptibles d'évincer la morphine...Sources : 1. Toxins, 18 octobre 2016, doi : 10.3390/toxins8100303, 2. Nature, 3 octobre 2012, doi : 10.1038/nature11494Les scientifiques, le plus souvent des Australiens, ont en effet découvert dans le venin d'autres espèces, guères plus sympathiques, des molécules capables de bloquer la transmission des signaux douloureux et qui pourraient être à l'origine des antalgiques de demain.L'an dernier, une équipe de l'Université du Queensland s'est penchée sur le venin de 205 espèces d'arachnides (araignées, scorpions, acariens,...). Parmi les échantillons analysés, 82 d'entre eux contenaient des molécules capables d'agir sur le canal Nav1.7. Or, de précédentes études ont montré qu'une mutation génétique affectant ce fameux canal rend insensible à la douleur. On peut donc supposer que le blocage de cette voie pourrait potentiellement éteindre la douleur chez les personnes dont les circuits de la douleur sont normaux1.Finalement, les chercheurs ont réussi à isoler sept composés dont un très prometteur, décelé dans le venin d'une tarentule (Haplopelma doriae). Plus puissant que les autres, ce composé est très stable au niveau thermique, biologique et chimique, un avantage de taille pour devenir un parfait médicament antidouleur.Le Conus episcopatus, un escargot marin, est un autre candidat. Les cônes marins sont des mollusques gastéropodes dont le venin très puissant permet de paralyser une proie en quelques fractions de seconde. Leur venin contient par ailleurs des centaines de peptides qui sont des petites protéines appelées conotoxines. Et, chez les humains, certaines de ces conotoxines semblent avoir des effets analgésiques et même anti-cancer2.Citons encore le mille-pattes du Vietnam ou Scolopendra subspinipes mutilans. Ce myriapode d'environ 20 cm muni d'une tête rouge secrète une substance venimeuse dont il se sert notamment pour paralyser le système nerveux de ses proies. Mais cette substance contient aussi le peptide Ssm6a capable d'inhiber le canal Nav1.7. Et donc, ce peptide pourrait lui aussi conduire un jour à l'élaboration d'un antidouleur aussi puissant, voire plus, que la morphine3.Reste à démontrer que toutes ces toxines et d'autres sont efficaces chez l'Homme et qu'elles apportent un avantage thérapeutique majeur par rapport aux médicaments existants. Un beau défi...L. R.Sources : 1. British Journal of Pharmacology, 4 mars 2015, doi : 10.1111/bph.13081,2. PNAS, 21 juillet 2015, doi : 10.1073/pnas.1501334112,3. PNAS, 22 octobre 2013, doi : 10.1073/pnas.1306285110)