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Une nouvelle étude belgo-américaine redéfinit le rôle des facteurs de transcription. Elle montre que ces protéines interviennent également dans les étapes tardives du processus d'expression des gènes. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche médicale, notamment pour certains cancers.Des chercheurs belges et américains viennent de démontrer que les facteurs de transcription de la famille des ERG (ETS-related gene) interviennent non seulement lors de la synthèse de l'ARN messager dans le noyau, mais également lors de sa dégradation dans le cytoplasme. Principal auteur de cette étude, chargé de cours et responsable du laboratoire d'interaction et de signalisation des protéines au sein du GIGA (Université de Liège), le Pr Franck Dequiedt explique le contexte de cette étude et l'importance du résultat obtenu.Le journal du Médecin : Quelle est la genèse de cette recherche ?Franck Dequiedt :Mon laboratoire est spécialisé dans les étapes précoces de l'expression des gènes, tout ce qui se passe dans le noyau au moment où l'ARN est synthétisé à partir de l'ADN. D'où notre intérêt pour les facteurs de transcription. Chez les organismes supérieurs, ces facteurs sont en effet considérés comme des déterminants majeurs de la régulation des gènes. Le modèle actuel les confine aux étapes précoces, c'est-à-dire lors de la synthèse de l'ARN messager, le principe étant qu'il suffit de faire moins d'ARN pour avoir moins de protéines et à l'inverse plus d'ARN pour obtenir davantage de protéines. Toutefois nous avions de bonnes raisons de croire qu'ils pouvaient avoir d'autres rôles, jusqu'ici cachés, qu'ils pouvaient influencer d'autres étapes. Et c'est cela que vous avez voulu démontrer en démarrant cette étude il y a un peu moins de six ans d'ici...En effet. A l'époque nous avons bénéficié d'un financement important de la Fondation belge contre le cancer pour concevoir une plateforme technologique interactomique permettant de détecter les interactions entre protéines et dès lors de mieux comprendre ce qu'elles peuvent faire dans la cellule. Pour cette partie du travail, nous avons fait appel à un laboratoire de Harvard, spécialisé dans ce domaine, et avec lequel nous collaborons depuis une quinzaine d'années. Il est dirigé par un compatriote, le Pr Marc Vidal.La plateforme était associée à un ensemble de projets dont l'un consistait à s'intéresser à une famille de facteurs de transcription, les facteurs ETS. Ceux-ci comprennent une douzaine de sous-familles, dont une est constituée par les trois protéines ERG. Il s'agit de facteurs oncogéniques. En l'occurrence, ils sont associés à des leucémies, des sarcomes d'Ewing et au cancer de la prostate. C'est sur eux que notre étude a porté.Vous avez fait appel à d'autres collaborations ?Le laboratoire de biologie moléculaire du gène à l'ULB, avec à sa tête le Pr Véronique Kruys, a apporté son expertise pour montrer les liens entre les facteurs ERG et la machinerie de dégradation des ARN messagers et mesurer la dégradation de ces derniers au cours du temps. L'équipe du Pr Mathieu Bollen à la KUL nous a fait bénéficier de ses connaissances dans le contrôle du cycle cellulaire et plus précisément de l'étape de la mitose.Comment l'étude s'est-elle déroulée et qu'avez-vous découvert ?Nous avons d'abord lancé une recherche interactomique qui nous a permis d'identifier plusieurs centaines de partenaires aux facteurs ERG et nous les avons classés selon les fonctions qui leur sont attribuées. Cela nous a permis de faire ressortir une fonction liée au métabolisme de l'ARN mais qui a la particularité de ne pas être limitée à sa synthèse. Elle concerne aussi tout ce qui arrive à l'ARN une fois que ce dernier est synthétisé.De manière plus spécifique, nous nous sommes intéressés à la dégradation des ARN messagers et nous avons montré que les protéines ERG peuvent contrôler cette étape en collaborant avec d'autres protéines. Il s'agit des protéines spécialisées de liaison à l'ARN et du complexe multiprotéique CCR4-NOT. Nous avons aussi relevé que le contrôle coordonné de la synthèse et de la dégradation d'ARN messagers spécifiques par ERG est indispensable à l'accomplissement du processus de mitose cellulaire.En quoi cette découverte est-elle importante ?Elle remet en question le rôle des facteurs de transcription puisqu'elle montre que ces protéines interviennent également dans les étapes tardives du processus d'expression des gènes. Plus largement, nos observations suggèrent également que les facteurs de transcription accompagnent les ARN messagers de leur " naissance " à leur " mort " et qu'ils pourraient influer sur toutes les étapes intermédiaires, à savoir l'épissage dans le noyau, leur export dans le cytoplasme, et donc la traversée de la membrane nucléaire, ainsi que leur traduction en protéine. En somme, ils jouent un rôle de chef d'orchestre, permettant à la cellule de coordonner efficacement toutes ces étapes. Cela signifie qu'avec un nombre réduit de protéines, en l'occurrence les facteurs de transcription, on aboutit à une régulation robuste et fine.En biologie, ce nouveau modèle constitue donc une avancée fondamentale puisqu'il redéfinit le concept même de facteur de transcription.Mais notre découverte pourrait aussi avoir des implications au niveau thérapeutique. Sachant que les facteurs de transcription sont impliqués dans le développement d'une multitude de pathologies, toutes celles qui sont causées par des modifications de l'expression des gènes, c'est notamment le cas de certains cancers, le fait d'avoir découvert qu'ils ne se cantonnent pas à des fonctions associées à la synthèse de l'ARN laisse entrevoir de nouvelles perspectives. Si on veut faire d'une protéine une cible thérapeutique, pour éviter les effets secondaires indésirables, et pour optimiser l'approche, mieux vaut en effet connaître l'ensemble de ses fonctions...Source : Nature Structural & Molecular Biology, 6 juin 2016, DOI : 10.1038/nsmb.3243