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Il y a quelques années déjà qu'un lien est établi entre la production d'ostéocalcine par les ostéoblastes et la sécrétion d'insuline. Partant, il n'apparaissait plus étrange qu'une connexion tout aussi étroite puisse exister entre les mêmes ostéoblastes et le métabolisme du sucre et, au-delà, celui des matières nutritives en général et même de l'appétit. Il n'en fallait évidemment pas davantage pour aiguillonner l'intérêt des chercheurs qui commencent à livrer les résultats surprenants de leurs premières recherches.Que l'ostéocalcine1, dont le seul nom évoque l'implication dans la régulation du calcium ait un lien avec le métabolisme énergétique - et en particulier celui du glucose - n'est pas fondamentalement surprenant: l'os, pour son élaboration et son maintien a de gros besoins énergétiques. Partant, on conçoit qu'il assure lui-même la régulation de ce qui lui est essentiel.Ce régulateur n'est pas le seul à être produit par le tissu qui assure notre maintien structurel: fibronectine, ostéopontine, ostéonectine et sialoprotéine en sont d'autres, dont les fonctions restent dans l'ensemble à découvrir2.C'est également le cas de la lipocaline-2 dont le seul nom évoque d'autres chaînes métaboliques. Connue depuis une petite vingtaine d'années, elle était jusqu'ici essentiellement impliquée dans les réactions immunitaires. Mais en étudiant des souris qu'on en a expérimentalement privées, on a constaté par comparaison avec des témoins qu'elles avaient une tendance au surpoids. Restait à apporter la preuve de cette relation aussi étonnante qu'apparemment directe. Si l'expression de la lipocaline-2 (LCN2) est inhibée chez des animaux de laboratoire, on observe chez elles une augmentation de la faim (ou de la non-satiété) et une métabolisation du glucose réduite. On note également qu'à l'issue d'une prise d'aliments, la concentration sanguine de cette protéine est accrue de plusieurs fois ce qui constitue son niveau normal. Cette production des ostéoblastes procède par conséquent comme une hormone, qui profite du réseau circulatoire pour agir sur ces cibles désignées.Restait à découvrir quels sont les destinataires du message véhiculé. Logiquement, ils sont centraux puisque c'est dans le cerveau que se trouvent les régulateurs de la faim. Et c'est là en effet que LCN2 trouve ses récepteurs, sur la membrane de neurones hypothalamiques.Ces derniers sont ceux qui produisent l'?-melanin stimulation hormone (?-MSH), connue pour intervenir dans la sensation de satiété. L'effet est direct: si on injecte de la LCN2 à des souris rendues obèses, on observe à terme une diminution de l'appétit ainsi que du poids, et une augmentation de la métabolisation du glucose par l'insuline3. Voilà donc une protéine (de plus) à intégrer dans l'arsenal de celles qui pourraient - dans un registre pharmacologique - intervenir dans la régulation pondérale de sujets en surpoids, si toutefois les observations faites chez la souris sont transposables à l'homme.Tout système peut a priori dysfonctionner dans les deux sens, par excès ou par défaut. Ne pourrait-on donc pas également voir dans une libération excessive de la protéine une explication possible à l'anorexie? C'est ce que les scientifiques ont aussi tenté de savoir.Le processus " coupe-faim " sur lequel repose l'anorexie est celle qui implique l'?-melanin stimulation hormone (?-MSH), déjà évoquée. Produite par l'hypothalamus, celle-ci interagit avec le récepteur 4 de la mélanocortine (MC4R)4. Or, on a montré que LC2N, produite par l'os, se lie aussi à ce récepteur comme le fait normalement ?-MSH. Il y a donc renforcement de l'action, puisque le lien au récepteur MC4R est le fait de deux molécules plutôt qu'une seule (?-MSH + LC2N). Le résultat, on le devine: c'est le renforcement de l'effet. Cette réalité a été démontrée sur coupes fines de tissus in vitro, mais également, par défaut, chez des souris chez lesquelles le gène qui code pour le récepteur MC4R a été inactivé. Du reste, on sait aussi que les porteurs humains d'une mutation de ce gène sont obèse, même s'il existe une surproduction compensatoire (mais à l'évidence insuffisante) de LC2N.Après la graisse brune, les adipocytes et la microflore digestive notamment, c'est d'un nouveau tissu dont on découvre aujourd'hui les fonctions jusqu'ici presqu'ignorées: l'os. Le potentiel semble immense et offert à quelques recherches porteuses de découvertes.Dans ce qu'il semble avoir de plus rigide et d'apparemment figé, le corps nous réserve encore quelques secrets à éventer.Bibliographiel'ostéocalcine est encore appelée GLA-protéine osseuse ou gamma-carboxyglutamic acid-rich protein.V le Doan & V Marcil. Ostéocalcine et métabolisme du glucose. La leçon des études chez l'homme. Médecine/sciences 2017; 33: 417-422RD Palmiter. Bone-derived hormone suppresses appetite. Nature, 2017; 543: 320-322I Mosialou, S Shikhel, J-M Liu et al. MC4R-dependant suppression of appetite by bone-derived lipocalin2. Nature, 2017; 543: 385-390