...

Merci pour ton article clair et bien argumenté.Je partage au moins une vision avec toi : une défense professionnelle efficace devrait nous réunir tous plutôt que de cliver, devrait rechercher le meilleur de chaque pratique et le communiquer.Les enjeux proches (réforme des soins de santé, difficultés dans l'organisation des gardes, ..) et lointain (intelligence artificielle, télémédecine, ...) devraient nous rapprocher plutôt que de nous séparer.Je partage ton avis qu'il y a plusieurs médecines parce qu'il y a plusieurs types de patients et plusieurs moyens d'envisager notre métier.Quelle est la meilleure? Mais ce climat, l'incertitude qui s'y rapporte et le manque de vision politique précise induisent la crispation.Cela fait quelques années que l'Absym reçoit des propositions émanant tantôt de mutuelles, tantôt de partis politiques, tantôt de groupes d'influence qui défendent le principe que le modèle "maison médicale" est l'unique modèle idéal pour la médecine générale et la première ligne et qu'il faut l'imposer manu militari à tous les praticiens.La ministre rapporte qu'un des plus gros problèmes de la médecine générale est son manque d'organisation et de coordination. Cette étude, financée par la ministre, n'est donc pas anodine dans ce climat. Elle était vécue par beaucoup comme un moyen de prouver que l'élargissement de cette pratique encore rare dans notre pays (en terme de pourcentage de population) était la voie à suivre pour l'ensemble de la profession.La pression et les risques à la sortie des résultats étaient donc grands.Nous avons donc eu une grande vague de réactions de satisfaction à la lecture de l'audit qui fait un constat rationnel de ce qu'est une pratique en maison médicale : une pratique différente, avec ses avantages et inconvénients, probablement plus adaptée à une population spécifique et probablement plus coûteuse dans une autre population spécifique.L'universalisation de ce modèle n'est donc pas adapté.Cela correspond à ma pensée personnelle : il ne faut pas avoir pratiqué vingt ans pour se rendre compte qu'il n'existe pas qu'une médecine, qu'il n'existe pas qu'un patient et qu'il n'existe pas qu'un modèle de pratique.Je comprends donc aussi que mes confrères aient vu les résultats de cette étude comme un exutoire les libérant d'un danger permanent, celui de se voir imposer une pratique dont ils ne veulent pas. La démarche était pile dans le rôle d'une défense professionnelle mais le message était visiblement par contre trop clivant. Mais plus un communiqué est long et lissé, moins il est publié. Nous sommes dans la décennie Twitter. Je n'aime pas ce mode de communication : tout ce qui est court est simplifié, simpliste et donc clivant, par nature : noir ou blanc, pas nuancé (il suffira de voir combien de gens liront ceci jusqu'au bout...)Pour ce qui est des heures de travail, nos parents plaçaient le travail comme valeur prioritaire dans la vie. Nous, génération Y et suivantes, conservont le service au malade comme important mais tout en l'équilibrant avec notre vie affective : c'est ce qui permet à beaucoup d'entre nous de garder une vision humaine de nos actions professionnelles.Cela engendre deux problèmes :- le premier est la continuité des soins : ton malade, mon malade n'arrête pas d'être malade à 17H. On veut tous manger le soir en famille mais on s'est engagé dans des études où d'emblée nous savions qu'il faudrait être disponible. Par simple principe d'équité (principe auquel je suis très attaché), il n'est pas normal de prester de 9 à 17 puis de laisser les heures ingrates à d'autres. Tout médecin devrait équitablement participer à la permanence des soins. Ce n'est pas le cas et cela reste vécu comme une injustice : tous ceux engagés dans des gardes ne le sont pas toujours par pure volonté mais aussi par nécessité ou par sens moral de l'engagement.- le second est le maintien d'un niveau qualitatif de la pratique. Encore pas plus tard qu'avant hier, un professeur émérite d'université expliquait dans un cours auquel j'assistais, qu'on ne faisait bien que ce que l'on faisait souvent et utilisait ce plaidoyer pour expliquer pourquoi il fallait fermer les petites cliniques de ce pays. J'aime l'université mais j'aime encore plus la rigueur scientifique. Il y a quelques études qui montrent des relations entre volume d'acte et résultat (volume-outcome) et qui définissent des seuils minimums de pratique. Mais il y a aussi des études qui n'arrivent pas à démontrer ce lien et même quelques autres qui démontrent parfois un effet inverse : tout dépend de la pathologie étudiée !On en revient au principe de départ : il n'y a pas une pathologie, il n'y a pas un patient, il n'y a pas une seule pratique médicale. Je suis heureux de te lire démonter ce que la majorité de tes confrères académiques défendent dans les commissions d'agrément de maître de stage : l'absence de lien entre volume d'acte et niveau d'apprentissage. Mais je reste dubitatif. Personnellement, je pense qu'il existe tout de même un seuil minimal d'activité pour chaque acte en dessous duquel on fait perdre une chance au malade. Lequel est-il pour chaque acte ? Je l'ignore. Et donc je reste prudent dans ce que j'écris, à charge ou à décharge. Si nous pouvions tous adopter cette prudence, nous en sortirions grandis.Alors voilà, comme toute bonne recherche, cet audit nous amène autant de réponses que de questions. Tu es universitaire, moi pas. Je compte donc sur toi pour éluder, une à une, ces interrogations (et en créer d'autres), afin d'avancer vers des modèles médicaux qui réconcilierait le paradoxe, mal vécu par beaucoup, de la standardisation à outrance (par défense de la rentabilité des dépenses publiques et par recherche de qualité) s'opposant à la personnalisation des soins (l'adaptation d'un modèle de soins à un individu particulier). Ce paradoxe, nouveau dans nos pratiques, nécessitera un travail conjoint des universités et des associations de défense professionnelle afin d'éclairer les pratiques de demain sans quoi il amènera plus de clivages et de tensions.J'espère donc que nous pourrons y travailler demain. A titre personnel, Philippe Devos, Administrateur Absym.