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S'il ne s'agit pas d'une première mondiale, c'en est bien une à l'échelle nationale et du réseau Eurotransplant (Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas, et Slovénie). Prélever le coeur d'un patient décédé, en arrêt circulatoire, n'avait en effet jamais été fait chez nous. Ce sont les équipes du CHU de Liège qui ont pratiqué cet acte inédit au cours de l'été. On distingue deux types de donneurs d'organes potentiels : ceux en mort cérébrale et ceux qui n'ont aucun espoir de survie ou de survie digne. " Quand la décision d'arrêt des traitements est prise, on se pose la question de savoir si ce patient est un donneur d'organes potentiel ", explique le Dr Didier Ledoux, anesthésiste au CHU et coordinateur local des donneurs. " Si oui, on vérifie qu'il n'a pas fait opposition de son vivant : on interroge le registre national et sa famille. Envisager le don d'organes chez des patients qui ne sont pas en mort cérébrale mais dont on sait que leur espoir de vie est nul ou un état végétatif permanent, est une procédure bien établie. Mais, jusqu'à présent, lorsque les conditions cliniques étaient favorables, on envisageait le don multi-organes (reins, foie et poumons), exception faite du coeur. "" L'hypothèse était de se dire qu'il n'était pas raisonnable de prendre un coeur qui avait souffert d'une période prolongée d'arrêt", continue-t-il. "Ensuite, il y a eu des travaux réalisés par des groupes anglais, australien et américains. Et, il y a environ deux ans, le groupe de Cambridge a publié ses résultats sur une série de 45 patients décédés d'un arrêt thérapeutique, en arrêt circulatoire, chez qui ils ont réanimé les organes dont le coeur. Cette réanimation aboutit à des prélèvements du coeur et à des transplantations cardiaques, avec un grand succès. Leurs résultats étaient équivalents aux transplantés cardiaques à partir de donneurs en mort cérébrale. "Cette publication a inspiré l'équipe du CHU de Liège qui a mis au point un protocole pour réaliser ce type de prélèvement. " Ce qui est très enthousiasmant, c'est que les transplantations cardiaques faites à partir de ces deux donneurs décédés en arrêt circulatoire et dont le coeur et les autres organes ont été réanimés, ont été des succès. Les deux patients greffés ont bien évolué sur le plan cardiaque. "" On aurait pu imaginer qu'une nouvelle procédure serait délétère pour les organes abdominaux, ce qui n'a pas été le cas ", souligne Marie-Hélène Delbouille, coordinatrice de transplantation au CHU. " Ces deux patients ont été de vrais donneurs multi-organes, ce qui nous a rassurés sur notre procédure ", indique le Dr Ledoux. Les transplantés cardiaques étaient des patients du CHU. " Quand on prélève un organe, le grand stress, c'est l'ischémie. Il y a deux situations : l'ischémie chaude qui cause potentiellement le plus de souffrance à l'organe et l'ischémie froide, moins délétère. "" Chez un donneur en mort cérébrale ", commente le Pr Jean Defraigne (chirurgie cardio-vasculaire et thoracique au CHU). " Le coeur est battant, il n'y a donc pas vraiment de période d'ischémie chaude, puisqu'on clampe l'aorte, on arrête la perfusion du coeur et on met tout de suite un liquide de refroidissement. On prélève le coeur et on le conserve dans la glace pour le réimplanter ensuite. S'il est réimplanté localement, la période de conservation dans la glace est réduite au minimum. S'il doit être transféré dans un autre centre, il passera peut-être deux heures dans la glace : c'est la période d'ischémie froide. Ensuite, il y a la phase de réimplantation où le coeur est sorti de la glace et là, il y a une période d'ischémie chaude, parce que pendant qu'on fait les sutures et qu'on réimplante le coeur, il n'est pas perfusé. "" Ici, le problème c'est qu'avant la période d'ischémie froide, il y a une période d'ischémie chaude : pendant la phase d'arrêt du respirateur (15 minutes), suivie par cinq minutes d'attente d'arrêt complet du coeur avant d'ouvrir le sternum et de clamper les vaisseaux supra-aortiques. Comme on reperfuse le coeur après cette phase d'ischémie chaude, nous ne voulions pas imposer à ce coeur une période d'ischémie froide prolongée supplémentaire. " C'est pour cette raison que, dans un premier temps, tous les coeurs prélevés dans ce contexte-là sont transplantés sur place. " Que le patient soit en mort cérébrale ou non, toutes ces périodes d'ischémie mises bout-à-bout ne doivent pas dépasser quatre à cinq heures. Certaines études ont montré que plus l'ischémie totale est courte, meilleure est la fonction ", renchérit Marie-Hélène Delbouille. À la satisfaction des équipes liégeoises, ces deux coeurs se sont comportés de la même façon, alors que les circonstances et l'âge des donneurs étaient différents. " Les coeurs ont redémarré tout seul, dans les 20 secondes suivant le démarrage de la perfusion. Je suis convaincu que nous aurons très peu de nouvelles surprises à l'avenir ", affirme le Pr Defraigne. " Et je pense même qu'ils seront de meilleurs donneurs que certains en mort cérébrale parce que le coeur de ces derniers souffre à cause de la mort cérébrale, de la baisse des taux d'hormones thyroïdiennes, des décharges d'adrénaline... "Pour le moment, une dizaine de patients en insuffisance cardiaque sont sur la liste d'attente du CHU Liège. " Il y a de moins en moins de donneurs cardiaques en mort cérébrale parce que la population vieillit ", explique la coordinatrice de transplantation. " Il y a 20 ans, 50 % des donneurs avaient moins de 40 ans, ils ne sont plus que 25 % aujourd'hui. Selon les chiffres d'Eurotransplant, environ 25 % des patients cardiaques décèdent sur liste d'attente. "" Tout cela nous oblige à faire preuve d'ingéniosité et à trouver des solutions alternatives comme l'implantation d'un ventricule artificiel ou le prélèvement du coeur chez des donneurs en arrêt circulatoire ", constate le chirurgien. Au CHU, les spécialistes estiment qu'ils disposeraient ainsi de cinq ou six coeurs supplémentaires par an, ce qui permettrait de réduire la liste d'attente de moitié. " Si tout le monde embrayait en Belgique, cela pourrait représenter 30 à 40 coeurs ", compte le Dr Ledoux. Aujourd'hui, l'équipe réévalue les cas et la procédure mise en place d'un point de vue technique, médical et humain. En pratique, ce genre d'intervention est le fruit de tout un travail d'équipe réquisitionnant trois salles d'opération et 20 à 25 personnes travaillant en même temps pour sauver plusieurs patients : " En une journée, nous avons dû assumer un prélèvement d'organes, une greffe de coeur et une greffe de foie (plus les reins envoyés dans d'autres centres) ", signale Marie-Hélène Delbouille. Pour l'avenir, deux pistes de réflexion surgissent : " Si on continue, les attentes sur la liste seront réduites jusqu'au moment où nous n'aurons peut-être plus de correspondance possible avec nos donneurs. On doit donc réfléchir à la possibilité d'offrir ces coeurs prélevés dans ces conditions, notamment à Eurotransplant ", reconnaît l'anesthésiste. La troisième piste concerne la possibilité de démarrer ce protocole chez les patients qui font une demande d'euthanasie et qui, dans ce cadre, aimeraient également être donneurs d'organes. " Il y a déjà eu quatre demandeurs d'euthanasie donneurs d'organes en Belgique. "Aujourd'hui, l'équipe du CHU Liège tient à faire connaître son expérience. Elle présentera donc sa procédure au cours du 8e Colloque Liégeois de Coopération hospitalière Don d'organes le 6 décembre prochain (transplantation@chuliege.be) et lors du symposium de la Société belge de transplantation, le 14 mars 2019 à Anvers (transplant.be). Martine Versonne